S’arrêter avant d’être arrêté
L’année sabbatique (Lévitique 25)
Il y a quelques mois, un présentateur de télévision, spécialiste de la prévention routière, a été contrôlé à 222 km/h au volant de sa voiture ! À la question « Pourquoi rouliez-vous si vite ? », il a répondu, en toute honnêteté : « Parce que j’étais pressé ! » Même si nous ne roulons pas aussi rapidement, nous devons bien constater que, à l’image de notre société, nous allons toujours plus vite.
Au chapitre 25 du Lévitique, Dieu donne une loi aux Israélites pour les obliger à s’arrêter, à « lever le pied », à prendre des vacances : « Pendant six ans, tu ensemenceras ton champ, et pendant six ans, tu tailleras ta vigne et tu en récolteras les produits. Mais la septième année sera un sabbat, une année de repos pour la terre. » (25.3-4a)
Une bonne nouvelle … refusée
Une loi qui ordonne de prendre des vacances est une bonne nouvelle ! On pourrait se dire que ce commandement a été populaire, mais, curieusement, il n’a pas connu le succès attendu : l’année sabbatique n’a pas toujours été mise en pratique par les Israélites.
De nos jours, il y a fort à parier qu’une telle loi ne serait pas non plus aisée à mettre en œuvre. S’il est vrai que, dans nos pays, nous passons moins de temps à travailler, nous ne nous reposons pas plus pour autant. La part des loisirs a augmenté et, finalement, nos journées sont plus remplies et stressantes que celles de nos ancêtres.
La difficulté de s’arrêter
Pourquoi est-il si difficile de s’arrêter ? Pourquoi enchaînons-nous les activités – qu’elles soient professionnelles, ludiques ou spirituelles ? Pourquoi avons-nous peur du repos, du silence ?
Blaise Pascal, le grand penseur chrétien, écrit dans ses Pensées : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » (Pensées, 139) Il explique que la raison pour laquelle les hommes courent toute la journée, se lancent dans des affaires parfois risquées, ou se querellent, est simplement l’incapacité, voire la peur, de rester tranquillement au repos dans leur chambre. Ils ont besoin de divertissement pour oublier leur condition. Pascal dit ainsi : « Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. [Aussitôt] il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir. » (Pensées, 131)
Pour Pascal, si les gens ne se reposent pas, c’est parce qu’ils ont peur de se trouver face à eux-mêmes, de regarder la vie en face. Pour fuir ce désespoir, cette peur du vide, les hommes et les femmes n’arrêtent pas de courir, et cherchent toujours le divertissement. Notre « société-spectacle » s’est d’ailleurs spécialisée dans cette fuite loin du vide et du silence qui nous font peur.
Qu’est-ce que le repos ?
Dieu nous demande de nous arrêter, mais quel est le sens du repos ?
Quand la Bible parle du repos, il ne s’agit pas simplement des heures où on ne travaille pas – il ne faut pas confondre loisir et repos. Le repos, le sabbat, est un temps consacré à Dieu, un jour différent des autres où nous nous reposons en lui.
On sait bien que la nature a horreur du vide. Et Dieu le sait. C’est pourquoi le repos n’est pas simplement quelque chose de négatif, l’absence de travail, mais aussi quelque chose de positif : passer du temps avec Dieu. Le repos selon la Bible est donc une période mise à part pour prendre du temps devant et avec Dieu. Se reposer, c’est s’arrêter pour regarder à Dieu et se regarder soi-même à travers le regard de Dieu.
Pour nous, chrétiens, nous pouvons prendre le risque du repos sans tomber dans le désespoir décrit par Pascal. Avec Dieu, nous pouvons nous regarder tels que nous sommes, faire face au vide avec confiance, car Dieu est là. Il nous soutient, il nous pardonne, il nous fortifie. Par la bouche de Jésus, Dieu nous invite à venir à lui pour trouver le repos : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » (Matt 11.28)
Ce repos peut prendre la forme de la prière, du silence pour écouter Dieu ; de moments de communion où nous partageons l’amour de Dieu en famille, avec des amis ; de temps de relations profondes où nous pouvons entendre battre le cœur de Dieu ; de temps à part, où nous méditons la Bible, où nous lisons des livres qui nous rapprochent de Dieu. Le repos peut prendre mille formes, et le repos de l’un ne sera pas le repos de l’autre. Mais, quelque forme qu’il prenne, le repos est toujours un temps mis à part pour Dieu, consacré pour lui, centré sur lui.
