Dossier: Destination Mariage
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Samson: Visites à deux femmes

(Juges 16)

Le parcours sans faute de Samson touche à sa fin. Ce héros dont nous avons pu admirer la consécration dans nos études précédentes (Promesses 1993/4, 1994/1,1994/2) finit par tomber dans la défaite. Son péché avec Dalila est indéniable puisqu’il perd sa force et que l’Eternel se retire de lui (16.20). Les critiques pleuvent sur notre héros, mais sont-elles bien ciblées? Quelle est la nature réelle de sa faute?

Le récit de son engagement avec Dalila est précédé d’un autre engagement avec une femme. Dans les deux cas, Samson a (ou semble avoir eu) une relation sexuelle. Les traits communs des deux textes ont conduit de nombreux commentateurs à discerner des leçons identiques dans les deux textes. Une seule et même faute de Samson serait soulignée par l’auteur .Cet te lecture ignore les nombreux contrastes qui, loin d’aligner ces récits sur un même plan, situent le comportement de Samson aux antipodes d’une évaluation divine. La similitude entre les deux visites n’est qu’une apparence, et une lecture attentive peut relever de nombreux et profonds contrastes.

Contraste entre deux visites

En premier, on peut noter la longueur inégale des deux récits. Le premier est résumé en trois versets (16.1- 3), alors que le second s’étend sur 18 versets (16.4-21), soit un rapport de 1 à 6.

Plus important est le contraste entre l’issue des engagements. Samson sort victorieux de sa première aventure. En fait, sa force ne paraît jamais aussi imposante que lorsqu’il arrache les portes de Gaza (avec les poteaux !) pour les transporter du bord de la mer au sommet d’une montagne. Distance à vol d’oiseau entre Gaza et Hébron: 60 kilomètres; dénivellation: 1000 mètres. Prodigieux. Samson est victorieux et alerte. En pleine nuit, il se lève pour sortir de la ville. Le sommeil ne l’a pas retenu.

Lors de sa seconde aventure, Samson est vaincu, totalement et misérablement, par une femme qui a su lui tirer les vers du nez. L’Eternel, si présent jusque-là, s’est retiré (16.19). Samson perd force, vue et liberté. Abaissé au rang d’un animal (16.21), astreint aux travaux forcés, aveugle, Samson est pitoyable. Tout au long du contact avec Dalila, notre juge paraît lourd, lent à comprendre, endormi. A plusieurs reprises, le texte relève le sommeil du juge (16.14,19,20), contrairement à la section précédente.

Ainsi, si la première expédition culmine dans la gloire de la victoire, la seconde sombre dans les misères de la défaite. Le premier récit conclut avec les portes de Gaza largement ouvertes (elles sont même arrachées et ne peuvent plus se fermer) et invitent les armées juives à envahir le territoire ennemi. La victoire de Samson est manifeste pour tous puisque les portes de la ville sont placées au point culminant du pays, tel un trophée qui se dresse vers le ciel de Juda. Le second récit se termine avec des portes de prison verrouillées et gardées pour empêcher et décourager toute fuite du juge juif. Le prisonnier est enterré dans la prison, à l’abri de tout regard. A l’image d’un Samson aveugle qui tourne en rond, l’avenir est noir et bouché.

Concernant les femmes, on notera que toutes deux travaillent pour de l’argent, de l’argent qui leur est payé par des hommes. Mais la manière de l’obtenir est différente: l’une donne en cachette son corps (la prostituée), l’autre extirpe par tromperie un secret (Dalila). La première est payée par son client, l’autre par les ennemis de son client. Les deux femmes monnaient leur service, mais leur travail touche deux domaines différents : la première s’exprime dans le domaine sexuel, la seconde dans le domaine affectif.

La nationalité des deux femmes est différente aussi. La prostituée de Gaza est une Philistine; Dalila est probablement une Juive. En effet, la somme démesurée offerte par chaque prince philistin (16.5) ne peut s’expliquer que dans le cas d’une trahison. Si Dalila était philistine, les princes du pays auraient fait pression sur elle à l’image des menaces de mort proférées par les habitants de Timna à l’épouse de Samson (14.15). Si Dalila est juive, les mille cent sicles d’argent de chaque chef s’expliquent par le prix exorbitant d’une trahison.

La relation de Samson avec les deux femmes est contrastée, elle aussi. Avec la première, aucun échange. Le juge se contente d’entrer chez la prostituée. Avec Dalila, les paroles sont abondantes, les dialogues riches, intenses et étendus dans le temps. Les sentiments de Samson sont relatés: il aime Dalila (16.4) et devant l’insistance de la femme, il finit par lui ouvrir son coeur (16.17).

