Une espérance au-delà de la souffrance
Sylvette Huguenin, officière de l’Armée du salut, est veuve depuis trois ans et demi. Elle réapprend à vivre sans l’être aimé. La jeune femme parle de la bonté que Dieu lui témoigne et de la richesse spirituelle d’une vie éprouvée.
C’est d’une voix calme et posée que la jeune femme répond au téléphone. Elle travaille dans une institution de l’Armée du salut à Genève, et élève seule ses quatre enfants. Philippe, son mari, a été emporté brutalement par une malaria foudroyante en mars 1997, alors qu’il était chef du programme sanitaire de l’Armée du Salut à Brazzaville (Rép. du Congo). Il avait 36 ans. Revenue en Suisse avec ses enfants, Sylvette accepte de parler de ses interrogations et de ce qu’elle découvre au travers du deuil.
Son premier commentaire est un simple mot de reconnaissance: «Merci à Dieu, dit-elle, parce qu’Il m’a soutenue et qu’Il a été fidèle. Merci pour Son amour à travers cette expérience. Merci aussi à Philippe, mon mari. Tout ce que j’ai vécu avec lui m’aide à vivre encore maintenant. Merci à tous ceux qui m’ont aidée dans cette épreuve, depuis le début jusqu’à maintenant, à tous mes amis, et il y en a beaucoup.»
L’interlocuteur en reste perplexe. Comment ne pas éprouver d’amertume quand le bonheur d’une vie est fauché en pleine force de l’âge? « Non, je n’ai pas d’amertume », confie-t-elle. Des «pourquoi», oui, il y en a. Mais ces questions sans réponse ne m’empêchent pas d’aller de l’avant. C’est cela qui compte».
Pourtant, la vie n’est plus la même. L’échelle des valeurs est bouleversée. «On ne donne peut-être plus le même poids à tout ce qui paraissait important avant. Ce qui reste par-dessus tout, ce sont les relations avec les autres, avec nos familles, nos proches et nos amis, la qualité des relations humaines ».
Et Dieu se laisse découvrir d’une manière différente. «J’ai réalisé d’une façon unique à quel point Il m’aimait. Je n’avais pas pensé que c’était aussi grand, que je pouvais vraiment m’appuyer sur Lui, qu’Il n’attendait rien de moi, même pas d’être courageuse. Je peux venir à Lui, tout simplement, avec mes questions, mes doutes, même mes moments de colère. J’ai pu Lui apporter ma colère, dans la mesure où je n’étais pas refermée sur elle, mais prête à y recevoir une réponse». La simplicité du ton sonne juste. On découvre avec Sylvette combien Dieu est extraordinaire et proche.
Portant un regard sur elle-même, elle mesure à quel point tout a changé, et à quel point il est nécessaire de retrouver une nouvelle identité. «Mais d’un autre côté, je suis toujours moi-même, poursuit-elle. Lorsqu’on passe par ce genre d’expérience, on ne sait plus très bien qui on est. Dans mon cas, on réalise plus que jamais que dans le mariage, les conjoints deviennent un. Et puis tout à coup, il manque la moitié. J’ai dû retrouver qui j’étais vraiment, et comment continuer seule. Je ne sais pas si je suis très différente, mais c’est clair que je ne suis plus la même non plus ».
Justement, dans ces moments, la vie de la foi est mise à l’épreuve. Sylvette est à présent plus convaincue de l’amour et de l’attention que Dieu lui porte. «Avant, je savais que Dieu m’aimait, mais d’une autre façon. Dans mon deuil, je réalise que Dieu a encore un projet d’amour et d’espérance pour ma vie et pour celle de mes enfants. Peut-être parce que j’en ai davantage besoin maintenant».
Des idées toutes faites sur la foi ou sur Dieu ne tiennent plus la route: «Tout ce qui n’est pas vraiment vécu ne nous aide pas dans les moments difficiles. Il n’y a que ce qui est vrai et fondé, qui tienne. C’est pour cela que je ne suis plus si sûre des choses qu’on nous a enseignées, si elles n’ont pas été éprouvées ».
On n’écarte sûrement pas les grandes questions qui viennent à l’esprit: pourquoi Dieu permet-Il ces événements, laisse-t-Il faire, est-ce l’ouvre d’une puissance mauvaise? «Je n’ai pas de réponse satisfaisante. Et je n’en ai pas parce que je ne peux pas voir les choses de la manière dont Dieu les voit. Ainsi je serai plus prudente dans ce que dirai à l’avenir, évitant les réponses toutes faites. Elles ne satisfont pas le cour à vif. Je crois surtout que Dieu nous laisse une très grande liberté. Ceux qui L’aiment trouveront auprès de Lui ce qui leur sera nécessaire pour vivre».
Dans l’entourage d’une famille en deuil, on n’ose peut-être pas aborder certains sujets. «Je dirais volontiers aux gens de ne pas avoir peur des larmes. De ne pas avoir peur de parler des gens disparus, ou de demander comment ça va. Même si cela fait pleurer l’autre. En elles-mêmes, les larmes ne sont pas une mauvaise chose. C’est une étape pour aller plus loin. Qu’ils n’aient donc pas peur de parler simplement avec leur cour. Avec son cour, on parle toujours juste, ou du moins l’autre comprend ce qui est dit dans l’affection ».
Enfin, il ne sert à rien de nier la souffrance. Elle n’empêche pas l’espérance. «Je suis convaincue que Jésus pleure avec ceux qui sont dans le deuil. Qu’ils se laissent porter par Dieu, sans vouloir nier la souffrance ou passer par-dessus, mais en la vivant, pour après, aller plus loin. Dieu est fidèle. Cette parole m’a particulièrement touchée: « Je connais les projets que j’ai formés sur vous, dit l’Eternel, projets de paix, et non de malheur, afin de vous donner un avenir fait d’espérance», (Jér 29.11). Le deuil n’aboutit pas au bonheur. Mais par-dessus l’épreuve, ou après, Dieu formule toujours des desseins d’espérance pour nous».
Propos recueillis par Robert Muller; tiré de «En Avant» France no 5816 du 26/10 au 01/03/98 et de «En Avant» Canada du 22/05/99, avec autorisation.