Dossier: Interpréter l'Écriture
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Ressources et limites de l’interprète

1. Le dilemme de l’interprète

L’humain est « fait à l’image de Dieu » (Jac 3.9) ; il possède une intelligence et une conscience. Mais il s’est éloigné de Dieu depuis qu’il a choisi de lui désobéir pour écouter le diable. Conséquence de ce choix : « Le dieu de ce siècle a aveuglé l’intelligence [des incrédules], afin qu’ils ne voient pas briller la splendeur de l’Évangile de la gloire de Christ, qui est l’image de Dieu. » (2 Cor 4.4) Certes, la Parole garde sa puissance propre : « la Parole de Dieu est vivante et efficace, plus tranchante qu’une épée à deux tranchants […] elle juge les sentiments et les pensées du cœur. » (Héb 4.12) Mais l’incrédule ne peut pas la comprendre dans son ensemble et dans sa profondeur. Pour en être un interprète valable, il doit devenir un être renouvelé.

L’homme nouveau : apte à comprendre la pensée de Dieu

L’être humain renouvelé bénéficie de l’aide du Saint-Esprit, selon la promesse de Jésus : « Quand le consolateur sera venu, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité ; car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir. Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera. » (Jean 16.13-14) Paul explique à ses amis de Corinthe : « Personne ne connaît les choses de Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu. Or nous, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les choses que Dieu nous a données par sa grâce. » (1 Cor 2.11-12)

Le croyant est donc délivré du pouvoir aveuglant des ténèbres ; le renouvellement de son intelligence le transforme (Rom 12.2) ; le Saint-Esprit le conduit dans la vérité (Jean 16.13-14) ; Dieu donne des enseignants à l’Église pour expliquer sa Parole, des pasteurs et des prophètes (Éph 4.11) pour l’appliquer à des situations particulières.
Toutes ces ressources communes le rendent apte à comprendre les Écritures. En théorie, elles devraient même aboutir à une interprétation commune de chaque partie de la Bible ! Alors pourquoi autant d’interprétations différentes des mêmes textes ?

L’homme nouveau : en devenir

« Naître de nouveau », « être régénéré », « avoir la vie éternelle » (Jean 3.3 ; 1 Pi 1.23 ; Jean 10.28) : ces expressions désignent l’aspect immédiat de l’œuvre de Dieu en nous. Cela est comparable avec une naturalisation : à un moment précis, le citoyen d’un pays X devient citoyen d’un pays Y. D’un jour à l’autre, il acquiert tous les droits et devoirs accordés par le pays Y à tous ses citoyens ; c’est une transformation instantanée, radicale, incontestable, définitive. Mais ce nouveau citoyen ne change pas de langue et de culture instantanément. Il est déjà un citoyen de Y ; il n’est pas encore pleinement intégré dans la société. Il doit beaucoup apprendre pour se sentir à l’aise et en sécurité, pour s’intégrer, maîtriser les codes de communication, les usages, l’humour. De même la transformation du nouveau converti est immédiate pour son statut d’enfant de Dieu, mais progressive dans sa mise en place.

Le croyant acquiert le salut dès le jour de sa conversion, mais c’est un nouveau-né spirituel. Il lui reste à grandir, à « mettre en œuvre son salut avec crainte et tremblement » (Phil 2.12) ; il est un disciple, autrement dit il commence un apprentissage. Il est débarrassé de la dictature de la nature humaine ; mais la grande mise à jour de son intelligence ne sera jamais achevée sur la terre.

Chacun garde donc des traces de sa nature humaine pécheresse. Ces traces varient d’un individu à l’autre, d’une communauté à l’autre, elles ont une grande influence sur nos raisonnements, nos analyses, nos décisions et nos choix. Elles biaisent ses capacités d’interprétation. L’action illuminatrice de l’Esprit en nous pour nous aider à comprendre la Parole de Dieu est souvent [parfois ?] entravée (cf. Éph 4.30 ; 1 Th 5.19). Nous peinons à saisir la pensée de Dieu par manque de spiritualité (cf. 1 Cor 3.1-3 ; Héb 5.11b-14).

2. Les parasites de l’interprète

Les traducteurs respectueux de la Bible maîtrisent bien les langues originales, se familiarisent avec le contexte historique et social, travaillent en équipe interculturelle, procèdent à de nombreux contrôles. Ils minimisent ainsi le risque d’erreur.

Le lecteur de la Bible est quant à lui davantage exposé aux risques d’erreur d’interprétation lorsqu’il cherche à comprendre le sens du texte au moment de sa rédaction et aujourd’hui. Cette personne ne dispose ni des moyens ni du temps pour explorer et vérifier toutes les pistes. Son interprétation du texte résultera donc d’un processus rapide et simplifié. Par ailleurs, elle va inconsciemment laisser des mécanismes psychologiques automatiques influencer ou orienter ses analyses et commentaires.
Ces mécanismes sont maintenant appelés « biais cognitifs » car ils biaisent la construction de nos connaissances. Citons quelques-uns d’entre eux qui affectent notre manière d’interpréter la Bible.

