Etude biblique
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Saül: une foi mal exercée

1 Samuel 13.1-14

Au début du règne de Saül, Israël semble vivre en bon voisinage avec les Philistins puisque Saül ne garde que trois mille hommes et renvoie le reste du peuple chez lui (13.1-2).

Jonathan le trouble fête (13.3-7)

Jonathan ne respecte pas cette trêve puisqu’il attaque une garnison philistine (13.3). Espère-t-il battre secrètement quelques Philistins pour en retirer un maigre avantage territorial? 1 Dans ce cas, l’action de Jonathan est stupide, car pour un gain insignifiant, le fils de Saül entreprend une opération des plus risquées. Si jamais l’action commando est découverte (et on voit mal comment, tôt ou tard, elle ne pourrait pas l’être), la guerre avec les Philistins reprendra, et Israël est militairement mal préparé pour un tel combat. En effet, le gros de l’armée vient d’être démobilisé et les armes sont pratiquement inexistantes en Israël (13.19-22).

Mais Jonathan est un homme aux qualités multiples comme le montre sa deuxième attaque d’une garnison philistine (14.6-15). Le signe demandé à Dieu reflète un discernement militaire affiné 2 et les paroles adressées à son écuyer témoignent d’une grande foi: «Rien n’empêche l’Éternel de sauver au moyen d’un petit nombre comme d’un grand nombre » (14.6). Homme de foi et homme de vision, Jonathan attaque la première garnison philistine dans le dessein de stimuler Israël au combat. Comme Samson l’avait fait dans le passé, Jonathan essaie de rompre la paix pourrie avec les Philistins. Le littoral, occupé par ce peuple païen, fait partie de la terre promise. Israël ne doit pas coopérer avec ses voisins occidentaux, ni même les tolérer, mais il doit les déposséder de leur territoire. Pour déclencher les hostilités, Jonathan provoque un incident frontalier sans rien cacher («Les Philistins l’apprirent »).

A ces remarques, il convient d’ajouter que les Philistins semblent avoir étendu, depuis peu, leur domination territoriale, puisque la garnison philistine attaquée par Jonathan est positionnée à Guéba, c’est-à-dire en plein centre des collines de Judée, territoire traditionnellement occupé par Israël. Guéba est même située entre Mikmach, où se trouvent les deux mille hommes de Saül, et Guibea, où sont stationnés les mille hommes de Jonathan. Cet emplacement stratégique du camp philistin fait penser que les Philistins contrôlent le pays. Si Saül renvoie le gros de ses troupes, c’est parce qu’il n’a aucune intention de les utiliser contre les Philistins. Elles servaient sans doute à contenir les Ammonites à l’est du Jourdain et comme la paix semble rétablie dans cette région (cf. 11.1-11), Saül libère ses soldats.

L’avancée philistine en territoire israélite n’est pas commentée, mais on peut supposer que ce peuple a profité des efforts israélites à repousser l’agression bestiale des Ammonites à l’Est, qui voulaient mutiler tous les habitants de Yabéch (11.2), pour étendre imperceptiblement leur contrôle «amical» des plateaux judéens. Saül accepte cette situation, alors que Jonathan la conteste. Celui-ci attaque la garnison philistine chargée de contrôler les allées et venues des deux corps d’armée israélites (13.3). Tout en infligeant un camouflet aux Philistins, il renforce la position israélite puisque les trois mille hommes peuvent à nouveau être réunis en cas de besoin. Le coup d’éclat du fils oblige le père à rappeler rapidement ses troupes («Saül fit sonner de la trompette dans tout le pays» 13.3). Au son du cor, les Israélites comprennent que la paix est rompue («Israël s’est rendu odieux aux Philistins» 13.4). Dans l’absence de détails, la responsabilité en est attribuée à Saül («Tout Israël entendit que l’on disait : Saül a battu le poste des Philistins» 13.4).

Saül se retire d’une vingtaine de kilomètres à l’Est pour convoquer ses troupes à Guilgal dans la vallée du Jourdain (13.5). Ce mouvement de repli lui donne un peu de répit. Peutêtre espère-t-il aussi que le lieu où Dieu l’a publiquement oint roi deux ans auparavant (11.14-15) soit à nouveau un lieu de bénédiction pour lui.

La réaction des Philistins est rapide et musclée: trente mille chars et six mille cavaliers sont mobilisés (13.5). L’action de Jonathan est ressentie comme un coup de poignard dans le dos. La vivacité de leur réaction montre que ces voisins en apparence amicaux étaient fondamentalement très durs. Aucune démarche diplomatique pour s’assurer que l’attaque du commando était planifiée par le gouvernement et non par un groupe extrémiste. Le nombre des soldats mobilisés laisse présager d’un combat sans quartier. Beaucoup d’Israélites paniquent et désertent l’armée pour se réfugier dans le maquis («dans les cavernes, dans les buissons, dans les rochers, dans les tours et dans les citernes » 13.6) ou à l’étranger («de l’autre côté du Jourdain»). Les six cents vaillants qui restent avec Saül tremblent.

Le «discernement» de Saül (13.8-14)

Saül est dans une situation délicate. Ses chances de succès paraissent minimes et diminuent d’heure en heure. Le temps joue contre lui, car plus il attend, plus ses soldats le désertent et ceux qui restent tremblent, car l’inaction est toujours difficile à gérer pour une armée menacée. D’autre part, l’ennemi profite certainement de ce délai pour renforcer ses positions.

