Dossier: L'évangile de Jean
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Tel Père, tel Fils (Jean 5.18-30)

« Tout ce que fait le Père, le Fils le fait également. » (Jean 5.19)

Par le moyen de la recommandation faite au « guéri » de Béthesda (l’homme à la natte), Jésus met laquestion du sabbat sur le tapis ! Elle suscite une réaction immédiate des autorités religieuses. Seulement, Jésus n’a pas amené la discussion sur ce terrain pour « pinailler » avec les pharisiens au sujet des règles. Ilne participera pas au débat, qui faisait les délices de certains rabbins, au sujet de ce qui était autorisé le jourdu sabbat et ce qui ne l’était pas. On passe très rapidement à autre chose, à une révélation qui a dû être« époustouflante » pour ceux qui l’ont reçue. On dépasse très vite le problème de la natte et même celui de la guérison opérée pendant le sabbat1pour aborder le domaine infiniment plus mystérieux et, pour les autorités,détonant, de la relation unique qui unit Jésus au Père.

« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. »

« Au commencement était celui qui est la Parole de Dieu. […] Tout a été créé par lui ;rien de ce qui aété créé n’a été créé sans lui. »

« Et Dieu dit alors : Que la lumière soit !Et la lumière fut. »

À l’heure même où Jésus a dit au fonctionnaire :« Ton fils est bien portant », la fièvre a quitté celui-ci. 2

« Mon Père n’a jamais cessé de travailler jusqu’aujourd’hui et je suis moi-même constamment au travail. » (Jean 5.17) 3

[…] Jean répond à la question la plus importante qu’un homme ou unefemme puisse se poser : Qui est Jésus de Nazareth ? Il apporte une série de témoignages : le témoignageprophétique de Jean-Baptiste, le témoignage émerveillé des premiers disciples (André, Philippe, Nathanaël),le témoignage hésitant de Nicodème, le témoignage prudent de la Samaritaine et le témoignage affirmédes villageois samaritains. Maintenant, il est temps d’écouter ce que Jésus dit de lui-même. Si ce texteest le résumé d’un dialogue, ce qui est fort possible, Jean ne retient que les paroles de Jésus. Vous pouvezéventuellement vous amuser à deviner à quels moments ses interlocuteurs sont intervenus — ou ont faitmine d’intervenir… Jésus n’avait pas besoin que leurs objections soient exprimées à haute voix, « il connaissaitle fond de leur cœur. » 4

Dans le v.18 qui rapporte la transition de la question du sabbat à celle de la « filiation », Jean jouepeut-être sur les mots. Le verbe traduit ici par violer5a plusieurs nuances. À la base, il veut dire délier et,par extension, libérer, relâcher, annuler ou abolir. Quand le Seigneur dit, en parlant de son corps :« Démolissez ce Temple », c’est le même mot. On le retrouve également pour exprimer l’ordre de Jésus au sujet de Lazareressuscité :« Déliez-le ! » Pour les pharisiens, Jésus démolit le règlement, c’est sûr. Mais nous pouvonsaussi comprendre leur plainte dans le sens où Jésus libérait le sabbat du carcan où les scribes l’avaient enfermé.Pour Jean et les premiers chrétiens, c’est sans doute cette vision des choses qui primait. Car au départla loi du sabbat était une bonne nouvelle !« Vous n’avez pas besoin de travailler sept jours sur sept.Vous pouvez, vous devez, faire relâche un jour par semaine. Et, ce jour-là, vous pouvez prendre du tempspour vous réjouir de la bonté de Dieu. » Mais maintenant les pharisiens disaient :« Si tu lèves le petit doigtle jour du sabbat, tu pèches ! » Ils avaient changé la bonne nouvelle du repos de Dieu en mauvaise nouvelle.Dans ce domaine aussi, « la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. » Le Fils vient rétablir la vérité etrévéler la grâce.

