Dossier: 1 Corinthiens
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Sagesse et connaissance selon Dieu et selon l’homme

Lorsqu’on commence la lecture de la Première Épître aux Corinthiens, le premier thème qui se dégage est l’opposition vigoureuse que Paul développe entre la sagesse « de ce monde » et la sagesse de la croix. Ensuite, en poursuivant la lecture, la « connaissance » selon les standards de l’époque est elle aussi questionnée (8.2 ; 13.2).

Dans cet article nous définirons tout d’abord la différence entre ces deux termes, avant de les replacer dans le contexte de l’époque. Puis nous relèverons les contrastes entre la sagesse selon l’homme et selon Dieu, minutieusement exposés par Paul dans les deux premiers chapitres. Nous nous interrogerons ensuite sur l’application de ces contrastes à notre environnement du 21e siècle, en soulignant comment établir des points de contact avec nos contemporains tout en évitant la porosité entre les idées ambiantes et les nôtres.

Définition

Dans la Première lettre aux Corinthiens, l’apôtre s’intéresse à la sagesse (sophia) et à la connaissance (gnosis). Paul devait combattre à la fois l’attrait que gardaient les Grecs pour la rhétorique1 et la dialectique2 , et la fascination de « spirituels » pour une forme primitive de gnosticisme 3. Paul introduit une distinction entre ces deux notions lorsqu’il écrit : « À l’un est donnée par l’Esprit une parole de sagesse ; à un autre une parole de connaissance » (12.8).
Du point de vue linguistique, F. Godet voit dans la terminaison des deux mots en grec une nuance différente : pour la sagesse, le « ia » évoque la possession calme, pour la connaissance le « sis » la recherche en cours. Henri Blocher souligne que la connaissance a généralement un objet, et voit dans les deux termes une différence « d’aspect et d’ampleur. La connaissance est rapport direct avec l’objet connu […] la sagesse, elle, intègre et totalise la connaissance de Dieu et de son œuvre, envisagée dans son ensemble (1 Cor 2.6ss) […] le sage en a les principes comme vivant en lui-même (« Nous avons la pensée de Christ » 2.16) ; ils lui servent alors de guide dans le gouvernement de sa vie ».4 .
Nous nous focaliserons plus sur la sagesse que sur la connaissance dans cet article étant donné son caractère plus englobant et la longueur du traitement que Paul lui réserve dans cette Première lettre aux Corinthiens.

Contexte de l’époque

Une lecture, même rapide des textes de sagesse de l’A.T. nous présente la sagesse sous un jour positif bien différent du propos de Paul en 1 Cor 1 : c’est donc une « sagesse » bien humaine, du monde, qu’il évoque dans ces lignes. Le monde gréco-romain du 1er siècle vit sous l’influence de différentes écoles de pensées de la philosophie grecque, elles-mêmes fortement influencées par les philosophes de l’antiquité tels que Socrate, Platon et Aristote. Si ces écoles varient dans leur conception du monde, elles s’accordent pour placer l’homme au centre, comme « mesure de toute chose », suivant l’expression du sophiste Protagoras (490-420 av. J.-C.). La plupart insistent sur la maîtrise de l’art du discours et de la dialectique.

Sagesse selon l’homme et selon Dieu

Le long développement des chapitres 1 et 2 oppose successivement la sagesse « de ce siècle » à la croix (1.18-25), à ceux qui sont appelés au salut (1.26-31), à la prédication (2.1-5), et enfin à la véritable sagesse (2.6-16).

