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Samson: Un pays ravagé

(Juges 15)

Israël devait passer tous les habitants de la terre promise par le fil de l’épée (Deut 20.16). La conquête par extermination commencée sous Josué devait être achevée par les générations suivantes. Devant le refus d’accomplir la justice divine, devant la multiplication de compromis et d’alliances avec les populations locales, Dieu s’est retourné contre son peuple. Comme annoncé par Moïse (Deut 28.15-68), le malheur était au rendez-vous.

La tâche de Samson consistait à sortir le peuple de sa léthargie, à le sensibiliser aux dangers des compromis et, en fin de compte, à le mener au combat contre les Philistins. Comme nous l’avons indiqué dans deux études antérieures (Promesses 1993/4, 1994/1 ), Samson est fidèle à l’Eternel. Au travers d’actes symboliques, il cherche à enseigner son peuple. Son mariage avec une Philistine montrait les dangers de mauvaises alliances.

Les récits du chapitre 15 reprennent et complètent le chapitre 14. Samson poursuit son enseignement sur la nature des Philistins et sur le danger d’alliances avec ce peuple. Comme lors de son mariage avec la Philistine (chapitre 14), notre héros enseigne son peuple au travers d’actes symboliques.

Samson visite sa femme

A l’époque de la moisson, Samson retourne vers la Philistine qui lui avait été promise (15.1). Pourquoi retourne-t-il vers elle, puisque lors des noces, il avait dévoilé la nature corrompue de cette femme et de tous les Philistins (Promesses 1994/ 1)? Quel sens donner aux paroles du juge lorsqu’il dit: je vais entrer dans la chambre de ma femme?

La chambre et le lit d’une femme représentent l’endroit de l’ intimité. Samson va vers la Philistine pour s’unir à elle. Il veut consommer son mariage, car lors des noces ( corrompues par l’iniquité des Philistins ), Samson avait quitté sa femme avant de s’unir à elle. Maintenant, il veut la connaître. Cette attitude surprend, puisque notre juge venait de démontrer la folie d’une alliance avec une telle femme. Samson aurait-il modifié son opinion ou serait-il naïf au point de croire que la femme a changé ? Rien de tout cela. Notre héros est convaincu du contraire: rien n’a changé et rien ne changera (malgré la leçon de justice donnée aux Philistins). Samson se montre pourtant prêt à pardonner la trahison passée. Il est même prêt à offrir une deuxième chance aux Philistins, mais comme lors des noces, il sait d’avance que cela ne jouera pas. Il est même convaincu qu’avec les Philistins cela ne pourra jamais jouer.

Lui n’a pas besoin de voir pour le croire. Puisque le Dieu de la vie a interdit des alliances avec ce peuple, cela lui suffit. Son insistance à s’engager avec cette femme vient de son désir de laisser aux Juifs une autre preuve de la nature corrompue des Philistins: un deuxième témoignage qui confirmera le premier. Ainsi, tout doute sera balayé.

Dès son arrivée, Samson apprend que sa femme a été offerte à quelqu’un d’autre (15.1-2). La promesse de lui donner cette Philistine n’a pas été tenue. Pire, le père rejette la faute sur Samson: j’étais persuadé que tu n’avais pour elle que de la haine (15.2). Accuser Samson de ne pas tenir ses engagements, alors que ce sont les Philistins qui ont triché! C’est un comble! Les coupables rejettent la faute sur l’innocent. Ces paroles du père témoignent que rien n’a changé chez les Philistins. Aucun repentir, mais une arrogance toujours plus marquée.

Devant le contrat rompu, devant les accusations infondées, Samson, le juge, doit intervenir et punir les coupables; Lorsqu’ il dit cette fois je ne serai pas coupable envers les Philistins, si je leur fais du mal (15.3), Samson utilise une litote: puisqu’un deuxième témoignage de la culpabilité de ce peuple a été fourni, leur condamnation est sans appel.

Des récoltes incendiées

La justice de Samson sera équitable. Pour comprendre la nature du jugement, il faut saisir d’abord l’ étendue du tort. La période de la visite donne une indication des attentes de Samson. En choisisant l’époque de la moisson (15.1) pour visiter sa femme, notre homme ne manifeste pas seulement un désir de coucher avec elle, mais encore et surtout une intention de recevoir une descendance. En le privant de femme, les Philistins l’ont privé aussi de descendance.

En juste juge, Samson applique la loi du talion: oeil pour oeil, dent pour dent, moisson pour moisson. Puisque les Philistins l’ont privé de sa moisson ( c’est à dire de sa descendance), il les privera de leur moisson. Leurs champs seront incendiés. Le lecteur juif notera, en passant, qu’une alliance avec les Philistins n’offre aucun avenir, puisque toute descendance est supprimée.

