Sermons au cachot
Comment un chrétien vit-il la violence exercée à son encontre ? Quelles sont les pensées, les sentiments, les réflexions qui l’agitent ? Comment subsiste-t-on lorsqu’on est tenu prisonnier dans l’obscurité pendant trois années ? C’est le témoignage que rapporte le pasteur Richard Wurmbrandt dans son livre Sermons au cachot (Paris, Apostolat des Éditions, 1971). Sa solitude, témoigne-t-il, s’enrichit au fil du temps de la plus puissante des présences : celle du Christ, avec lui en prison, par son Esprit. Vous en trouverez ci-dessous un extrait.
Douleur et cicatrices
Pendant quelques jours, je n’ai pas pu vous prêcher comme d’habitude. La douleur physique était trop grande ; et pourtant il y avait encore quelque joie dans cette douleur. Jusqu’à maintenant ils m’avaient battu et fouetté. Aujourd’hui pour la première fois ils m’ont torturé, et de telle façon que des marques visibles en resteront sur mon corps jusqu’à ma mort, ou peut-être même après.
J’avais accoutumé de me demander comment il se faisait que le corps ressuscité de notre Seigneur porte les marques de ses blessures. Un corps ressuscité peut-il avoir cet aspect ? Serons-nous ressuscités avec des rhumatismes, des déformations, des membres tordus ?
Est-ce que le corps ressuscité portera les marques des expériences par lesquelles il est passé ? Jésus a parlé de certains qui entreront dans la vie n’ayant qu’un œil ou qu’une main : Marc 9.43-47.
Il fallait qu’il ressuscite avec les marques de son corps pour que, tant que les péchés des hommes seront présentés au Père, il puisse montrer ses blessures, reçues afin que le pécheur soit sauvé. Par ce sacrifice, moi aussi je suis sauvé.
Mais peut-être mes cicatrices aussi seront-elles utiles. Et mes prières pour mes bourreaux seront peut-être plus efficaces si je puis montrer au Père les blessures que j’ai reçues d’eux. Si moi je puis persister à les aimer, si moi je puis pardonner, pourquoi Dieu les retrancherait-il de son amour et ne leur pardonnerait-il pas ?
Et peut-être y aura-t-il un faible espoir qu’un jour je sorte de prison et j’aille en Occident. Alors j’aurai la possibilité de montrer aux Thomas incrédules, qui n’admettent pas que le communisme soit un crime à grande échelle sous couvert d’un idéal, ce que Jésus a lui-même montré à son apôtre plein de doute qu’il a ainsi convaincu : les marques de ses blessures.
Il y a une bénédiction dans les tortures que j’ai subies. Il convient de remercier Dieu pour toutes choses. Pendant qu’on me torturait, je ne pouvais pas penser. Un mot seulement m’a une fois traversé l’esprit : Vous savez bien que tel est notre lot : 1 Thes 3.3, c’est-à-dire, les afflictions.
Effets dans l’âme
Les tortures ont apporté des transformations dans mon âme. Elles ont diminué mon désir d’aller au ciel. Quel bonheur y aurait-il pour moi à être assis dans la félicité du ciel, sachant que pendant ce temps d’autres sont torturés sur terre ? Mon désir est plutôt que s’accomplisse sur la terre comme au ciel la volonté de Dieu. Pourquoi ne pas faire un ciel de notre terre, comme Jésus nous a appris à le demander dans la prière.
Je soupire après une terre remplie de vertu, de justice et d’amour ; un monde où même les animaux vivraient en paradis, les agneaux couchés près des lions qui ne les dévoreraient pas.
Prison et dépression
Je ne suis pas seul à être retenu dans une prison. Vous êtes tous dans la prison de vos êtres pécheurs, dans celle de vos idées fausses et courtes. Que Jésus vous en délivre ! Alors vous pourrez combattre et toucher au but.
Comme je vous l’ai dit, j’ai éprouvé de petites joies fugitives ces jours-ci, en pensant à la valeur des marques de torture. Mais ne croyez pas que je sois un héros et que je n’ai fait que siffler et rire au milieu des horribles douleurs. Cela a plutôt été un moment de grande dépression. Je ne pouvais pas prier. Je n’avais plus conscience de la présence de Dieu, sauf à de rares et très brefs intervalles.
Les cicatrices sont une bénédiction. De même le temps de dépression. Cela m’a montré l’horreur que serait une éternité sans Dieu. Ces journées où je ne sentais plus sa présence duraient chacune comme mille ans. Je comprends à quel point il serait affreux de rester en enfer avec des criminels non repentis qui, pour l’éternité, jureraient, maudiraient, ne penseraient que le mal, comme le font mes bourreaux communistes. Dieu m’a conduit dans une prison communiste, il m’a fait passer par des tortures et par la sombre nuit de l’âme pour que j’apprenne ce qu’est l’enfer et que je fasse tout au monde pour l’éviter.
« Que sert-il à un homme de gagner le monde entier s’il perd son âme ? » (Jésus).