Dossier: Création en crise
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Une vision biblique des animaux

Depuis la publication de l’ouvrage phare de Peter Singer, Animal Liberation, en 1976, le thème de la relation morale de l’humanité avec les animaux est devenu un sujet particulièrement controversé. Sans surprise, les chrétiens ont commencé à revisiter la question des droits des animaux. Les végétariens chrétiens, comme ils s’appellent eux-mêmes, se sont mis à proclamer leur mode de vie plus « humain » comme une extension logique de la rédemption trouvée en Christ. À la lumière de ces évolutions, il est maintenant nécessaire que l’Église examine à nouveau ce que dit l’Écriture sainte à propos de la relation de l’humanité avec les animaux, en comparant cette relation à celle défendue par ceux qui s’appellent des « végétariens chrétiens » et des « défenseurs chrétiens des droits des animaux ». Pour ce faire, cet article définira la question, examinera cette question du point de vue du théologien des droits des animaux Andrew Linzey, puis évaluera ses idées à la lumière des Écritures.

Définitions

Commençons par définir certains termes.
Le concept de « droits des animaux » pose comme principe que les animaux en tant qu’individus ont les mêmes droits que ceux que l’on croit appartenir à l’homme, ou du moins des droits similaires à ceux-ci. Ces droits comprendraient le droit à la vie, à la liberté et à la latitude de vivre sans être dérangés par les humains. Cette théorie diffère de la doctrine du « bien-être des animaux », selon laquelle les êtres humains peuvent manger, chasser, piéger, pêcher et élever des animaux, à condition que les animaux soient traités de manière responsable.
Les végétariens sont des personnes qui refusent de manger de la chair animale, mais qui mangent et portent des produits d’origine animale (tels que le fromage, le lait et la laine) qui n’exigent pas la mort de l’animal.
Les végétaliens (vegans), eux, refusent de manger ou de porter tout produit provenant directement ou indirectement d’animaux, y compris les produits testés sur des animaux.
Les végétariens chrétiens, malgré une certaine diversité, estiment que le principe chrétien d’intendance de la terre selon Dieu justifie fortement, sinon exige, l’adoption d’un mode de vie végétarien. Ils croient que le végétarisme accomplit la volonté de Dieu pour la gérance de l’humanité de quatre manières essentielles.
 Tout d’abord, ils soutiennent que le végétarisme était le plan original de Dieu dans la création.
 Deuxièmement, le végétarisme, en réduisant la mort animale, représente la compassion du Christ pour la création.
 Troisièmement, il illustre une gestion selon Dieu de la terre par un mode de vie plus simple, dans la mesure où les végétariens consomment moins de ressources.
 Enfin, le végétarisme témoigne d’une meilleure responsabilité individuelle dans la mesure où il est un mode de vie plus sain.1 Comme on peut le constater, le sujet du végétarisme chrétien est varié et nécessite une évaluation, tant du point de vue théologique que scientifique. Il convient de souligner que la relation entre le végétarisme et les droits des animaux n’est pas symétrique. Mais si on prétend être un activiste des droits des animaux, alors on doit être végétarien pour rester cohérent. Cependant, vous pouvez être végétarien sans être un activiste des droits des animaux.

