Un plan pour le livre du prophète Jérémie
Le livre de Jérémie est un des plus longs livres de la Bible : en nombre de mots, il égale presque les 150 Psaumes. Il est nettement plus long que les deux autres « grands prophètes », Ésaïe et Ézéchiel. Il est 60 fois plus long que le plus court livre de l’A.T., le prophète Abdias. On comprend pourquoi il est ardu de lire Jérémie en entier.
De plus, Jérémie n’a pas la même poésie et la même richesse messianique d’Ésaïe, ni l’ampleur visionnaire et la rigueur chronologique d’Ézéchiel, et ses oracles nous semblent bien répétitifs. Mais c’est à dessein que Dieu nous a donné cette prophétie sous une forme aussi longue, car son message, pas toujours très agréable à entendre, a besoin d’être répété pour que nous y soyons attentifs. Raison de plus pour essayer d’y voir plus clair sur sa structure.
Trois difficultés préalables
Certains auteurs contemporains renoncent à trouver toute cohérence à la structure du livre. Ils attribuent cette difficulté à trois raisons.
Un texte à l’histoire compliquée
Avant d’être disponible sous sa forme actuelle, le livre du prophète Jérémie a connu plusieurs avatars, avec des éditions intermédiaires :
– Un premier recueil fut rédigé par Baruc sous la dictée de Jérémie : « Prends un livre, et tu y écriras toutes les paroles que je t’ai dites sur Israël et sur Juda, et sur toutes les nations, depuis le jour où je t’ai parlé, au temps de Josias, jusqu’à ce jour. » (36.2). Mais la suite du chapitre 36 relate comment ce premier ouvrage, après avoir été lu à plusieurs hauts dignitaires du royaume, fut brûlé par le roi impie Jojakim.
– Un deuxième recueil, encore plus fourni, fut alors réécrit par Baruc : « Jérémie prit un autre livre, et le donna à Baruc, fils de Nérija, le secrétaire. Baruc y écrivit, sous la dictée de Jérémie, toutes les paroles du livre qu’avait brûlé au feu Jojakim, roi de Juda. Beaucoup d’autres paroles semblables y furent encore ajoutées. » (36.32)
– Des compléments ultérieurs furent ensuite ajoutés : Les événements du chapitre 36 se situaient vers l’an 604-602. Or Jérémie continua de prophétiser et le livre rapporte nombre d’événements postérieurs : les prophéties et les événements sous Sédécias, la chute de Jérusalem, la descente du reste du peuple en Égypte, etc.
Mais réécrire un texte contribue souvent à améliorer sa qualité. Jérémie eut l’occasion de prêcher ses oracles, puis de les écrire plusieurs fois avant la version finale. La qualité et la cohérence ont augmenté avec le temps — preuve en est la structure finale harmonieuse.
Une traduction en grec avec des différences significatives
Au IIIe siècle avant J.-C., l’A.T. a été traduit en grec. Cette version, dite des Septante, est généralement assez proche du texte massorétique sur lequel sont basées la plupart des versions modernes. Jérémie est un des livres qui fait exception : la traduction des Septante est plus courte d’un huitième environ, avec la suppression de nombreux doublets[1] et dispose les chapitres dans un ordre différent. Ces écarts n’altèrent pas le contenu théologique du livre qui reste le même en hébreu et en grec.
Nonobstant les perplexités qui ont été engendrées par ces différences, il nous semble plus pertinent de continuer à suivre l’ordre du texte hébraïque pour analyser le plan du livre[2].
Un livre qui ne suit pas l’ordre chronologique
Une autre difficulté inhérente à l’analyse du livre vient de la chronologie. Jérémie a prophétisé entre 627 avant J.-C. et 580 environ ; le dernier paragraphe du chapitre 52 évoque la réhabilitation de Jojakin qui eut lieu en 561. Mais l’ordre des chapitres ne suit pas le déroulement historique.
Par exemple, dans la suite des chapitres 34 à 37, le chapitre 34 se situe au début du siège de Jérusalem (vers –588), le chapitre 35 vers –600, le chapitre 36 ramène vers –604 et le chapitre 37 revient vers –588. Le seul chapitre 22 évoque des situations éloignées de plus de 10 ans.
Cette irrégularité nous déroute un peu. D’autres prophètes ont une organisation plus linéaire et notre esprit cartésien privilégie une organisation plus immédiatement rationnelle. Mais l’Esprit de Dieu a conduit l’éditeur du livre à adopter cette disposition plus thématique pour faire ressortir des significations morales importantes.
Une proposition de plan
Même si les articulations sont plus difficiles à cerner que pour d’autres livres bibliques et si la longueur du texte rajoute un obstacle, il nous semble qu’il est néanmoins possible d’établir un plan à partir des indications mêmes du texte biblique — un plan qui contribue à notre compréhension du message clef du livre.
De 3 à 7 grandes parties
La nature littéraire du texte fait ressortir trois grands blocs :
– Les chapitres 2 à 25 comportent une forte proportion de textes en poésie[3], ils n’indiquent pas de dates précises et ont pour thème des jugements généraux sur le royaume de Juda.
