Une leçon des livres historiques
Les livres historiques de Josué à Rois 1 forment un ensemble important de 147 chapitres, soit 23 % environ du texte de l’A.T. Le canon hébraïque l’inclut dans la deuxième division de l’A.T., les Nebiim, et les désigne sous le titre « les premiers prophètes2 » . Ce long développement expose l’histoire du peuple d’Israël de son entrée en Canaan jusqu’à la déportation de Juda à Babylone.
Dans ces chapitres, nous trouvons nombre d’histoires riches d’applications morales — comme l’appel de Gédéon, David et Goliath, les miracles d’Élisée, etc. Toutefois, si intéressants que soient les récits particuliers, il faut se souvenir qu’ils s’inscrivent dans un grand mouvement d’ensemble, dont une section du Deutéronome donnait en quelque sorte le sommaire par avance.
Le Deutéronome, ou « deuxième loi », donne les instructions que le peuple d’Israël devait suivre dans le pays où il allait entrer. Au cours du livre, Moïse va évoquer une suite d’« institutions » selon Dieu qui vont permettre au peuple de « fonctionner ». De Deutéronome 16.18 à 18.223 , trois catégories d’autorités sont mentionnées successivement :
- les juges et les sacrificateurs (16.18-17.13) ;
- le roi (17.14-18.8) ;
- le prophète (18.9-22).
Jusque-là, pendant toute la traversée du désert, Moïse jouait à la fois le rôle de « roi en Israël » (Deut 33.5) et de prophète (Deut 18.18, « un prophète comme toi »), tandis que la sacrificature était confiée à Aaron son frère.
Après leur décès, Josué d’un côté et Éléazar de l’autre vont prendre leur suite pour faire entrer le peuple dans le pays. Le livre de Josué se termine par la double mention de la mort de Josué (Jos 24.29-31) et d’Éléazar (Jos 24.33). Les porteurs de la conquête disparaissent, et les institutions prévues par Dieu vont devoir prendre la suite.
1. La décadence de la sacrificature et des juges
De façon significative, le livre des Juges commence par rappeler la mort de Josué (Jug 1.1), avant de donner deux introductions successives. La première (Jug 1.1-2.5) surprend : les fils d’Israël n’ont pas chassé les Cananéens, alors que la fin de Josué suggérait que la conquête avait été achevée ; la mission de Josué n’avait pas été totalement remplie. La seconde (Jug 2.6-3.6) donne le résumé du cycle qui va se répéter au cours des siècles qui suivront sous les 12 juges : les fils d’Israël rejettent Dieu ; Dieu envoie un ennemi pour les asservir ; les Israélites implorent Dieu ; Dieu suscite un juge pour les délivrer et opérer un retour temporaire vers lui. Ces cycles vont aller de mal en pis, en particulier quant à l’attitude du peuple vis-à-vis du juge — jusqu’à Samson, rejeté par son peuple qui prend son parti de la domination des Philistins (Jug 15.11).
Dans cette période, Dieu prend soin de son peuple au travers de la sacrificature et des juges : Israël est alors une théocratie directe, comme l’indique le dernier verset du livre : « En ce temps-là, il n’y avait point de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui semblait bon » (Jug 21.25).
Mais cette médiation de la sacrificature et des juges entre Dieu et le peuple a failli. Les juges ont été incapables de ramener durablement le peuple à Dieu. Quant à la défaillance de la sacrificature, elle est exposée dans les deux conclusions du livre (Jug 17-18 et 19-21). La première narre le dévoilement de la sacrificature par un homme qui, via un Lévite, va établir son propre culte en détournant ce que Dieu avait institué pour y substituer une idole. La seconde conclusion rapporte l’histoire très glauque d’un autre Lévite et témoigne de l’épouvantable décadence morale qui sévissait parmi le peuple ; or ce récit ne se situe pas à la fin de la période des Juges, mais au début puisque Phinées, successeur d’Éléazar, est encore vivant (Jug 20.28) ; la faillite de la sacrificature a donc été très rapide, et même la présence du champion de la sainteté selon Dieu qu’est Phinées (cf. Nom 25) ne suffit pas à éviter l’horreur décrite dans ces chapitres. La sacrificature, parce qu’elle était confiée à des humains faillibles, n’a pas été capable d’assurer la bénédiction du peuple de Dieu.