300 renards attachés par la queue

Pour accomplir son jugement, Samson attrape 300 renards qu’il attache par la queue avec une torche au milieu. Une fois les torches allumées, notre juge lâche ces 150 paires pour incendier tout le pays des Philistins. L’ action du juge est riche de sens.

En attachant des renards deux à deux par la queue, Samson veut symboliser des alliances mauvaises, des alliances qui ne peuvent produire que la destruction. Imaginez deux renards attachés par la queue. Chacun va tirer de son côté: aucune harmonie n’est possible. De plus si une difficulté se présente, si un problème surgit entre eux comme une torche enflammée, chaque partie redoublera d’efforts pour partir de son côté. Une collaboration des renards pour trouver un étang, y tremper leur queue et éteindre la mèche, est inimaginable. Chacun va tirer de toutes ses forces de son côté. L’anarchie est totale. Tout le pays est parcouru au hasard des efforts de chaque animal. Aucune solution ne peut être trouvée. Pire, tout le pays est contaminé par leur problème; toute la contrée est dévastée. Le message de Samson est clair: une mauvaise alliance ne produit rien de bon. Si Israël s’allie avec les Philistins, l’avenir ne peut être que sombre. A la moindre difficulté, chaque peuple ne pensera qu’à ses intérêts et le pays sera ravagé par les nombreux antagonismes.

Certains trouveront l’action du juge cruelle envers les renards, car ces animaux ont souffert injustement. Mais, dans cette souffrance, n’y a-t-il pas encore un symbole à saisir? Lorsqu’un pays est dominé par des hommes pécheurs, toutes les créatures sont plongées dans la souffrance. Comme les animaux sont des créatures inférieures, elles partagent (en partie) le sort des humains. Ainsi lors de la conquête de certaines villes, les animaux devaient être tués avec les hommes. Si notre esprit peut s’étonner de l’ordre divin, il innocente certainement Samson.

Pour saisir tout le symbolisme de cet acte, il est bon de s’arrêter encore un instant sur la quantité d’ animaux impliqués dans la destruction du pays. Le nombre 300 est peu fréquent dans l’Ecriture, mais il apparaît une autre fois dans le livre des Juges. Jephthé affirme que 300 ans séparent la conquête de la Transjordanie de son époque (11.26). Comme l’oppression des Ammonites du temps de Jephthé est contemporaine à une oppression de Philistins (10.6-7), et comme d’autre part la durée de la période des juges (calculée sur la base de l’information contenue dans 1 Rois 6.1) est inférieure à la somme des années d’oppression et de repos indiquées dans le livre des Juges, plusieurs commentateurs concluent que Jephthé et Samson sont contemporains, l’un ayant exercé son ministère en Tranjordanie (à l’est), et l’autre sur le littoral méditerranéen (à l’ouest). Les 300 renards symboliseraient, alors, les 300 ans pendant lesquels le littoral était sous domination philistine plutôt que juive.

Des meurtriers punis

Les Philistins répliquent à l’ action de Samson en attaquant sa belle-famille: les Philistins montèrent et brûlèrent (la Philistine), elle et son père (15.6). L’injustice de ce peuple éclate une nouvelle fois. Pourquoi tuer ces gens? Même s’ils étaient coupables de l’incendie (ce qui n’est pas le cas ), la destruction de biens matériels ne justifie jamais la mort. La peine capitale ne doit être administrée qu’en cas de blasphème ou d’une atteinte grave à la personne humaine. Un délit matériel ne peut être puni que par une amende, car la vie d’un homme est plus précieuse que tout l’argent du monde.

Samson réplique en battant les Philistins rudement, à plate couture (15.8). Comme suzerain légitime de ces voisins d’Israël (voir Promesses 1994/l), Samson applique une justice équitable. Puisque les Philistins se sont comportés en meurtriers, ils doivent mourir (Ex 21.12). Pour eux, la peine capitale est méritée.
 Lorsque les Philistins avaient péché en cachette la première fois, Samson les avait punis presque à leur insu. Comme cette fois l’iniquité n’est pas dissimulée (les Philistins ont commis leurs meurtres en plein jour), Samson rétablira la justice publiquement.