L’année sabbatique : un acte de foi
Dans les Dix commandements, Dieu demandait de se reposer un jour sur sept. Mais en Lévitique 25, il allait encore plus loin : Dieu commandait à son peuple de se reposer toute une année !
Bien sûr, il ne s’agissait pas de rester au lit pendant une année entière, mais plutôt de laisser la terre au repos pendant cette période : ne plus semer ni moissonner, ne plus tailler la vigne ni la vendanger. En d’autres termes, il ne fallait plus s’occuper de la terre dans le but de récolter quelque chose. Tous les champs devaient être laissés en jachère et n’importe qui, propriétaire, serviteur, étranger, pouvait venir prendre ce dont il avait besoin pour lui-même.
A l’époque, la plupart des gens étaient agriculteurs. Il y avait quelques artisans, quelques commerçants, mais la grande majorité vivait de la terre. Demander à une société dont l’économie est basée sur l’agriculture de laisser tous les champs en jachère pendant une année entière, cela voulait dire mettre tout le pays en « pause » pour une année.
On comprend la difficulté qu’ont eu les Israélites à obéir à cette loi. Pour tout arrêter, il fallait être prêt à faire totalement confiance à Dieu : non seulement pour la vie après la mort, mais pour la vie d’aujourd’hui ; non seulement pour un sentiment de paix, de joie intérieure, mais pour ce qu’il va y avoir dans mon assiette, ce que je vais manger, moi et ma famille … S’arrêter pour une année sabbatique était vraiment un acte de foi.
S’arrêter pour laisser Dieu agir
Pour nous aussi, s’arrêter est un acte de foi. Devons-nous aussi nous arrêter une année sur sept ? Peut-être Dieu le demande-t-il à certains d’entre nous. Un de mes amis, très engagé dans son église depuis six ans, a reçu la conviction de la part de Dieu qu’il devait arrêter ses activités au sein de la communauté. C’est un appel difficile, surtout lorsqu’on est engagé pour le Seigneur. Il faut parfois autant de foi pour s’arrêter que pour s’engager. Surtout lorsque tout a l’air de bien aller et qu’en s’arrêtant, on prend le risque que tout le travail accompli disparaisse.
Dieu ne nous demande pas à tous de suspendre nos engagements, mais il demande à chacun de comprendre le principe qu’il y a derrière cette année sabbatique. S’arrêter, c’est faire confiance à Dieu, c’est accepter de le laisser agir, lui. Cela nous oblige à nous rendre compte que nous ne sommes pas si indispensables que cela, que le monde peut continuer à tourner sans nous.
Quand nous nous arrêtons, c’est un peu comme si nous étions remis à notre place. Nous prenons conscience de nos limites, de notre place par rapport aux autres, par rapport au monde, par rapport à Dieu. Nous admettrons ainsi que nous sommes dépendants de Dieu, que tout dépend de lui. Se reposer en Dieu, finalement, c’est laisser Dieu agir… à notre place.
S’arrêter : un sacrifice
S’arrêter, cela veut aussi dire être prêt à réduire nos activités, à couper dans nos agendas. C’est un sacrifice que de s’arrêter. Il ne s’agit pas seulement de couper dans nos moments de loisir, mais aussi de mettre une limite à notre temps de travail. S’arrêter, c’est affirmer que le travail n’est pas tout.
En demandant à tous les agriculteurs d’arrêter de semer et de moissonner une année sur sept, Dieu place une limite à la croissance, au développement. Il invite les Israélites à un style de vie plus simple tout en leur assurant qu’ils ne manqueront de rien. C’est comme s’il leur disait : « Il faut travailler pour vivre, et non vivre pour travailler ».
Le travail est important dans la vie de l’homme, l’argent aussi, mais il n’est pas tout. Seriez-vous prêt à renoncer à 1/7 (c’est-à-dire 15 %) de votre salaire ? Seriez-vous prêt à « travailler moins pour gagner moins » ? Par cet appel, Dieu veut nous apprendre, comme aux Israélites, d’abord à lui faire confiance en tout, et ensuite que la richesse, le confort, ne sont pas tout.
