Un témoin lumineux
« Conduisez-vous avec sagesse envers ceux du dehors, et rachetez le temps. Que votre parole soit toujours accompagnée de grâce, assaisonnée de sel, afin que vous sachiez comment il faut répondre à chacun. »
Colossiens 4.5-6
Un dîner presque parfait
Lors d’un récent voyage en Côte d’Ivoire, j’ai été chaleureusement invité à un anniversaire surprise d’une collaboratrice de notre client. Lors du repas, certaines musiques ivoiriennes ont attiré mon attention : c’était en fait des chants de louange chrétien. Nous avons donc commencé à échanger librement sur les croyances de chacun des convives. Autour de la table se trouvaient une majorité de chrétiens de différentes confessions, deux musulmans, un traditionnaliste (proche de l’animisme) et mon collègue agnostique. Ce sujet de discussion est assez tabou dans l’espace public en France. En effet, sous couvert de laïcité, le partage de sa foi dans la sphère publique ou professionnelle peut paraître ostracisé. Il est pourtant autorisé, dans le respect de son interlocuteur bien entendu.
La soirée s’est prolongée avec un débat animé entre plusieurs chrétiens (dont moi-même) et le traditionnaliste. Il se plaignait de certains chrétiens qui sont trop sûrs d’eux et qui font du prosélytisme, à proprement parler, en venant même toquer aux portes des maisons très tôt le matin. Il questionnait les intentions profondes de tels chrétiens. Il est intéressant de se poser cette question : si nous évangélisons, qu’est-ce qui nous anime le plus ? La volonté de montrer aux autres que nous avons raison ou bien la volonté de partager le remède qui nous a guéris, par amour pour notre prochain ?
Recherchons le bon équilibre
Lorsqu’un disciple témoigne, il y a deux principaux écueils à éviter. D’un côté, on peut asséner la vérité de manière trop dure, sans amour. Nous serions alors comme « une cymbale qui retentit » en produisant un son confus (1 Cor 13.1). De l’autre, nous pouvons être tentés d’adoucir le message biblique, d’accentuer uniquement l’amour de Dieu pour essayer de laisser une porte ouverte au salut de notre interlocuteur, même s’il ne connaît pas Jésus. Pourtant Jésus n’a pas essayé d’arrondir les angles ni de relativiser sa propre importance quand il a déclaré : « nul ne vient au Père que par moi » (Jean 14.6). C’est à cet équilibre qu’encourage Paul en Colossiens 4.5-6. Ce verset décrit un savant mélange entre la « grâce », autrement dit la douceur du propos, et le « sel », qui représente la vérité de l’esprit, donnant le véritable « goût » à nos paroles.
Lors de cette soirée, j’espère que nous ne sommes pas tombés dans ces travers. En fin de compte, personne n’a changé de position. On pourrait en conclure que ces débats religieux sont infructueux et inutiles. Mais faire changer d’avis une personne ne devrait pas être le but premier de notre échange. Ne jugeons pas des fruits du témoignage que nous apportons. Obéissons simplement à la mission que le Christ nous donne : « Va dans ta maison, vers les tiens, et raconte-leur tout ce que le Seigneur t’a fait, et comment il a eu pitié de toi » (Marc 5.19).
La responsabilité de Dieu, du disciple et de celui qui l’écoute
Paul distingue avec justesse et humilité les responsabilités des différents acteurs de l’évangélisation : « J’ai planté, Apollos a arrosé, mais Dieu a fait croître, en sorte que ce n’est pas celui qui plante qui est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui fait croître » (1 Cor 3.6-7).
Laissons à Dieu le travail du cœur que Lui seul peut réaliser. Notre responsabilité consiste seulement à « planter une graine » ou à « arroser » le témoignage de quelqu’un d’autre. Laissons aussi le temps à notre interlocuteur de digérer la discussion et de se positionner librement par rapport au message. Enfin, tirons profit de ces échanges pour progresser dans la ressemblance de notre Sauveur.
Me suis-je adapté à mon interlocuteur sans le juger ? « J’ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute manière quelques-uns. » (1 Cor 9.22) Ai-je parlé en vérité ? « […] nous n’avons point une conduite astucieuse, et nous n’altérons point la parole de Dieu. Mais en publiant la vérité, nous nous recommandons à toute conscience d’homme devant Dieu » (2 Cor 4.2).
Ai-je parlé avec douceur et respect ? « Étant toujours prêts à vous défendre avec douceur et respect, devant quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous » (1 Pi 3.15).
Ai-je répondu à la provocation par la provocation ? « Ne rendez à personne le mal pour le mal » (Rom 12.17).
Est-ce l’amour de mon prochain qui m’a poussé à parler ? « Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Gal 5.14)
Mon comportement et mes actes sont-ils en accord avec mon témoignage ? « Petits enfants, n’aimons pas en paroles et avec la langue, mais en actions et avec vérité » (1 Jean 3.18).