La théologie d’Andrew Linzey

Le premier ouvrage d’Andrew Linzey, intitulé Droits des animaux : une évaluation chrétienne du traitement des animaux par l’homme, a paru en 1976, la même année que Animal Liberation de Peter Singer. Depuis, Linzey, un ministre anglican, a continué à développer ses arguments en faveur d’une vision chrétienne des droits des animaux. L’argumentation du Dr Linzey présente des thèmes intéressants pour le chrétien par rapport à la Bible. Ses points de vue concernent notre vision de l’homme, la place de l’humanité dans la création, le statut des animaux, l’étendue de l’œuvre rédemptrice du Christ et les participants à l’au-delà.
En discutant de la théologie de Linzey, il faut donc considérer deux questions clés. Premièrement, quel est le statut moral des animaux ? Deuxièmement, l’humanité peut-elle moralement manger des animaux ?
En un mot, selon la théologie de Linzey sur les animaux, le but premier de Dieu pour l’homme et la bête était qu’ils vivent dans une harmonie non violente. L’un ne devait pas nuire à l’autre. La chute, cependant, a changé cette relation. Mais Dieu, à travers Jésus-Christ, cherche à tout racheter et à tout restaurer, y compris la relation entre les animaux et l’homme. Par conséquent, les chrétiens, en tant que disciples du Christ, doivent prendre soin des animaux et travailler à leur restauration, car la cruauté est un athéisme.
Linzey fonde sa thèse sur deux points principaux : l’alliance de la création et l’exemple du Christ.
 Tant l’humanité que le monde animal font partie d’une même communauté puisque tous deux tirent leur vie de l’esprit de Dieu, ont été formés de la poussière du sol et partagent la même bénédiction de croître et multiplier. Dieu avait originellement conçu Adam et Ève pour être végétariens. Leur domination visait à garder le jardin non seulement pour le bénéfice des hommes mais aussi pour le bénéfice de la création animale. Genèse 9 n’est qu’une concession par laquelle Dieu permettait à l’homme de tuer des animaux par nécessité. Puisque ce n’est plus nécessaire pour vivre, nous ne devons donc plus le faire.
 En Christ, la puissance s’est exprimée dans l’humilité. Comme représentants de Christ, nous devons servir les « moindres de ceux-ci » (cf. Mat 25.45). Christ est mort pour réconcilier le monde, donc les animaux et toute la création avec lui-même. En Christ nous devons aider à faire advenir le royaume de paix prophétisé en Ésaïe 65. Enfin, Christ, comme Logos, a contribué à la création des animaux et il est donc concerné par eux comme plusieurs paraboles le suggèrent.
La plus grande objection à cette théorie vient du système sacrificiel de l’A.T. Linzey s’étonne que Dieu puisse aimer les animaux et pourtant apprécier leur mort (Gen 8.20-21). Mais pour Linzey, le sacrifice revient à libérer la vie de l’animal pour être avec Dieu.
À l’objection que Jésus a mangé du poisson, Linzey répond que Christ vivait dans un certain contexte et qu’il était limité pour résoudre tous les problèmes.

Une évaluation critique des vues de Linzey

La faiblesse du travail de Linzey vient de ce qu’il ne se base pas suffisamment sur les textes bibliques pertinents sur le sujet (1 Tim 4.3 ; Marc 7.19 ; Rom 14.1-2).
 Concernant l’alliance de la création, Linzey exagère l’étendue des ressemblances entre les animaux et les hommes. Genèse 2 nous indique spécifiquement que Dieu a soufflé une respiration de vie en Adam. Seul l’homme est fait « à l’image de Dieu » (Gen 1.26 ; cf. Ps 8). Dieu a développé une relation avec l’homme comme il ne l’a jamais fait avec aucun animal. Le verbe « dominer » n’est jamais utilisé pour les animaux. Enfin la transgression d’Adam et Ève est d’autant plus grave qu’ils auraient dû dominer sur le serpent et le chasser pour blasphème. Et si Adam et Ève étaient probablement végétariens (selon Gen 9.3), Linzey oublie que nous ne pouvons pas retourner dans le jardin d’Éden.
 Concernant l’exemple du Christ, Linzey a certainement raison de dire que suivre Christ ne veut pas dire l’imiter exactement : par exemple, Christ ne demande pas à chacun de souffrir le martyre. Mais le comportement de Christ face aux animaux donne un exemple de domination qui va à l’opposé des vues de Linzey. Christ a démontré son pouvoir à ses disciples en tuant des animaux (Luc 5.4-6 ; Mat 17.27). N’aurait-il pas pu créer une pièce à partir de rien ?