2. La faillite de la royauté
Le livre de Samuel s’ouvre par l’histoire d’Elkana, le père de Samuel. Samuel joue un rôle important dans cette métahistoire, puisqu’il est à la fois un Lévite et un juge. Il fait l’intermédiaire entre la période des juges-sacrificateurs et celle des rois. Même s’il est personnellement fidèle, ses fils ne le sont pas (1 Sam 8.3-4) et le peuple exige un roi. Ce faisant, les Israélites rejettent la théocratie directe en vigueur jusque-là : « Écoute la voix du peuple dans tout ce qu’il te dira ; car ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux » (1 Sam 8.7).
Même si Dieu, dans sa souveraineté, avait déjà prévu dans le Deutéronome la demande du peuple (Deut 17.15), il ne dédouane pas pour autant Israël de sa responsabilité. Ce dernier doit assumer pleinement son mauvais choix.
Le premier roi, Saül, ayant tôt fait de montrer qu’il ne faisait pas l’affaire, Dieu choisit un autre roi, David, « selon son cœur » (1 Sam 13.14). Après de multiples péripéties, David devient enfin roi (2 Sam 5.4). Peu après, l’Éternel annonce à David une magnifique promesse : « J’élèverai ta postérité après toi, celui qui sera sorti de tes entrailles, et […] j’affermirai pour toujours le trône de son royaume. Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils. » (2 Sam 7.12-14) Arrivés à ce point, nous pourrions penser que la royauté est enfin la solution, puisque Dieu a établi une dynastie « pour toujours ».
La suite du livre révèle qu’il n’en est rien : David, infidèle, doit fuir devant son fils Absalom, l’héritier auto-proclamé. Le roi finit son règne fatigué et guère perspicace 4.
La promesse de Dieu envers le fils de David semble s’accomplir en Salomon. Si David a, en partie, failli, le début du règne de Salomon est brillant : le roi met en œuvre la sagesse qu’il a demandée et reçue de Dieu dans ses affaires intérieures (1 Rois 3.16-28), dans ses relations extérieures, dans ses écrits (1 Rois 4.29-34), dans ses réalisations (1 Rois 5.1-12). La dédicace du magnifique temple qu’il construit pour Dieu est l’apogée de son règne. L’institution de la royauté aurait-elle réussi là où l’institution précédente avait failli ? Hélas non et la triste fin du règne de Salomon le démontre : contrairement aux recommandations du Deutéronome, il accumule femmes, chevaux et or ; pire encore, il tombe dans l’idolâtrie.
La suite de la royauté s’enfonce dans la décadence jusqu’à la reconstruction de Jéricho sous Achab (1 Rois 16.34) qui ramène le peuple avant la conquête, au début du livre de Josué. C’est comme si tout ce qui avait été construit pendant tous ces siècles s’écroulait.
3. L’échec de la prophétie
Dieu introduit alors le ministère prophétique avec Élie le Thischbite. Autant David a symbolisé la royauté 5 , autant Élie a incarné la prophétie6 . Puisque la sacrificature et la royauté ont failli, la prophétie est instaurée pour ramener le peuple à Dieu — et en premier lieu, à travers Élie et Élisée, le royaume du nord, Israël, qui s’était le plus éloigné. En dépit de leur ministère puissant, la décadence continue jusqu’à la déportation du royaume du nord en –722 par les Assyriens. « L’Éternel fit avertir Israël et Juda par tous ses prophètes, par tous les voyants, et leur dit : Revenez de vos mauvaises voies, et observez mes commandements […] Mais ils n’écoutèrent point. […] Les enfants d’Israël s’étaient livrés à tous les péchés que Jéroboam avait commis ; ils ne s’en détournèrent point, jusqu’à ce que l’Éternel ait chassé Israël loin de sa face, comme il l’avait annoncé par tous ses serviteurs les prophètes.» (2 Rois 17.13-14,22).