Ai-je envie de prier pour son bonheur, pour son salut ? « J’exhorte donc, avant toutes choses, à faire des prières, des supplications, des requêtes, des actions de grâces, pour tous les hommes » (1 Tim 2.1).
Pour être heureux, vivons cachés ?
On pourrait être tenté d’être un disciple discret en se donnant une foule de « bonnes raisons » : je ne sais pas bien parler, je ne veux pas faire de prosélytisme ou mettre les gens mal à l’aise, j’ai peur de perdre des amis… Beaucoup de ces excuses ne sont souvent qu’une projection de nos peurs et s’avèrent erronées lorsqu’on se lance. Mais au fond, est-ce que le témoignage est une option ou un véritable devoir du disciple ?
On trouve dans la Bible des exemples de disciples, qui ne vivent pas leur foi au grand jour. C’est le cas de Joseph d’Arimathée et de Nicodème, qui étaient des disciples secrètement au début de leur chemin de foi. Être un disciple en secret n’est pourtant pas une option laissée par le Seigneur : « Car quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aura aussi honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père, avec les saints anges » (Marc 8.38, voir aussi Mat 10.32-33).
Heureusement, la Bible nous apprend que ces deux hommes ont finalement pris le risque de révéler leur foi, au moment où cela était pourtant le plus risqué pour eux :
« Après cela, Joseph d’Arimathée, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate la permission de prendre le corps de Jésus. Et Pilate le lui permit. Il vint donc, et prit le corps de Jésus. Nicodème, qui auparavant était allé de nuit vers Jésus, vint aussi, apportant un mélange d’environ cent livres de myrrhe et d’aloès » (Jean 19.38-39).
La peur ne doit donc pas être une excuse pour se taire. Dans beaucoup de pays, les chrétiens persécutés assument leur foi de manière plus courageuse que dans certains pays de liberté religieuse.
Il serait certes plus confortable pour nous d’être des chrétiens du dimanche ou de la sphère privée. Mais on n’allume pas une lampe pour la cacher sous un seau ! (Mat 5.15).
Si nous risquons dans notre pays quelques moqueries pour notre témoignage, souvenons-nous que « nos légères afflictions du moment présent produisent pour nous, au-delà de toute mesure, un poids éternel de gloire… » (2 Cor 4.17).
Assumons la “folie” de la prédication
Dans la Profession de foi du vicaire savoyard, Rousseau critique les religions révélées, l’autorité et la fiabilité du témoignage de la Bible. Il en appelle à la religion naturelle, croyance raisonnable que chacun peut découvrir dans son cœur. Beaucoup d’agnostiques modernes sont influencés par cette pensée et par un relativisme interdisant l’existence même d’une vérité révélée.
Dans un dialogue fictif avec un croyant, Rousseau écrit : « Dieu a parlé ! Voilà certes un grand mot. Et à qui a- t-il parlé ? Il a parlé aux hommes. Pourquoi donc n’en ai-je rien entendu ? Il a chargé d’autres hommes de vous rendre sa parole. J’entends ! ce sont des hommes qui vont me dire ce que Dieu a dit. J’aimerais mieux avoir entendu Dieu lui-même (…) »
Il est vrai que la mission de témoin du Christ n’est pas évidente. Pourquoi Dieu se sert-il de disciples humains, si faillibles, alors qu’il pourrait d’un mot se faire connaître à l’oreille de tout homme ? Mais qui sommes-nous pour expliquer à Dieu comment il doit parler aux hommes ? Si en Eden, Dieu parlait sans intermédiaire avec Adam et Eve, il aurait parfaitement pu couper toute relation avec l’humanité après
la chute. Il a cependant choisi des hommes pour se faire connaître. Cette méthode peut paraître humiliante pour Rousseau, mais justement, Dieu veut se révéler aux humbles. Si Dieu daigne envoyer un serviteur pour nous parler, c’est déjà une grande marque d’amour. Si un ministre vous parle de la part du président, vous plaindrez-vous que ce dernier ne s’adresse pas directement à vous ?
En réfutant l’existence d’une révélation unique de Dieu, sous prétexte d’intolérance des croyants qui la défendent, Rousseau finit par se créer son propre Dieu, sur mesure. Ironiquement, propre intolérance envers tous ceux qui ne se sont pas fabriqués le même Dieu que lui devient alors évidente.
Paradoxalement, même s’il reste sceptique, Rousseau est obligé de concéder ceci : « Je vous avoue aussi que la majesté des Écritures m’étonne, que la sainteté de l’Évangile parle à mon cœur » Plus encore, il ne peut nier l’historicité du Christ et va jusqu’à dire : « Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu ».
Soyons donc des disciples visibles qui affirment avec Paul :« Je n’ai point honte de l’Évangile : c’est la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit » (Rom 1.16).