La croix et la sagesse humaine (1.18-25)

Les objectifs de l’une et de l’autre ne peuvent être plus différents : là où la sagesse humaine propose aux hommes de tendre vers le monde parfait des idées (Platon), ou le bonheur (épicuriens), ou le détachement de la souffrance (cyniques) ou enfin la réconciliation avec leur destin (stoïciens), la croix est une puissance (plus qu’une sagesse) qui sauve. D’emblée, Paul pose cet enjeu majeur au verset 18, afin de détourner les Corinthiens de leur fascination pour la virtuosité et la perspicacité humaines pour les amener à l’essentiel : être sauvé ou périr. Les versets 19 et 20 démontrent que les instances détentrices de la sagesse sont disqualifiées : leur prétendu savoir est pure absurdité s’il ne leur permet pas d’entrer en relation avec le Dieu de l’univers, qui les a créés et les fait vivre. Déjà en Ésaïe 29, cité ici, les prétendus prophètes que l’on prenait pour des sages étaient incapables de discerner l’action de l’Éternel.
La popularité de leur message est également opposée : là où la sagesse antique est plébiscitée, l’idée que le salut du monde soit réalisé par un homme crucifié est la plus ridicule et rebutante qui soit. Cependant, Dieu a choisi dans sa souveraineté non d’être connu par la sagesse humaine, mais de se révéler par le message de la croix, qui renverse toutes les normes et va à l’encontre des attentes courantes. Ce qui est faible selon les critères humains – la croix – libère la puissance divine pour ceux qui « sont appelés ».

Ceux qui sont appelés au salut et la sagesse humaine (1.26-31)

L’accès à la sagesse divine ou humaine est également radicalement différent : universel pour l’une, élitiste pour l’autre. L’objectif de Dieu, en appelant « les choses basses et méprisées du monde, celles qui ne sont rien », est de faire obstacle à tout orgueil humain. Si la connaissance de Dieu était réservée à ceux qui avaient le plus de sagacité, ils pourraient se vanter d’être supérieurs aux autres d’une part, et auraient un statut de « prêtres » d’autre part, dans le sens que l’on viendrait à eux pour le salut. L’intention de Dieu, en choisissant les plus humbles, est un renversement de valeurs : couvrir de honte (1.27) ceux qui se prétendent sages et puissants, et anéantir5 en définitive le prestige lié au fait d’appartenir à une élite.
Elles diffèrent en termes de fierté et de contenu : au sein d’une société gréco-romaine modelée par les notions d’honneur et de honte, Paul présente Jésus comme unique sagesse, et seule source de fierté possible, en s’appuyant sur la citation de Jérémie 9.22-23. Il détaille le caractère sotériologique6 de cette sagesse que nous avons « à partir de lui » : justice (pour être en règle avec Dieu), sainteté (ici dans le sens que Dieu nous considère comme saints), et rédemption 7.

La prédication et la sagesse humaine (2.1-5)

Elles diffèrent également par leur forme, en raison de leur contenu : si Paul voulait persuader ses auditeurs, ainsi qu’on le voit à plusieurs reprises dans le livre des Actes8 , il ne voulait pas convaincre les Corinthiens d’une manière qui serait allée à l’encontre du message qu’il annonçait. Le cœur de sa prédication, Jésus-Christ « crucifié en faiblesse » (2 Cor 13.4, version Darby), exclut les procédés rhétoriques qui fascinaient les foules dans le monde gréco-romain. Le chemin de la puissance passe précisément par la faiblesse et l’inspiration de l’Esprit.

La véritable sagesse (2.6-16)

Elle n’est pas sagesse de ce temps, elle est mystérieuse : la vision du monde des personnes non-chrétiennes est limitée à l’ère actuelle (1.20 ; 3.18), dont Satan est le dieu (2 Cor 4.4). Si les chrétiens peuvent vivre « conformément à la sagesse dans le temps présent » (Tite 2.12), cette sagesse, préparée « avant tous les temps » est un mystère pour nos contemporains et les « chefs de ce temps » en particulier.
Le cœur de la véritable sagesse réside en Dieu lui-même, dans son projet et sa profondeur : Dieu avait préparé quelque chose de surprenant9 , révélé à ceux qui l’aiment par l’entremise de l’Esprit.
Seul l’Esprit de Dieu, en effet, peut sonder et communiquer la profondeur de la sagesse divine. Celui-ci a une triple fonction : nous révéler la véritable sagesse (2.10,12), nous aider à la communiquer (2.13) et l’appliquer dans nos appréciations de situations ou de personnes (2.15).
L’affirmation finale (2.16) peut paraître arrogante : mais le contexte de la citation d’Ésaïe 40 montre que les plans insondables de Dieu sont inaccessibles aux humains, et que si « nous avons la pensée de Christ », c’est par la grâce seule de Dieu.