Sur le plan géographique, un mouvement ascendant ouest-est et contrasté par un mouvement descendant nord-sud. Le premier récit commence au bord de la mer en territoire philistin et se termine à 1000 mètres d’altitude en territoire juif: plus précisément, il commence dans la ville côtière de Gaza au sud-ouest du territoire philistin et se termine dans les hauteurs d’Hébron situé à l’est de la frontière philistine. Le second récit suit le mouvement inverse: il commence dans les collines juives situées au nord-ouest du pays des Philistins pour se terminer à l’autre extrémité du territoire philistin à Gaza, dans les profondeurs d’une prison. Le premier récit commence dans une ville (Gaza) et se termine à la campagne (les montagnes d’Hébron), alors que le second commence à la campagne (dans la vallée du Soreq) et se termine dans la ville où le premier récit a commencé (Gaza).

Les contrastes abondent et soulignent des leçons distinctes. Dans le premier texte, le courage, la sagesse et le zèle de Samson sont relevés; dans le second, le lecteur découvre les fautes du juge.

Les leçons d’une visite à Gaza

Samson part à Gaza pour enseigner Israël. Comme lors de ses engagements décrits aux chapitres 14 et 15 (Promesses 1994/1, 1994/2), Samson illustre ses leçons par des actes symboliques.

L’objectif prioritaire de sa visite à Gaza est d’en arracher les portes, car il veut encourager Israël à attaquer cette ville. Sans portes, toute localité devient une proie facile pour une armée ennemie. Rappelons que Samson n’est pas appelé à chasser l’ennemi, mais seulement à commencer à le faire (13.5). Il prépare, ainsi, le terrain pour Israël. Dans le combat contre Gaza, il fait le gros du travail : il enfonce les défenses ennemies. Israël devrait suivre sans difficulté.

Samson choisit comme ville Gaza. Cette localité se trouve à l’extrémité sud du territoire philistin, ce qui oblige notre juge à traverser dans le sens de sa longueur tout le pays ennemi. Pourquoi arracher les portes de la ville la plus éloignée de Juda ? Tout simplement pour ouvrir à Israël une voie royale pour conquérir tout le pays. En prenant la ville la mieux protégée d’une agression israélienne, Samson encourage ses compatriotes et décourage l’ennemi. d’une part, les Juifs voient que tout est possible à celui qui fait confiance à Dieu, et d’ autre part, les Philistins réalisent qu’ils seront impuissants devant une armée dotée d’une telle force et d’un tel courage.

Samson pénètre chez une prostituée. Aucune immoralité chez notre juge sur lequel repose toute l’onction divine. Cherchait-il à se cacher chez une femme de mauvaise vie comme les deux espions envoyés par Josué pour explorer Jéricho ? Il ne semble pas, puisque l’auteur rapporte dans un même souffle l’arrivée du juge à Gaza et la diffusion de la nouvelle. Samson, fidèle à lui même, enseigne Israël symboliquement: la prostituée représente les Philistins, car ces hommes sont comme des prostituées. Ainsi, une association avec ces gens ne peut être que malheureuse. Avec une prostituée aucun avenir n’ est possible.

La facilité avec laquelle Samson entre dans Gaza et en ressort est à l’image de l’aisance avec laquelle un étranger peut pénétrer chez une prostituée. Elle annonce la facilité avec laquelle Israël pourrait pénétrer dans cette ville. La voie royale préparée par les portes arrachées invite les envahisseurs juifs à prendre possession du territoire, tout comme l’attitude provocante d’une prostituée invite tout étranger à venir prendre possession de son corps. Comme une prostituée dénudée, Gaza, privée de portes, s’offre au premier venu. Tout au long de ce premier récit, Samson est maître de chaque élément.

Coupable oui, mais de quoi?

Avec Dalila les choses changent. Samson, si parfait jusque-là, tombe dans le péché. Pour comprendre sa faute, il faut commencer par rectifier certaines accusations infondées. Pour certains, Samson aurait rompu son voeu de naziréen ! Certes, ses cheveux ont été coupés, mais ils l’ont été à son insu. Samson ne les a ni coupés ni fait couper par un autre.