Saül devait agir rapidement s’il voulait se tirer de ce guêpier et pourtant, contre toute logique militaire, il repousse l’affrontement de plusieurs jours. Saül veut à tout prix offrir un holocauste à l’Éternel avant d’engager le combat, et comme le seul à pouvoir offrir ce sacrifice est absent (Samuel), mais a promis de passer dans la semaine, Saül attend sept jours.

Manifestement, Saül a certaines convictions. Dans un passé récent (10.1- 12), il a vu l’intervention de Dieu dans sa propre vie et il désire maintenant que Dieu l’assiste dans sa détresse, réalisant que seul un miracle peut lui permettre de remporter la victoire. La patience de Saül à attendre le retour de Samuel souligne à quel point Saül voulait offrir ce sacrifice.

La patience de Saül est remarquable, mais, pour un rien, est insuffisante. Lorsque le septième jour arrive, Saül perd patience et, au moment où il offre lui-même le sacrifice, Samuel arrive. Le prophète traite le roi d’insensé et lui annonce qu’en raison de son infidélité son règne ne sera pas affermi (14.13-14). La royauté passera à une autre famille. La condamnation est sans appel et semble très dure.

Pour comprendre la sévérité du jugement divin, il faut saisir deux choses. Premièrement, Samuel n’a jamais reproché à Saül son impatience. Le péché du roi n’est pas de n’avoir pas assez attendu le prophète, mais d’avoir lui-même offert le sacrifice. Deuxièmement, Saül n’avait aucune obligation d’offrir un holocauste avant d’engager le combat. Aucune stipulation dans la loi mosaïque n’oblige un tel sacrifice. Lorsque Saül patiente jusqu’à l’arrivée de Samuel («Il attendit sept jours, selon le terme fixé par Samuel » 13.8), il ne faut pas comprendre que Samuel avait interdit à Saül de se battre avant son arrivée, mais qu’il lui avait simplement indiqué la date de son prochain passage: «Je serai de passage dans la semaine».3 Saül aurait pu (et aurait dû) attaquer les Philistins sans offrir de sacrifice puisque aucun sacrificateur n’était présent.

Le problème de Saül est d’avoir voulu aller au-delà de la loi, pour ensuite ne pas respecter la loi. Si Saül a fini par offrir l’holocauste (et ainsi, transgresser la loi), ce n’est pas parce que Dieu l’a poussé dans des limites surhumaines de patience, mais parce que Saül, sous sa propre initiative, s’est placé dans une situation des plus inconfortables en décidant de ne pas se battre sans avoir offert préalablement un sacrifice.

Saül estimait-il qu’un sacrifice obligerait davantage l’Éternel? Ou pensaitil à la dernière bataille entre les armées israélite et philistine (7.7-14) lorsque Samuel avait offert un holocauste juste avant une victoire éclatante et miraculeuse? Si c’est le souvenir de ce sacrifice qui nourrissait son esprit, alors il a oublié l’essentiel, c’est-à-dire le réveil spirituel qui avait précédé le sacrifice et la victoire (7.2-6).

L’épreuve de Saül était difficile, mais pas surhumaine. L’épreuve est difficile parce que l’ennemi est fort. Mais Dieu ne rajoute pas à l’épreuve en faisant patienter Saül pour que ses troupes diminuent. Nous ne sommes pas dans la situation d’un Gédéon à qui Dieu a demandé de diminuer ses troupes. Ici Saül aurait pu agir, mais une mauvaise compréhension des choses divines le paralyse, puis le fait transgresser ouvertement l’alliance. Cette situation se retrouvera au chapitre suivant. Pour respecter son vou, Saül sera prêt à tuer un innocent (son propre fils: 1 Sam 14.44).

Saül n’est pas un homme qui doute de l’intervention divine. Son problème est de croire au signe plus qu’au sens, à la forme plus qu’au fond, à la lettre plus qu’à l’esprit derrière la lettre. Ce n’est pas le doute qui est reproché à Saül, mais une foi mal placée.

Tout comme les fils d’Eli avait une foi superstitieuse et stérile dans l’arche (cf. 4.1-11), ainsi Saül croit plus à la valeur des sacrifices qu’à l’obéissance au Seigneur. Il est intéressant à noter que la défaite d’Eben-Ezer lorsque l’arche a été prise (14.1, 10-11) est suivie d’une victoire à Eben-Ezer en l’absence de l’arche (7.2-13). De même, la victoire de Samuel contre les Philistins lors d’un combat précédé par un sacrifice (7.2-13) est suivie d’une victoire de Jonathan contre les Philistins, alors que ce dernier n’avait offert aucun sacrifice (14.1-15).

Dans notre récit, l’échec de Saül n’est pas celui d’un coureur de cent mètres qui lutte jusqu’aux derniers mètres avant de se faire battre sur le fil. Saül ressemble plutôt à un coureur insensé qui, à la surprise générale, s’élancerait dans la mauvaise direction. L’échec de Saül n’est pas partiel, mais total.

D.A.

1 Le lecteur ne connaît rien de Jonathan et peut tout imaginer sur cet homme, car c’est la première fois que son nom est mentionné.
2 Voir prochain article: L’exploit de Jonathan, 1 Sam 14.1-15.
3 Plusieurs commentateurs estiment que Samuel avait demandé à Saül d’attendre sept jours, sur la base de 1 Sam 10.8: «Puis tu descendras avant moi à Guilgal; et voici, je descendrai vers toi, pour offrir des holocaustes et des sacrifices d’actions de grâces. Tu attendras sept jours, jusqu’à ce que j’arrive auprès de toi et que je te dise ce que tu dois faire». Le contexte est pourtant tout autre, car cette parole à été donnée avant l’accession au trône de Saül et se situe deux ans avant notre texte (cf. 1 Sam 13.1).

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Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.