L’observateur attentif relèvera une extension des hostilités. (1) Des simples menaces de mort proférées pendant les noces (14.15), les Philistins passent aux actes en tuant sans raison des membres de leur propre peuple. (2) Après le péché opéré en cachette lors des noces, les Philistins bafouent la justice ouvertement. (3) De son côté, si Samson commence par tuer 30 hommes, le nombre des victimes semble augmenter: d’un nombre apparemment important (il les battit rudement, à plate couture: 15.8), on passera à 1000 victimes (15.16), puis même à 3000 à la fin de sa vie ( 16.27) soit plus que tous ceux qu’il avait tués pendant sa vie (16.30). Cette extension des hostilités est souhaitée par Samson, car une paix avec les Philistins s’oppose à la volonté divine. Samson agite le bâton dans la fourmilière pour obliger ses compatriotes à réagir: Ne vous laissez pas séduire par de belles paroles, mais soyez réalistes et battez-vous.

La lâcheté des frères

Les actions de Samson amènent les Philistins en territoire juif, ce qui n’est pas du goût des hommes de Juda qui craignent leurs voisins et veulent vivre en bons termes avec eux. Plutôt que de réagir et de saisir l’occasion de secouer le joug philistin, les hommes de Juda s’abaissent jusqu’à livrer leur héros.

La situation de Samson est délicate. Il accepte de se livrer à ses compatriotes à une condition: jurez-moi que vous ne me tuerez pas (15.12). Samson ne veut pas se battre contre ses frères. Dans la mesure où sa vie n’est pas menacée par les Juifs, il accepte le sort qu’ils lui réservent. Son ministère se poursuivra malgré tout. Il profitera même des nouvelles circonstances pour montrer aux hommes de Juda que les Philistins ne présentent aucun danger pour celui qui est consacré à l’Eternel.

Avec une mâchoire d’âne fraîche

En communion étroite avec Dieu, Samson est invincible. Sitôt livré aux Philistins, Samson est saisi par I’Esprit de l’Eternel, (15.14), les liens sont brisés; le joug de la captivité vole en éclat.

Samson exerce une nouvelle fois son ministère de juge. L’instrument du châtiment est une mâchoire d’ âne fraîche. L’objet convient à merveille pour punir des menteurs. Puisque ces hommes ne tiennent pas parole, une demi-bouche sera utilisée.

Dans la fraîcheur de la mâchoire, certains voient un indice de1a solidité de l’objet (un vieil os serait cassant). Sans exclure la dimension utilitaire, le choix de Samson est d’abord guidé par le symbolisme. La fraîcheur de l’os introduit une dimension temporelle. Puisque les mensonges des Philistins sont récents, la mâchoire est fraîche. En effet, la dernière tromperie ne remonte qu’à quelques heures, lorsque les Philistins ont dit aux hommes de Juda: nous sommes montés pour lier Samson, afin de le traiter comme il nous a traités (15.10). Les Philistins prétendent à l’équité: puisque cet homme a tué des Philistins, les Philistins le tueront. Ce rapprochement est trompeur et déforme la réalité. En tuant les Philistins, Samson avait agi selon la justice: les meurtriers devaient mourir. Quand les Philistins veulent tuer Samson, la situation est tout autre. Samson est un homme droit. Le mettre à mort est un meurtre. La prétendue justice philistine n’est qu’un tissu de mensonges. Par une demi-bouche, ils seront jugés.

Un dernier symbolisme peut être trouvé dans la nature de l’animal choisi. Un âne est un animal impur pour les Juifs. L’os d’un tel animal convient donc bien pour punir une nation impure. De plus, dans la maxime qui célèbre sa victoire (15.16), Samson s’amuse à identifier les Philistins avec des ânes. Le parallélisme entre les deux lignes du verset 16 place sur un même plan les mille hommes tués ( 15 .16b ) avec l’expression un âne parmi les ânes (traduction de la Colombe: 15.16a). Comme le mot hébreu hâmor(traduit par âne) véhicule aussi le sens d’empiler, l’expression un âne parmi les ânes peut aussi être rendue par: un tas d’ânes (la TOB traduit par je les ai entassés). Les mille Philistins tués ne sont finalement qu’un tas d’ânes. La comparaison n’a rien de flatteur, mais pour un peuple dont les meurtres témoignent un profond mépris de la vie humaine, l’abaissement au rang d’animal se comprend.

La bénédiction divine sur Samson

Le récit se termine avec une prière exaucée. Dans le besoin, Samson prie l’Eternel. Celui-ci répond par un prodige qui rappelle Moïse (Ex 17.3-6; Nom 20.7-11). Ce rapprochement est des plus flatteurs pour Samson, et devrait convaincre tout lecteur resté sceptique quant à la justesse des actions de notre juge: secouru par Dieu d’une façon analogue, Samson et Moïse sont placés sur un même plan. Manifestement aux yeux de Dieu, les deux hommes sont d’un même calibre.

D.A.
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Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.