Vivons selon l’Esprit ! (Romains 8.12-16)
Les commentaires de qualité sur l’Épître aux Romains ne manquent pas en français. Un des derniers parus, celui de Brad Dickson, aux éditions CLE, se distingue par sa clarté et son accessibilité. Nous en citons un extrait ci-dessous, en recommandant la lecture entière de cet ouvrage.
Ainsi donc, frères, nous ne sommes point redevables à la chair, pour vivre selon la chair. Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez. Car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Et vous n’avez point reçu un esprit de servitude pour être encore dans la crainte ; mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, par lequel nous crions : Abba ! Père ! L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. (Romains 8.12-16)
Paul a largement établi l’état impuissant de celui qui n’a pas l’Esprit (7.7-25 ; 8.5-8). Il nous conduit ensuite à la reconnaissance obéissante, en rappelant que l’Esprit nous a libérés de l’emprise de la chair et de la mort même (8.9-11). « Ainsi donc, frères, nous ne sommes point redevables… » (8.12). Le peuple libéré a un devoir envers son libérateur. Ce fut le cas au Sinaï, où Dieu a appelé le peuple qu’il avait libéré à le servir (Ex 20.2-3). Paul semble toujours essayer de prévenir le chrétien d’arriver à de fausses conclusions telles que : chercher à profiter du pardon du péché, sans chercher à vivre sans péché (6.2), ou profiter de son statut d’homme libéré de la loi pour ne pas devenir esclave de la justice (6.18).
Non, nous ne devons rien à la chair– ni obéissance ni même affection. Loin s’en faut, nous chercherons surtout à la faire mourir !
Une note d’explication sur le terme « chair » s’impose. Ce mot n’est pas utilisé ici par l’apôtre comme synonyme de « corps ». Sinon l’attitude qui nous serait proposée dans ce texte ressemblerait à de l’ascétisme, ce qui impliquerait le mépris du corps. L’apôtre, fidèle à toute la tradition hébraïque depuis Genèse 1, est le premier à reconnaître l’importance du corps. La sexualité est bonne (1 Corinthiens 6 et 7), la nourriture aussi (1 Tim 4.1-4). Ce que nous devons chercher à « faire mourir » (8.13), ce sont les mauvaises « actions du corps », les convoitises qui émanent de la chair. La chair est donc ici la nature humaine telle qu’elle est décrite par Paul en 3.9-18, c’est-à-dire […] la tendance au péché enracinée en nous.
Si nous sommes contraints à cette déclaration de guerre contre la chair c’est parce qu’elle n’est pas neutre à notre égard. « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez. » (8.13) C’est elle ou nous, qu’on le veuille ou non ! Ce texte nous rappelle le défi que Moïse a placé devant le peuple d’Israël avant de mourir. Il a décrit pour eux deux chemins, celui de la vie et celui de la mort, puis il les a exhortés instamment à choisir la vie (Deut 30.15-19). La mort à laquelle Paul se réfère ne peut être simplement la mort physique car tous meurent (8.10). Il pense plutôt à la mort spirituelle, aboutissement d’une vie vécue sans Dieu et sans son Esprit. « Vous n’avez rien à faire sur ce chemin-là », pourrait-il dire pour interpeller les chrétiens de Rome.
Mais comment combattre cet ennemi si redoutable, cet ennemi si proche ? Une seule solution : « par l’Esprit » (8.13). Cette précision est vitale pour avoir la victoire. La chair est inutile contre la chair. Comme il a fallu pour notre salut admettre notre incapacité totale de nous justifier par une œuvre quelconque, de même pour la marche chrétienne faut-il admettre notre incapacité totale de nous sanctifier sans l’aide du Saint-Esprit. Nous sommes justifiés par la foi et sanctifiés par la foi. […] Christ seul a vaincu le péché dans la chair, et lui seul pourra être vainqueur en nous.
Pratiquement, pour tordre le cou aux tendances pécheresses, il va nous falloir affectionner les choses de l’Esprit : nous préoccuper de la Parole, de la communion fraternelle, de la prière et de la sainte cène. « Faire mourir », dans un passage parallèle en Colossiens 3.5, traduit le mot grec « nécroser ». L’idée est de donner la mort par privation. Faire mourir veut aussi dire exposer, mettre à la lumière. Comme certains insectes qui se portent mieux en se cachant sous des rochers pour fuir le soleil, le mal prospère lui aussi dans les ténèbres et dans le secret. L’exercice douloureux de la confession de nos péchés à Dieu et à nos frères, quand c’est nécessaire, est une arme puissante contre la prolifération du mal.
Dans les versets 14 à 17, Paul nous donne une image précieuse et encourageante de la vie selon l’Esprit. C’est vivre comme des « fils de Dieu » (8.14). Il ne s’agit pas de s’octroyer ce titre ou de « faire comme si ». C’est l’Esprit lui-même qui nous déclare légitimes et qui nous pousse à appeler Dieu « Père ». Pour encore mieux nous faire toucher du doigt notre privilège d’être enfants de Dieu, Paul compare ce statut favorable à celui d’esclave, un statut bien connu du public romain. Explorons les richesses de cette comparaison.
« Vous n’avez point reçu un esprit de servitude pour être encore dans la crainte. » (8.15) Le serviteur vit dans l’appréhension perpétuelle de se faire renvoyer, ou d’être vendu par son maître. Son statut n’est pas définitif, mais précaire. Il n’est pas l’objet de l’amour de son maître, mais un moyen, une « ressource humaine » pour l’accomplissement de ses projets. Il faut que l’esclave ou l’employé soit performant pour obtenir et maintenir sa place.
Cet état d’esprit, dit Paul, ne décrit en rien notre véritable relation avec Dieu, rendue possible en Christ. Il correspond plutôt à la mentalité de celui qui veut plaire à Dieu, mais qui n’a pas encore compris l’Évangile. Par son obéissance et ses efforts, il espère obtenir et conserver la faveur de Dieu. Mais il ne sait jamais si elle est acquise. Il est constamment tendu. Dieu lui semble lointain et impersonnel.
Non, le statut de celui en qui l’Esprit de Dieu habite est tout autre. Il nous introduit dans une relation intime et sûre avec Dieu où les mots qui conviennent sont : « Abba, Père » (8.15). Ce terme, Abba, expression de grande intimité, contient un enseignement riche qui vaut la peine d’être exploré. Paul, en empruntant ce mot araméen au vocabulaire de Jésus, veut nous amener au jardin de Gethsémané tel que la scène a été décrite par l’évangéliste Marc (Marc 14.32-42). Là, notre Seigneur est « saisi d’effroi et d’angoisse », « triste jusqu’à la mort ». Dans un tel moment de tourmente spirituelle, incompris et abandonné des siens, il a besoin de parler à son Père. Seul, à genoux, transpirant, il crie avec des sanglots dans la voix, « Abba (Papa), éloigne de moi cette coupe. » Nous sommes les observateurs silencieux et respectueux de cette scène. Quelle intimité avec Dieu ! Jamais nous n’oserions nous adresser à lui avec la même liberté. Jamais ?
Mais si ! Le même Esprit qui animait Jésus à Gethsémané nous anime. Cette présence de l’Esprit de Jésus en nous nous établit en tant que fils de Dieu, et donc en tant que frères de Jésus (8.29). Nous avons désormais le même accès confiant au Père que lui. De mendiants que nous étions, Dieu nous a adoptés pour faire de nous des princes. À lui soit la gloire !