D’autres critiquent le juge pour son rapport sexuel avec Dalila. On l’accuse d’avoir couché avec une prostituée philistine. Mais le texte ne précise pour cette femme ni son statut matrimonial (célibataire, fiancée, mariée, veuve), ni son engagement moral en général (prostitution ou non), ni sa nationalité (bien qu’ on puisse supposer qu’elle soit juive comme nous l’avons déjà indiqué). Le texte ne mentionne pas non plus de rapport sexuel. Si Samson est entré dans la maison de Dalila, il ne semble pas qu’il soit entré dans sa chambre, puisque c’est là qu’elle cachait les soldats philistins {16.9,12). Rusée comme un serpent et sûre de la droiture de Samson, Dalila cache les Philistins dans l’endroit de l’intimité, à l’endroit où elle sait qu’un homme intègre comme Samson ne voudra jamais aller.

Certes, Samson a aimé cette femme (16.4), mais cela n’implique pas qu’il l’a connue. La référence qui pourrait le mieux indiquer un acte sexuel est l’expression : elle l’ endormit sur ses genoux (16.19). Cette expression est généralement utilisée pour parler d’une mère qui veille sur son enfant. Elle souligne la proximité sur le plan affectif, rien de plus.

L’hypothèse d’une faute sexuelle écartée, l’attention peut se concentrer sur ce que le texte souligne. La confiance accordée à Dalila est le noeud du problème. Pourquoi Samson a-t-il dévoilé son secret à cette femme ? A la décharge du juge, on peut avancer que si Dalila était juive, Samson n’avait pas de raison particulière de s’en méfier. Mais la nationalité n’est pas tout. Dalila avait montré qu’elle était indigne de confiance. A trois reprises, elle avait cherché à tromper Samson (16.6,10,13). L’erreur du juge est de n’en n’ avoir pas tenu compte et d’ avoir accordé sa confiance à quelqu’un qui visiblement ne la méritait pas.

C’est tout le thème du ministère de Samson qui est rappelé, mais avec un renversement total. Samson le fils de la lumière est aveugle. Celui qui devait éclairer Israël sur la nature des Philistins est incapable de discerner la vraie nature de Dalila. Celui qui devait dénoncer toute alliance imprudente, se confie à celle qui veut le perdre.

Samson n’a pas péché ouvertement contre l’Eternel, et pourtant il a commis une erreur: une faute dont il porte l’entière responsabilité, une faute aux conséquences terribles. Samson appelé à éclairer Israël poursuit son ministère d’enseignement, mais cette fois à son insu. Comme il l’avait déjà annoncé, une confiance placée en des gens indignes de confiance ne peut aboutir qu’au désastre.

La plus grande victoire

Les Philistins pensent avoir maté leur ennemi. Par mesure de précaution, ils lui crèvent les yeux: même si sa force lui revient, il restera inoffensif. C’est méconnaître le caractère, et de Samson, et de Dieu. Samson est humble; il sait reconnaître son erreur; il sait s’humilier et implorer son Dieu en qui il a toujours placé sa confiance. Comme Dieu est compatissant, il répond sans tarder à sa prière et redonne à son oint toute sa force.

Une dernière fois, Samson exerce son ministère de juge. La punition correspond à l’offense, et cela sur trois plans: la nature du péché, l’identité des coupables, le lieu du délit. Commençons par la nature du péché. Puisque l’offense était des plus graves, la punition est des plus sévères. Un non-respect de la vie aussi total que celui manifesté par la mutilation grave d’un innocent ne peut être punie que par la peine capitale. Deuxièmement, l’identité des coupables est manifeste. Comme les responsables de l’injustice sont les représentants du peuple, les princes et leurs associés meurent (3000 hommes en tout). Pour terminer un mot sur le lieu du délit. Puisque les Philistins ont piégé Samson chez la personne en qui il s’était confié, Samson surprendra les Philistins dans le temple de leur idole, à l’endroit où ils se sentent le plus en sécurité.

Samson, un exemple pour aujourd’hui

Samson meurt dans son dernier acte de justice. Excepté son erreur de jugement, Samson laisse un des témoignages les plus lumineux de la Bible. Sa place dans le panthéoades hommes de foi (Héb 11.32) est entièrement justifiée. Aujourd’hui à une époque où l’attrait de mauvaises alliances semble fasciner toujours plus de gens, le peuple de Dieu a un besoin urgent de serviteurs qui emboîtent le pas à notre héros. Cependant, il leur faudra beaucoup de courage, de persévérance et de prudence, car comme l’ histoire de Samson l’a montré, la crainte, l’abandon et la trahison des frères sont au rendez-vous.
D.A.
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Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.