Biais liés à la personne

• L’aversion à la perte  : je rejette une interprétation contraire à celle que j’ai défendue, du seul fait qu’elle remet en cause mon statut et ma crédibilité ; cela concerne particulièrement les sujets à charge émotionnelle élevée ou à valeur identitaire. C’était le cas des pharisiens qui refusaient les enseignements de Jésus car ils remettaient en cause leur place d’autorité.
• L’aversion au doute : je préfère affirmer une interprétation faiblement argumentée plutôt que me reconnaître en incapacité d’en fournir une.
• L’illusion du savoir : je surestime ma maîtrise d’un sujet ou je n’analyse pas spécifiquement une situation parce que je me contente de transposer une autre situation connue qui lui ressemble.
• L’insensibilité à des situations non vécues : je vais interpréter en fonction de mon vécu personnel seulement. Ainsi un jeune Européen imagine mal la détresse provoquée par une famine (Ruth 1.1) ou par une guerre (1 Sam 17.11).
• Le biais de croyance : le jugement sur la logique d’un argument est biaisé par la croyance en la vérité ou la fausseté de la conclusion, ou par les conséquences de cette conclusion. Par exemple, je vais rejeter tel argument pourtant logiquement fondé parce qu’il m’obligerait à changer une habitude que je veux conserver.

Biais liés au groupe

• L’attachement inconditionnel à un leader, à un enseignant ou à un groupe d’élite : tout ce que le leader ou le groupe dit est impossible à remettre en cause et seule son interprétation est recevable.
• Le biais de groupe : c’est la tendance à appuyer les idées du groupe auquel on appartient ou du leader auquel on se réfère, pour être bien intégré et valorisé. On refusera de remettre en cause une interprétation douteuse tenue par notre église locale car cela pourrait conduire à être marginalisé ou rejeté par elle.
• Le biais culturel  : interpréter et juger des événements du passé à travers le filtre de nos références culturelles ou théologiques actuelles.
Par exemple, nous croirons voir de l’humour dans un texte biblique alors que les contemporains de l’auteur avaient probablement un humour différent du nôtre.
• L’effet de vérité illusoire  : j’accepte une interprétation du simple fait que je l’ai déjà lue ou entendue, sans la vérifier soigneusement.
• L’effet de répétition  : une interprétation entendue souvent et depuis longtemps paraît plus fiable qu’une autre plus récente.

Biais liés à la façon de lire la Bible

• Le biais de confirmation : c’est une attention particulière pour les textes qui appuient l’idée qu’on a déjà et une tendance à ne pas s’arrêter sur ceux qui semblent s’écarter de cette idée. Cela est proche des biais de statu quo (résistance de principe au changement, qui perturbe et menace) et de confirmation d’hypothèse (au cours d’une recherche, on privilégie les informations qui confortent l’hypothèse de départ).
• L’attachement à un code typologique rigide : par exemple, la mer est systématiquement interprétée comme désignant le monde, le levain comme représentant le péché — sans tenir compte du contexte et de la diversité des images bibliques.
• Le biais de l’unité biblique : on va extrapoler des transpositions de l’A.T. au N.T. sans tenir compte de la progression de la révélation et de la novation de la nouvelle alliance, en abusant de l’argument de l’unité de la Bible.
• Le biais rétrospectif : on juge des comportements ou des événements après coup, quand on connaît la fin de l’histoire. Par exemple, les interventions de Pierre dans les Évangiles vont être systématiquement interprétées de façon négative, sous prétexte qu’il a ensuite renié Jésus.
• La primauté donnée à l’émotion : je fais une lecture uniquement émotionnelle de la Parole, donc très superficielle et partielle : je retiens « ce qui me touche aujourd’hui », un mot, une expression.

3. Un cadre indispensable pour une bonne interprétation

En résumé, bien interpréter la Bible suppose :
• Une prière d’humilité demandant l’aide du Saint-Esprit.
• Une conviction ferme de l’inspiration divine de l’Écriture et donc de son autorité (2 Tim 3.16).
• Un examen honnête de soi-même (2 Cor 13.5) et le désir de se laisser examiner par Dieu (Ps 139.23-24) pour dépister autant que possible les « biais » qui faussent nos perceptions et analyses.
• Une vraie ouverture pour étudier et évaluer des interprétations différentes des miennes.
• Un peu de formation à l’herméneutique !

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Lacombe Jean
Jean Lacombe a été pendant de nombreuses années missionnaire en République Démocratique du Congo, puis au Burkina-Faso. Il est depuis quelques années en Suisse, où il a rejoint une équipe qui coordonne l’activité de centres bibliques dans divers pays d’Afrique. Il est marié et père de quatre fils. Il est ancien de son église locale et s’implique également dans l’enseignement biblique.