Le royaume du sud connaît la même fin tragique, en dépit de deux rois fidèles, Ézéchias et Josias, qui essayent de réveiller le peuple, et des prophètes qui se succèdent pour avertir (cf. 2 Rois 24.2). La prophétie n’a pas eu plus de succès que la sacrificature ou la royauté pour maintenir le peuple près de Dieu. Toutes ces institutions, pourtant établies par l’Éternel, n’ont pas apporté la solution.
4. La seule solution
De façon surprenante, le livre des Rois ne se termine pas sur la fin de Jérusalem, mais par le rétablissement partiel de Jojakin, l’héritier direct de la couronne de David (2 Rois 25.27-30). Du tronc d’Isaï qui paraissait complètement mort sort un tout petit rejeton… qui allait permettre à la lignée de continuer et à un descendant de David de remplir enfin un jour la promesse de 2 Samuel 7 (És 11.7).
Car si la sacrificature, la royauté et la prophétie ont failli, c’est parce que Jésus est le seul espoir. Toutes ces longues pages de l’A.T. nous sont données pour nous prouver qu’aucune solution humaine ne peut réussir : tout ce qui a été essayé a été insuffisant et a échoué. Si Jésus-Christ n’était pas venu pour changer le cours de l’histoire dans le cœur des hommes, il n’y aurait aucune solution. Ce ne sont pas des institutions humaines, si bien pensées qu’elles puissent être — et comment auraient-elles pu être mieux pensées que données directement par Dieu — qui ouvriront une solution au drame de l’humanité. Israël est le prototype choisi par Dieu, mais si Dieu avait choisi une autre nation, le résultat aurait été exactement le même.
Chacun de nous avons besoin d’intérioriser profondément ce constat : Jésus est la seule solution — tant pour l’humanité en général que pour notre vie individuelle. Confusément, nous espérons toujours en « l’homme providentiel » :
lors d’une élection, nous attendons le dirigeant politique providentiel qui remettra l’économie, la société, les institutions en bon ordre — et nous sommes toujours déçus, comme autrefois le roi décevait toujours ;
les « prophètes » d’aujourd’hui, qu’ils soient sociologues, économistes, penseurs ou autres, ont peut-être de bonnes idées qui nous séduisent, mais elles ne pourront pas être appliquées efficacement, parce que la « matière humaine » n’est pas bonne ;
dans notre vie personnelle, nous mettons si vite notre espoir en un médecin, un psychologue, un conseiller, en oubliant qu’ils ne sont que des hommes faillibles ;
ce constat vaut aussi pour l’église. N’arrive-t-il pas que nous attendions beaucoup, trop, d’un « pasteur providentiel », d’un prédicateur puissant ?
Jésus est, lui, l’homme providentiel, à la fois le parfait sacrificateur, le parfait roi et le parfait prophète. Pour chaque homme en salut et pour chaque croyant dans le quotidien de son chemin, Jésus est le seul espoir. Telle est une leçon fondamentale de ces livres historiques.
- Hors Ruth, qui est classée dans la Bible juive parmi les « 5 rouleaux ».
- Les « derniers prophètes » regroupent Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel et les 12 petits prophètes. Le nombre de mots de ces livres représente aussi 23 % du texte de l’A.T.
- La partie centrale du Deutéronome (12-25) donne des lois détaillées qu’il est possible de relier successivement au Décalogue (voir Eugene H. Merrill, Deuteronomy, NAC). La portion 16.18-18.22, sur les autorités dans le pays, se rattache au 5e commandement, l’autorité dans la famille. Le juge puis le roi puis le prophète ont joué historiquement un rôle de « père » pour la nation (cf. 1 Sam 24.12 ; 2 Rois 2.12 ; 6.21)
- Voir par exemple son jugement hâtif concernant Méphibosheth (2 Sam 19.29).
- Les rois de Juda sont estimés par rapport à David tout au long du livre des Rois.
- C’est ainsi que le N.T. le présente à maintes reprises.