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Archéoptéryx et évolution

Pendant trois ans je me mis à étudier systématiquement la bio­logie du coucou gris, dans la Nature. Les indications trouvées dans la littérature me laissaient sur ma faim. Aujourd’hui, chacun sait que le coucou est un parasite pour les autres oiseaux et qu’il dépose ses oeufs dans leur nid. Comment cela se passe dans la pratique est une chose moins connue. Le coucou a la grosseur d’un pigeon et ses oeufs la gran­deur de ceux des moineaux.

Introduire ses oeufs dans le nid des autres, voilà qui paraît com­pliqué! Là-dessus, on sait peu de choses.

Le plus mystérieux est la ressem­blance de la couleur des oeufs du coucou avec celle des oeufs du nid parasité. D’ailleurs le parasi­tisme se retrouve chez beaucoup d’autres oiseaux sous des for­mes différentes.

Je dois souligner que mes étu­des sur la biologie du coucou n’ont pas commencé dans le but d’apporter une preuve contraire au darwinisme. Toute vie dans la Nature est trop passionnante, son étude trop absorbante pour nous laisser le temps de corriger les erreurs humaines.

Le résultat final appartient à l’une des découvertes les plus intéres­santes de ma carrière d’ornithologue.

Pourquoi la biologie du coucou fut-elle le cheval de bataille de Darwin? Parce qu’il prétendait que la ressemblance des oeufs du coucou avec ceux du nid para­sité s’expliquait simplement par le processus de la Sélection naturelle. Elle aurait atteint ce point de ressemblance totale après des millions d’années, du fait du rejet continuel des oeufs du coucou par les autres oiseaux, jusqu’à ce que ces oeufs soient parfaitement identiques aux leurs.

Il faut savoir que l’on trouve des oeufs du coucou dans les nids de passereaux, de préférence ceux des bergeronnettes grises, des troglodytes, des bruants jaunes, etc. Toutes ces espèces d’oi­seaux pondent des oeufs de diffé­rentes grosseurs et couleurs. Cela implique l’idée du processus de sélection, qui veut, qu’au cours de millions d’années une ressemblance parfaite soit appa­rue entre les oeufs du coucou et ceux des autres oiseaux. Com­ment la femelle du coucou aurait-elle pu pondre des oeufs de diffé­rentes grosseurs et couleurs?

Lorsque l’oeuf se forme dans le corps de l’oiseau, il est blanc. Il se colore juste avant d’être pondu. Cette petite « imprimerie », dont le mécanisme ne peut être imité par l’homme, possède un système offset qui imprime l’oeuf de différents dessins et couleurs, adapté à n’importe quelle espèce d’oiseaux. Même pour les oiseaux qui pondent des oeufs blancs, une finition est apportée.

Libre cours est donné à la fantai­sie des formes, des couleurs et des dessins. Des impressions les plus fines, comme faites à la plume, jusqu’à celles criardes, aiguës des rouges et des bleus intenses, toutes les nuances sont représentées. Chez certai­nes espèces, la coquille de l’oeuf est épaisse de plusieurs millimè­tres. Son aspect extérieur donne l’impression d’un émail si brillant que l’on croirait l’oeuf en porcelaine.

La femelle du coucou ne peut posséder, organiquement par­lant, deux « imprimeries » différen­tes. Si une ressemblance aussi spectaculaire existe avec les oeufs des parents adoptifs, c’est donc que la femelle coucou pos­sède le même système d’impres­sion que la femelle passereau dans le nid de laquelle elle dépose son oeuf. Comment une telle curiosité est-elle possible?

Je concentrai mes observations sur le fait de savoir jusqu’à quel point les parents adoptifs s’aper­çoivent de la supercherie. Sur le terrain choisi pour mes études, il y avait plusieurs femelles de cou­cou et trois mâles. Je me vis donc dans l’obligation de recher­cher, autant que possible, tous les nids de passereaux de cette région. Sept espèces d’oiseaux avaient reçu la visite du coucou. J’entrepris le contrôle de plu­sieurs espèces dont quatre nids de bruants jaunes qui furent systématiquement suivis. La pre­mière année déjà, je remarquai une indifférence totale de la part des bruants jaunes parasités: l’oeuf de coucou contenu dans leur nid ne paraissait pas les gêner. Les quatre coucous furent élevés par les bruants jaunes, chacun dans son nid respectif. Le nid de cet oiseau est construit en coupe ouverte, à faible dis­tance du sol et il aurait été facile aux bruants de jeter l’oeuf de cou­cou au dehors. Dans ces quatre cas précis, les oeufs du coucou ressemblaient de manière frap­pante à ceux des bruants.

La deuxième année, je me suis permis quelques « essais » sur mes bruants. Deux nids conte­naient à nouveau un oeuf de coucou.

Durant l’hiver, j’avais préparé avec soin des oeufs factices, aussi dissemblables que possi­ble. Ma collection avait toutes les couleurs: rouge, bleu, jaune, vert, blanc et noir. Certains étaient brillants comme de la por­celaine, d’autres mats, certains même poreux. Je répartis donc ces objets dans les nids des bruants. A ma grande surprise, ils ne rejetèrent pas l’oeuf factice, qui fut « couvé » comme les autres, les vrais. Aucun dérange­ment ne fut noté. Dans un nid, un coucou fut élevé, dans l’autre un coucou et quatre jeunes bruants jaunes. C’est un cas assez rare. Après cinq jours déjà, le jeune coucou était tellement plus gros que ses petits frères que je déci­dai de le prendre chez moi afin d’éviter la perte de la couvée. Après deux mois de nourrissage, je lui redonnai la liberté.

D’après les expériences faites sur le bruant jaune, point n’est besoin à la femelle du coucou d’avoir des oeufs de couleur et de forme semblables à ceux de ces oiseaux. Le mystère de la petite « imprimerie », dont j’ai déjà parlé, reste complet dans ce cas quant à la sélection évolutive, elle reste infondée.

Ainsi, des études biologiques intensives peuvent modifier des circonstances: ce qui était la preuve d’une hypothèse n’en est plus une, parce que fondée sur un point de vue superficiel. Cela peut mener très loin dans l’erreur.

Darwin, lui-même, à la fin de sa vie, était devenu sceptique: l’âge supposé de la Terre était-il suffi­samment grand pour permettre la transformation des millions d’espèces vivantes selon un pro­cessus évolutif ?


Tiré du livre « Insolite » de Jean
Taubenberg-Savoy, ornithologue,
Editions Tasa, Case postale 20,
CH-1852 Roche,

avec autorisation (voir Chronique de livres)

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