Petit exercice pratique
Cela fait au moins six minutes que vous lisez cet article sur le repos, et je vous propose maintenant un petit exercice pratique. Dieu appelle son peuple à se reposer un jour sur sept, alors je vous invite, après ces six minutes, à vous reposer pendant une minute !
Une seule minute ? Une trop courte pause ! Et pourtant, qui peut prétendre que ce laps de temps soit trop bref pour que Dieu nous y rencontre ? Si, pendant cette minute, Dieu travaille en nous, son œuvre n’est-elle pas aussi importante, profonde, et puissante que l’instruction offerte par la page imprimée ?
Dans nos journées, il y a beaucoup de ces minutes « perdues », de ces « temps morts ». Ces petits temps de repos peuvent être autant de « temps de vie » si nous les passons avec Dieu, à nous reposer en lui. Nous pouvons prendre l’habitude, pendant ces « temps morts », de dire à haute voix, ou dans nos cœurs, « Mon Dieu, je veux me reposer en toi ! » ou bien, comme le psalmiste, « Mon Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche » (Ps 63.1). Juste quelques paroles pour entrer dans la présence de Dieu, dans son repos, même si ce n’est que pour une minute. De cette manière, nous pouvons transformer nos « temps morts » en « temps de vie ».
Le refus du repos
Avant de conclure, quelques mots sur les conséquences du refus du repos. En Lévitique 26, Dieu promet à Israël de le bénir si son peuple obéit à sa volonté, mais de le maudire s’il désobéit. Ces malédictions sont progressives, car elles ont un but éducatif : on peut identifier au moins cinq niveaux de transgression marqués par des punitions de plus en plus lourdes. Le but de Dieu est que son peuple comprenne et revienne.
La dernière correction est la plus sévère, la plus terrible ! En voici un extrait : « Je vous disperserai parmi les nations païennes et je vous poursuivrai avec l’épée, votre pays sera dévasté et vos villes deviendront des monceaux de ruines. Alors la terre jouira d’années de repos durant tout le temps qu’elle sera désolée et que vous serez dans le pays de vos ennemis ; enfin […] elle se reposera pour les années de repos dont vous l’aurez frustrée le temps que vous l’aurez habitée. » (Lév 26.33-35)
Malgré les avertissements de Dieu, Israël sera infidèle pendant 500 ans. Finalement, Dieu l’enverra en exil pendant 70 ans, le nombre d’années correspondant au temps pendant lequel le peuple avait refusé d’appliquer la règle de l’année sabbatique pour la terre (cf. 2 Ch 36.21). La méthode a été dure — l’exil — pour qu’enfin la terre puisse se reposer !
Le repos n’est pas une option. Il n’est pas valable seulement pour certains, seulement pour ceux qui en ont besoin. C’est un ordre valable pour tous, et si nous ne le respectons pas, nous courons un grand risque. Comme Dieu a dû le faire à l’égard de son peuple envoyé en exil, il nous met parfois au repos forcé : épuisement chronique, burn-out, ou dépression.
Cet ami à qui Dieu avait dit de se retirer de ses activités dans l’église après six ans en a parlé avec le responsable de sa communauté. Ce dernier l’a convaincu de maintenir ses engagements. Deux ans plus tard, mon ami a été forcé de s’arrêter et plusieurs années ont été nécessaires pour qu’il se remette complètement. Lorsque Dieu nous demande de nous arrêter, c’est pour notre bien. Si nous ne le faisons pas, nous prenons de gros risques et, à la fin, notre sort pourrait être bien pire.
Conclusion
Pour terminer, quelques questions.
Notre église, notre famille sont-elles des lieux où l’on peut se reposer ? Sommes-nous des gens qui permettent à ceux qui nous entourent de trouver le repos ? Ou sommes-nous sans cesse en train d’enchaîner les activités, toutes meilleures les unes que les autres, pour ne pas prendre le risque de nous regarder en face, de nous abandonner à à Dieu, de nous reposer en lui?