– Les chapitres 46 à 51 sont eux aussi majoritairement en poésie, sans date indiquée et ont pour thème des jugements généraux sur les nations.
– Entre ces deux blocs, la partie centrale des chapitres 26 à 45 est majoritairement en prose, avec de nombreuses dates précises ; elle retrace l’histoire personnelle du prophète et des derniers jours de Jérusalem.
En détaillant un peu plus la partie centrale, la plus hétérogène des trois, il est possible de distinguer 7 parties au total :
– les chapitres 26 à 29 présentent les conflits de Jérémie,
– les chapitres 34 à 45 racontent toute la suite des épreuves de Jérémie,
– au centre, les chapitres 30 à 33 ont un ton particulier, beaucoup plus positif que le reste du livre — d’où le nom qui leur a été donné de « livre de la consolation » ou « livre de l’espérance ».
L’introduction (ch. 1, avec l’appel de Jérémie) et la conclusion du livre (ch. 52, avec la fin de Jérusalem) forment deux appendices historiques.
La structure du livre en « chiasme »[4] mise ainsi en évidence fait ressortir la place centrale des chapitres 30 à 33 : le centre du propos de Dieu dans ce livre de Jérémie est de donner une espérance à son peuple, par l’annonce d’une nouvelle alliance. Si la tonalité générale du livre est plutôt sombre, sa construction littéraire aboutit à un point central ô combien positif.
Vue d’ensemble de la structure du livre
1-L’appel de Jérémie
2-25 Les oracles contre Judas (10)
26-29 Les conflits de Jérémie (4)
30-33 Les livres de consolations et d’epérance (3)
34-45 Les épreuves de Jérémie (10)
46-51 Les oracles de Jérémie (10)
52 La fin e Jérusalem et le relèvement de Jojakin
Quelques indications pour un plan plus détaillé
Au-delà de cette « macro-structure » du livre, il est possible de mettre en évidence trois cycles de dix parties chacun.
Dans la première longue portion (ch. 2 à 25), dix parties sont marquées par des expressions similaires à celle du début du ch. 2 : « La parole de l’Éternel me fut adressée, en ces mots. » (2.1) De plus, ces dix oracles se répartissent de façon symétrique en trois groupes :
– les trois premiers se concentrent sur un panorama général du jugement du peuple (2.1-10.25) ;
– les quatre oracles centraux (11.1-20.18) entremêlent jugements et propos de Jérémie sur lui-même : au cœur de ces 24 chapitres se trouvent les passages appelés les « confessions de Jérémie », ces cris du cœur du prophète, affligé par l’endurcissement de son peuple ;
– les trois derniers (21.1-25.38) reprennent des thèmes généraux et moins personnels.
Les chapitres 26 à 29 décrivent les conflits de Jérémie avec le peuple, les faux prophètes, un faux prophète particulier (Hanania) et un autre faux prophète (Schemaeja) qui avait écrit une lettre aux exilés que Jérémie est obligé de contrer. Les quatre parties commencent par des indications chronologiques.
Le cœur du livre (ch. 30-33) comporte deux annonces prophétiques encourageantes : une nouvelle alliance (30-31) et un nouveau David (33). Entre les deux s’intercale une illustration à travers le rachat du champ d’Hanameel (32).
La deuxième longue portion (ch. 34 à 45) peut elle aussi se diviser en dix parties (même si ce découpage est un peu moins net que celui des ch. 2 à 25). On y retrouve l’expression : « La parole fut adressée à Jérémie de la part de l’Eternel, en ces mots… ». Là encore, ces dix parties se répartissent en trois groupes (3 + 4 + 3) :
– les trois premières parties sont des annonces de la captivité (34), rançon de l’infidélité du peuple qui contraste avec la fidélité des Récabites (35) ;
– les quatre suivantes sont directement historiques, avec les confrontations du prophète avec Jojakim (36) puis Sédécias (37-39), en contraste avec l’espoir donné à Ebed-Melec, suivi des conséquences de la destruction de Jérusalem jusqu’à l’arrivée de Jérémie avec le reste du peuple en Égypte (43.7) ;
– les trois dernières sont deux dénonciations de l’idolâtrie du peuple en Égypte (44), suivies du message d’espoir à Baruc (45), bien antérieur historiquement, mais qui trouve son accomplissement en Égypte puisque le secrétaire de Jérémie y a la vie sauve.
Enfin, la troisième longue portion (ch. 46 à 51) est elle aussi divisée très nettement en dix : neuf nations sont mentionnées, mais Babylone reçoit un oracle supplémentaire (51.59-64) confié à Seraja, le frère de Baruc.