Les Juifs ne contesteront pas le fait que Dieu ne cesse de travailler. Leurs propres rabbins enseignaientque si Dieu s’est reposé le septième jour de son œuvre de création, il n’a jamais cessé de s’occuperdu monde et de ses habitants. On passe donc très vite à une nouvelle accusation : Jésus se faisait ainsil’égal de Dieu. Le Seigneur saisit la perche tendue et en profite pour lever un coin du voile, pour révélercertains aspects de la relation entre le Père et le Fils.

La parabole du fils apprenti

À l’époque où Jean écrivait, on n’utilisait pas de lettres minuscules. Puisque tout était écrit en majuscules,ce n’est que bien plus tard qu’on a distingué entre Père et père, entre Fils et fils. De plus, il n’y aqu’ici dans tout le livre qu’on trouve le verbe « avoir de l’affection pour »appliqué à la relation entre Père et Fils.6 Cela suggère qu’il faut plutôt lire : le père aime bien le fils… Il est donc possible de comprendreles versets 19 et 20, sans les majuscules, comme une image ou une parabole. Si nous avons là effectivementune illustration tirée de la vie courante, elle a un côté émouvant par le fait que Jésus puiserait dansson expérience humaine et temporelle auprès de Joseph pour éclairer le fonctionnement de sa relation divineet éternelle avec le Père. Dans l’Évangile selon Jean, la vie — toute la vie — de Jésus est une « histoire illustrée ».7

Cette petite illustration sert à décrire non une relation maître-esclave, ni une relation employeur-employémais une relation maître-apprenti. Marc nous raconte qu’on a pu dire de Jésus :« N’est-ce pas le charpentier …? » (Marc 6.3) Nous avons donc de bonnes raisons de croire que Jésus a appris le métier de Joseph. À l’époqueet pendant bien des siècles, le premier apprenti du père artisan était tout naturellement son fils aîné. La parabolede l’apprenti nous fait comprendre tout d’abord que le père et le fils sont de même nature. Elle souligneaussi que le maître et l’apprenti ont les mêmes objectifs. S’il y a effectivement ce qu’on appelle un« lien de subordination », celui-ci est librement et joyeusement accepté pour le bien de l’entreprise commune— et familiale ! Comme toute illustration, celle-ci a ses limites. Appliquée à Jésus, nous ne pouvons paslui faire dire que l’apprenti se prépare à remplacer le maître-artisan ! Le rôle du Fils est de travailler éternellementmain dans la main avec le Père. Mais l’image de l’apprentissage souligne le fait que les œuvres de Jésus, ses signes, suivent un programme. Il y une sorte de gradation, mais celle-ci ne correspond pas àune « montée en puissance » progressive de Jésus. Elle est plutôt au service d’une révélation progressivedu Fils. Ses œuvres iront crescendo, de l’eau changée en vin jusqu’à la résurrection de Lazare — et au-delàjusqu’à la croix, à la propre résurrection de Jésus et au jugement dernier. Sous la conduite experte du père,le fils produira son chef-d’œuvre. Et dans la vie de Jésus, ce chef-d’œuvre, c’est notre salut !

Déjà vers la fin du v.20, nous glissons de l’illustration à l’application quand Jésus dit :« Vous en serezstupéfaits ». Ensuite, le Seigneur souligne deux aspects de sa « collaboration »avec le Père. D’abord l’imitation, au v.21 : le Fils fait comme le Père. Puis la délégation, au v.22 : le Fils fait quelque chose que le Pèrene fera pas, mais il le fait « comme le Père le lui indique » (5.30). Dans les deux cas, la collaboration est harmonieuseet étroite. Père et Fils font vivre, mais c’est le Fils qui fait le tri. Nous reviendrons dans un instant àce jugement et à ses aspects présent et futur. D’abord, nous devons nous poser la question de commentl’exemple de Jésus éclaire notre expérience de « fils de Dieu ».