Et aujourd’hui ?

La sagesse du 21e siècle présente des traits similaires avec la sagesse grecque, même si certaines caractéristiques secondaires diffèrent. Les contrastes relevés précédemment subsistent donc. Que faire ? Nous préserver de la pensée ambiante ?
L’Écriture trace un chemin étroit permettant d’établir des points de contact entre les deux sagesses afin d’amorcer la discussion avec nos contemporains, sans adopter, peut-être à notre insu, l’idéologie ambiante.
L’apôtre Paul dialogue en Actes 17 avec des philosophes épicuriens et stoïciens et, peu après, dans son discours à l’Aréopage, mentionnera l’autel au dieu inconnu érigé à Athènes 10. Pour établir des points de contact, Paul connaissait donc la sagesse de son temps.
Il en connaît aussi le pouvoir de séduction pour nous inciter « à ne pas nous conformer au monde actuel, mais d’être transformés par le renouvellement de l’intelligence » (Rom 12.2, S21) et fustige Démas qui l’a abandonné par amour pour le monde présent (2 Tim 4.10).
« Dans le monde mais hors du monde », en laissant notre esprit être renouvelé par l’Esprit de Dieu pour connaître, communiquer et appliquer dans nos vies sa sagesse : tel est notre défi. Dietrich Bonhoeffer le résume parfaitement dans une lettre à sa fiancée : « Il faut que Dieu nous donne chaque jour la foi ; je ne parle pas de la foi qui fuit le monde, mais de la foi qui tient bon dans le monde […] Je crains que les chrétiens qui n’osent avoir qu’un pied sur la terre n’aient aussi qu’un pied au ciel. »

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  1. Ensemble de procédés constituant l’art du bien-dire, de l’éloquence (Larousse).
  2. Suite de raisonnements rigoureux destinés à emporter l’adhésion de l’interlocuteur (Larousse).
  3. Cette doctrine se définit comme une connaissance conduisant au salut par une révélation, réservée aux seuls initiés, des mystères du monde divin et des êtres célestes, des secrets de leur propre origine et des moyens de la rejoindre (Larousse). Ce mouvement, qui s’est propagé dans l’empire romain au cours des 2e et 3e siècles, prône le détachement de l’âme des entraves du corps afin de la ramener à l’état de pureté initiale, et établit des distinctions entre les privilégiés qui accèdent à cette connaissance et le reste des mortels. 
  4. Henri Blocher, « Sagesse et connaissance », La Bible au scanner, Fac-Réflexion, n° 46-47, p. 32-33.
  5. Le verbe kartageo, traduit ici par anéantir, signifie « annuler », « rendre sans effets », « anéantir » (terme aussi employé en Rom 6.6 et Héb 2.14).
  6. En lien avec le salut
  7. Terme utilisé pour la libération des esclaves.
  8. Act 18.4,13 ; 19.8,26 ; 26.28 ; 28.23.
  9. Comme le rappelle la citation d’És 64.3.
  10. L’épisode est d’ailleurs instructif sur l’utilité et les limites de ces « points de contact » : S’ils permettent à Paul de prêcher l’Evangile en étant compris et entendu, ils ne suscitent pas la foi et n’amènent pas à un changement profond d’attitude et de pensée : Seul l’Esprit de Dieu peut opérer cela.
Argaud Christophe
Christophe Argaud, après plusieurs années dans l’industrie médicale, est directeur de la Société Biblique de Genève et de la Maison de la Bible. Il est actif dans son église locale, à Lausanne et s’implique dans diverses conférences, formations bibliques, rencontres de jeunes, etc.