La dernière partie du livre (le ch. 52) peut sembler une répétition inutile. Mais ce chapitre joue un rôle essentiel. Ce que dit un vrai prophète s’accomplit. Jérémie avait moult fois annoncé le siège et la chute de Jérusalem — et ils eurent lieu ! De plus ce chapitre ne mentionne pas le nom de Jérémie : l’Esprit de Dieu ne juge pas utile d’insister en ajoutant : « comme cela avait été annoncé par Jérémie le prophète ». À nous d’apprécier la cohérence extraordinaire entre l’annonce divine et sa réalisation. Mais de façon très touchante, le livre ne se termine pas là : quatre petits versets évoquent la réhabilitation de Jojakin (52.31-34). Jérémie avait certes annoncé arrachements et ruines (1.10), mais aussi édification et plantation. Le relèvement de Jojakin préfigure la parole de grâce sous Cyrus qui ramènera le peuple dans son pays ; il annonce la poursuite de la lignée messianique et il ouvre la voie vers celui qui allait être en lui-même le porteur de la nouvelle alliance, Jésus-Christ (Mat 1.11-16).
De l’intérêt d’un plan
S’intéresser au plan d’un livre biblique, surtout aussi long que Jérémie, a donc au moins un double intérêt :
– Avoir un plan en tête permet, lorsqu’on lit un verset de Jérémie, de comprendre à quelle place il s’inscrit dans le développement théologique du livre, pour mieux saisir sa signification.
– Surtout, Dieu a mis une intention spirituelle dans la façon dont sont agencées les paroles qu’il a communiquées. Jérémie en est une magnifique illustration : loin d’être un accolage disparate de prophéties, ce livre est construit pour mettre en évidence son message central : si le peuple a failli à garder l’alliance mosaïque, à laquelle la déportation va mettre un premier terme, Dieu va lui-même introduire une nouvelle alliance (31.31-34), tellement meilleure (cf. Héb 8.6), à laquelle il nous fait participer !
[1] Phrases, versets ou groupes de versets qui se retrouvent à l’identique (ou presque) à plusieurs reprises dans le livre.
[2] D’une manière générale, les traducteurs de la Septante se sont efforcés de gommer les prétendues « difficultés » du texte massorétique, mais en touchant au texte sacré, ils n’ont fait que multiplier les difficultés, notamment en détruisant des structures en chiasme manifestes dans le texte hébreu.
[3] La poésie hébraïque est de nature différente de la poésie française. Elle n’est malheureusement pas mise en évidence par certaines versions qui présentent le texte en continu, alors que d’autres font mieux ressortir les vers.
[4] Le chiasme est un procédé littéraire très fréquent dans les textes bibliques qui fait répondre des parties d’un texte en « miroir ». Par exemple, dans une structure A1-B1-C-B2-A2, les parties A1 et A2, puis B1 et B2 ont des caractéristiques communes, la partie centrale C étant généralement la plus importante.
Plan du livre du prophète Jérémie
A1. Introduction : L’appel de Jérémie 1
B1. Les oracles contre Juda 2-25
- La complainte sur Israël, épouse infidèle de Dieu 2.1-3.5
- Les appels à revenir, sous peine d’une invasion 3.6-6.30
- Le sermon au temple sur l’hypocrisie cultuelle 7.1-10.25
- La rupture de l’alliance et ses conséquences 11.1-13.27
- La sécheresse sans remède 14.1-15.21
- Le péché et ses conséquences 16.1-17.27
- La visite à la maison du potier 18.1-20.18
- Le jugement des rois infidèles et des faux prophètes 21.1-23.40
- Les deux paniers de figues 24.1-10
- L’hégémonie de Babylone, puis sa chute après la captivité de Juda 25.1-38
C1. Les conflits de Jérémie 26-29
- Le conflit avec le peuple 26.1-24
- Le conflit avec les faux prophètes 27.1-22
- Le conflit avec Hanania 28.1-17
- La lettre aux exilés et le conflit avec Schemaja 29.1-32
- Le livre de la consolation et de l’espérance 30-33
- Le rétablissement du peuple et la nouvelle alliance 30.1-31.40
- Le rachat du champ d’Hanameel et le rétablissement des captifs 32.1-44
- Le rétablissement du peuple et le nouveau David 33.1-26
C2. Les épreuves de Jérémie 34-45
- L’annonce de la captivité de Sédécias 34.1-7
- L’annonce de la captivité du peuple infidèle à son alliance 34.8-22
- Le signe de la fidélité des Récabites 35.1-19
- La destruction du 1er rouleau de Jérémie et la protection du prophète 36.1-32
- L’emprisonnement du prophète et la destruction de Jérusalem 37.1-39.14
- Le message à Ebed-Melec 39.15-18
- Le complot contre Guedalia et la descente en Égypte 40.1-43.7
- Le signe des grosses pierres 43.8-13
- La dénonciation de l’idolâtrie en Égypte 44.1-30
- Le message à Baruc 45.1-5
B2. Les oracles contre les nations 46-51
- L’oracle contre l’Égypte 46.1-28
- L’oracle contre la Philistie 47.1-7
- L’oracle contre Moab 48.1-47
- L’oracle contre Ammon 49.1-6
- L’oracle contre Édom 49.7-22
- L’oracle contre Damas 49.23-27
- L’oracle contre Kedar et Hatsor 49.28-33
- L’oracle contre Élam 49.34-39
- L’oracle contre Babylone 50.1-51.58
- L’oracle contre Babylone confié à Seraja 51.59-64
A2. Conclusion : La fin de Jérusalem et le relèvement de Jojakin 52