On ne peut qu’être frappé par le rapprochement entre ce texte de Jean où Jésus explique sa vie et sonaction en termes de ce que le Père lui montre et l’enseignement de Paul dans l’Épître aux Éphésiens :« Ceque nous sommes, nous le devons à Dieu ; car par notre union avec le Christ, Jésus, Dieu nous a crééspour une vie riche d’œuvres bonnes qu’il a préparées à l’avance afin que nous les accomplissions. » 8Certains chrétiens sont agacés par cet enseignement qui, à leurs yeux, porte atteinte à leur liberté. Mais pouvons-nous raisonnablement revendiquer une « liberté » différente de celle du Fils de l’homme qui appliquait joyeusement la volonté du Père ? Ce que nous sommes, nous le devons à Dieu.Recréés pour vivreunis à Jésus, nous devons nous réjouir tous les jours du fait que notre petite vie est prise en compte dans legrand dessein de Dieu, que dans sa grâce notre Père nous donne une place et un rôle dans la réalisation desa volonté. En contrepartie, nous sommes incités à vivre, comme Jésus, à l’écoute du Père.

Jamais sans mon Fils

La déclaration de Jésus selon laquelle il est le chemin, la vérité et la vie, et que personne ne va auPère sans passer par lui, a fait couler beaucoup d’encre. D’aucuns sont offusqués par ces paroles qu’ils accusentde faire le lit de l’intolérance. Nous trouvons dans Jean 5 une autre affirmation de la même eau :« Nepas honorer le Fils, c’est ne pas honorer le Père qui l’a envoyé ». Voilà qui n’arrange rien ! Mais c’est icique Jésus commence à faire le tri. « Je crois en Dieu, mais je ne crois pas en Jésus » disent certains. La réponsedu Fils : Vous croyez en un « dieu » qui n’existe pas ! Vous ne pouvez pas avoir l’un sans l’autre, lePère sans le Fils ou le Fils sans le Père. Si vous n’honorez pas le Fils comme l’envoyé du Père, vous déshonorezle Père lui-même.La foi telle qu’elle est définie dans l’Évangile selon Jean n’est pas le simple fait de croire… n’importequoi, n’importe qui. Jean ne dirait pas que le plus important, c’est d’être sincère ! Tous les chemins ne mènentpas à Dieu. Aucune religion ne peut se substituer au Fils pour nous faire connaître le Père. C’est surce point précis que les religieux de l’époque ont achoppé. Le chemin est étroit. Pour s’y engager il faut passerpar la porte dont les deux montants pourraient s’appeler :« écouter ce que dit le Fils » et « placer saconfiance dans le Père qui l’a envoyé ». Si quelqu’un croit en un Dieu qui n’a pas parlé en envoyant sonFils dans le monde, sa « foi » est vaine. Chaque être humain se trouve jugé par sa propre attitude à l’égardde Jésus-Christ.

La grande traversée

« …Celui qui écoute ce que je dis et qui place sa confiance dans le Père qui m’a envoyé, possède, dès àprésent, la vie éternelle et il ne sera pas condamné ; il est déjà passé de la mort à la vie. » (5.24)Pour celui quivient au Père par le Fils, la mort physique prend des allures de petite transition à côté de la grande traverséequi est déjà accomplie. Laforme verbale « est… passé »est au passé composé ; elle indique que la traversée est achevée et définitive. On a changé de bord, de destinée, de destination finale. Le même verbe revient au ch. 7 quand les frèresde Jésus lui disent :« Tu devrais quitter cette région… » Celui qui croit est « parti », il est sorti de la mortpour entrer dans la vie, il est passé de la zone du jugement à la zone de la vie — pour toujours ! Nous trouvonsencore le même mot dans Jean 13.1 :« …l’heure était venue pour lui de quitter ce monde pour s’en allerauprès de son Père. » Celui qui croit vit un changement aussi radical que le passage de ce monde à la présencedu Père. Le parallélisme entre les versets 24 et 25 de notre texte indique même que cette traverséepeut être comprise comme une première « résurrection ». 9