Une proposition pour une vision biblique des animaux

Quelle synthèse peut émerger si nous prenons en compte l’ensemble des Écritures ? Je crois que la vraie réponse ne réside pas dans l’utilitarisme (faites ce que vous voulez avec les animaux) ou dans la théorie des « droits des animaux » de Linzey. Elle consiste plutôt à accepter nos « responsabilités de domination ».
Premièrement, les animaux, comme toute la création, appartiennent ultimement à Dieu. L’humanité doit traiter la propriété de Dieu comme telle. Cela signifie que la propriété de Dieu doit être traitée comme Dieu le veut. Traiter quelque chose au-dessus ou au-dessous de sa position reviendrait à en faire soit une idole, soit un élément sans valeur. Linzey n’a pas réussi à démontrer de manière biblique que Dieu voulait que ses enfants évitent de manger de la viande et de tuer l’animal pour obtenir cette viande. En substance, il a largement exagéré le souci biblique du bien-être des animaux. Les besoins de base des animaux doivent être satisfaits lorsqu’ils sont sous notre contrôle (cf. Mat 12.11 ; Luc 13.15 ; 14.5). Cependant, cette satisfaction de leurs besoins fondamentaux ne nous empêche pas de jouir de notre privilège fondamental de les tuer et de les manger, comme nous estimons devoir le faire dans notre appel au service du Royaume de Dieu.
Deuxièmement, Dieu distingue la valeur relative des animaux par rapport aux humains. Plusieurs cas ont déjà été cités, mais j’aimerais en ajouter un autre. Dieu a sauvé spécialement Noé et sa famille du fait de la justice de Noé. L’hypothèse implicite est que Dieu aurait sauvé davantage d’humains si d’autres avaient été justes. Des animaux, Dieu n’a simplement sauvé qu’un échantillon représentatif des différentes espèces et il a détruit le reste. Il est clair que Dieu traite les animaux comme des groupes, tandis que les humains sont des individus autant que des groupes. En d’autres termes, les humains ont le droit inhérent de tuer des animaux, mais ils n’ont pas le droit inhérent d’exterminer des espèces. Les animaux pris individuellement n’ont pas nécessairement le droit à la vie. Mais les espèces l’ont. Ainsi, les humains doivent assurer une gestion adéquate des animaux.
Troisièmement, la création porte un lourd fardeau sous la malédiction qui a été causée par l’humanité. Cependant, en suggérant que les humains peuvent simplement revenir en arrière dans le jardin d’Éden ou se projeter dans l’état final, la théologie de Linzey est défaillante. Tout comme les Corinthiens qui ont poussé pour des mariages non consommés, Linzey veut une humanité non carnivore. Il a en effet mis sur les chrétiens un fardeau que le Christ n’a pas donné (cf. Mat 15.11). Linzey a élevé une préférence au rang d’idéal moral et remis ainsi en question la personne de Christ qui n’a pas atteint cette norme.
En conclusion, pouvons-nous établir des principes concrets sur l’utilisation des animaux ? Il me semble que oui. Premièrement, à la suite de Christ, nous pouvons manger de la viande. Pour ce qui concerne la question de la souffrance animale, je pense que le fait que Christ ait accepté qu’on pêche avec des filets constitue un élément pertinent pour approfondir la question. Il est évident que les poissons souffrent dans des filets où ils peuvent être écrasés ou étouffés. En dépit de la douleur que le poisson subit, le Christ n’a jamais condamné la pêche. Je crois qu’il est possible d’en déduire le principe suivant : Dieu a accordé à l’humanité le droit d’utiliser ce type de moyens pour capturer des animaux afin de se nourrir. En d’autres termes, s’il y avait eu un autre moyen économiquement réalisable de capturer du poisson en lui causant moins de souffrances, je crois que Christ l’aurait utilisé.

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  1. Stephen R. Kaufman and Nathan Braun, Vegetarianism as Christian Stewardship, Vegetarian Advocates Press, 2002, ix.
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Vantassel Sterphen M.
Stephen M. Vantassel est professeur à la King’s Evangelical Divinity School dans le Kent (Royaume-Uni). Il est spécialiste d’éthique environnementale. Il est l’auteur de Dominion Over Wildlife ? An Environmental Theology of Human-Wildlife Relations (Éd. Wipf and Stock, 2009). Cet article est le résumé d’une étude parue dans Emmaus Journal (https://www.academia.edu/246337/A_Biblical_View_of_Animals_A_Critical_Response_to_the_Theology_of_Andrew_Linzey), reproduite avec l’aimable autorisation de l’auteur ; l’article initial contient de nombreuses références bibliographiques complémentaires.