Dossier: Le royaume de Dieu
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Royaume des cieux ou royaume de Dieu ?

Certains chrétiens se demandent s’il y a une différence entre « royaume de Dieu » et « royaume des cieux ». En effet, nous constatons que les Évangiles emploient les deux expressions. Sont-elles synonymes ou existe-t-il une différence de sens ?

L’expression « royaume des cieux »

En relevant les différents emplois de « royaume des cieux » et « royaume de Dieu », nous remarquons que l’expression « royaume des cieux » n’est employée que par Matthieu.

Par ailleurs, si nous mettons côte à côte les passages parallèles de Matthieu, Marc et Luc, nous nous apercevons que les termes « royaume de Dieu » et « royaume des cieux » sont interchangeables : lorsque Matthieu parle de « royaume des cieux », Marc et Luc parlent de « royaume de Dieu ». Voici quelques exemples :

Exemple 1

« Dès ce moment Jésus commença à prêcher, et à dire : Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche. » (Matthieu 4.17)

« Il (Jésus) disait : Le temps est accompli, et le royaume de Dieu est proche. Repentez-vous, et croyez à la bonne nouvelle. » (Marc 1.15)

Exemple 2

« Je vous le dis en vérité, parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’en a point paru de plus grand que Jean-Baptiste. Cependant, le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui. » (Matthieu 11.11)

« Je vous le dis, parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’y en a point de plus grand que Jean. Cependant, le plus petit dans le royaume de Dieu est plus grand que lui. » (Luc 7.28)

Exemple 3

« Et Jésus dit : Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi ; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. » (Matthieu 19.14)

« Jésus, voyant cela, fut indigné, et leur dit : Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. » (Marc 10.14)

« Et Jésus les appela, et dit : Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. » (Luc 18.16)

Métonymie et euphémisme

Je pourrais multiplier les exemples mais je pense que ces trois-là suffisent à montrer que ces deux termes sont synonymes. Comment donc expliquer cette différence ? Pour cela, il faut connaître les habitudes des Judéens de l’époque.

Le royaume des cieux est en fait une « métonymie toponymique euphémisante ». Qu’est-ce que cela ?

Une « métonymie toponymique » est une figure de style qui permet de désigner un objet ou une personne par un lieu qui lui est lié. Par exemple : la Maison Blanche pour le président des ÉEtats-Unis ; l’ÉElysée pour le président de la République française ; le Kremlin pour le président russe ; Matignon pour le Premier ministre français.

L’ « euphémisme » est une figure de style qui a pour but d’atténuer une réalité jugée trop choquante, trop brutale ou désagréable, souvent en rapport avec la mort, la violence ou la sexualité. Par exemple, on dira : « Il nous a quittés » (c’est-à-dire il est mort) ou « avoir des relations intimes » (c’est-à-dire avoir des relations sexuelles).

Depuis le temps de l’exil à Babylone, les Judéens se montraient beaucoup plus prudents, presque superstitieux, vis-à-vis du nom de Dieu. Ainsi, ils ne prononçaient plus le tétragramme sacré (YHWH), et lorsqu’ils devaient le lire dans le texte biblique, ils le remplaçaient par « Adonaï », qui veut dire « Seigneur ». Dans le Nouveau Testament, lorsque les auteurs citent un verset de l’Ancien Testament qui contient le tétragramme YHWH, ils le remplacent par « kurios », qui veut dire « Seigneur », et qui est en fait la traduction grecque d’ « Adonaï ».

Mais certains, allant plus loin, estimaient même qu’il fallait éviter de prononcer le terme de « Dieu » lui-même et ils préféraient donc, pour parler de Dieu, employer le terme de « ciel » ou de « cieux ».

La première attestation de ce remplacement se trouve dans Daniel 4.26 : « Et quant à ce qu’on a dit de laisser le tronc des racines de l’arbre, ton royaume te demeurera, quand tu auras connu que les cieux dominent » — c’est-à-dire que Dieu domine.

L’expression « les cieux » apparaît plusieurs fois dans les livres des Maccabées rédigés à l’époque hellénistique, puis dans la Mishnah, des écrits rabbiniques rédigés en hébreu à l’époque de Jésus et compilés définitivement au IIe siècle.

Nous avons aussi un exemple de cette pratique dans le Nouveau Testament. Dans la parabole du fils prodigue, celui-ci se dit : « Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. » (Luc 15.18)

« Cieux » est donc simplement un terme pour désigner Dieu, de la même façon que « l’Élysée » désigne le président de la République française.

L’Évangile selon Matthieu

Pour comprendre maintenant pourquoi Matthieu a opté pour cette solution, à l’inverse de Marc et de Luc, il faut remonter à l’origine des Évangiles. Chaque Évangile a au départ été écrit dans un but précis et pour un destinataire particulier. Or, Matthieu a deux particularités, puisque cet Évangile a été écrit, au moins dans sa plus grande partie, pour les Hébreux, dans leur langue (hébreu ou araméen, la question est disputée entre spécialistes1). Eusèbe de Césarée, dans son Histoire ecclésiastique, cite Papias de Hiérapolis : « Matthieu réunit donc en langue hébraïque les sentences (logia) de Jésus et chacun les interpréta comme il en était capable. » Irénée de Lyon ajoute : « Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d’évangile. » (Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, III, 1)

Conclusion

Matthieu a donc employé l’expression « royaume des cieux » pour s’adapter aux habitudes de ses destinataires et éviter de les choquer. Une étude comparative des trois Évangiles nous montre cependant que les expressions « royaume de Dieu » et « royaume des cieux » sont synonymes, le terme « des cieux » étant simplement une métonymie toponymique euphémisante pour désigner Dieu.

1Remarquons que les textes antiques de Matthieu dont nous disposons sont tous en grec, tout comme les citations que les Pères de l’Église font de cet Évangile. (NDLR)

 

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Vincent David
David Vincent est étudiant en histoire et en sciences religieuses. Il tient un blog à l’adresse http://didascale.com/a-propos