Le jugement confié au Fils de l’homme s’exerce dès maintenant. Ceux qui entendent (dans le sensd’accueillir, de prêter attention à) la parole de Jésus et qui croient au Père « envoyeur » entrent déjà dans lavie, ils possèdent, dès à présent, la vie éternelle et échappent au jugement. La deuxième phase du jugementest encore future. Le jour viendra où tous, sans exception, entendront la voix du Fils. Mais à ce moment-là, il sera trop tard pour traverser. Les uns se relèveront pour la suite et la plénitude de la vie déjà reçue.Les autres se réactiveront pour être condamnés, pour la confirmation de leur mort10, de leur préférencepour les ténèbres, de l’abîme qui les sépare du Dieu qui est, et qui est la vie.

Qui est Jésus-Christ ? Voici une question qui nous donne du mal. Nous sommes toujours sur le fil durasoir, cherchant à concilier Jésus, pleinement homme, et le Fils, pleinement Dieu. Nous penchons tantôtd’un côté, tantôt de l’autre, et nous sommes parfois secrètement ennuyés de nous trouver là en présenced’un mystère qui nous échappera toujours. Il n’y a pourtant rien d’étonnant dans le fait que nous ne comprenons pas la nature profonde de Dieu !

Jean rapporte des paroles de Jésus qui nous aident, qui nous informent, qui nous éclairent… mais quin’expliquent pas tout. En l’espace de trois versets (26, 27, 28), Jésus se dit Fils de Dieu, équipé pour donnerla vie, et Fils de l’homme, qualifié pour faire le tri. L’esprit religieux ne reçoit pas cette réalité et se faitdes nœuds. Il y a en effet un nouveau quiproquo dans l’accusation selon laquelle Jésus se fait lui-mêmel’égal de Dieu. Dans le jargon des rabbins, cette expression veut dire « revendiquer l’indépendance àl’égard de Dieu » (comme Adam dans le jardin d’Éden). Jésus ne réfute pas l’accusation mais redéfinit laformule. Si Jésus se fait l’égal de Dieu, c’est pour revendiquer une identité de nature et de projet avec le

Père et une soumission exemplaire au Père dans la réalisation de ce projet.

Réjouissons-nous de ce que le Père et le Fils ont fait équipe pour nous offrir la vie. Et vivons,comme le Fils, à l’écoute du Père, cherchant chaque jour sa volonté qui donne un sens à ce qui nous arriveet à ces « œuvres » que nous arrivons parfois à accomplir.

1 Jésus y reviendra plus tard : voir Jean 7.21-25.
2 Voir aussi Jean 5 .8-9. (NDLR)
3 La version Second 1978 traduit : « Mon Père travaille jusqu’à présent. Moi aussi, je travaille. » Le verbe grec ergazomai, rendu ici par « travailler », signifie aussi « être actif, agir, faire ou accomplir (quelque chose) ». (NDLR)
4 Jean 2.25
5 luô
6 phileô et non agapaô.
7 Même les périodes de cette vie que Jean passe sous silence par ailleurs. (Voir 1 Jean 1.1-4 ; NDLR)
8 Éph 2.10
9 Ces termes sont à prendre au sens spirituel, dans la ligne des paroles de Paul en Col 1.12-14. La résurrection de nos corps n’a pas encore eu lieu (cf. 2 Tim 2.18) et la Bible emploie l’expression « première résurrection » pour parler de la résurrection des corps des croyants décédés, avant le début du règne millénaire (Apoc 20.5). (NDLR)
10 Comparez avec Jean 3.18-19.

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Dossier : L'évangile de Jean
 

Souza Robert
Robert Souza est un auteur chrétien qui a publié nombre d’études bibliques sur l’Évangile selon Jean sur le site internet www.koina.org, ainsi que différents livres disponibles sur www.amazon.fr.