Série: Histoire De L'église
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Jean Calvin : Le Reformateur (10)

Histoire de l’église

1509 – 1564

Introduction

Jean Cauvin (1509-1564), dit Calvin, devient réformateur à la suite de circonstances qu’il n’a pas choisies. Il poursuit l’ouvre de la première génération des réformateurs protestants : Zwingli, Luther, Bucer, et Farel. Son penchant pour le calme sera troublé par des circonstances et des luttes douloureuses qui feront ressortir des qualités insoupçonnées jusqu’alors : esprit de clarté d’expression et de détermination, de logique, d’organisation, d’influence, de systématisation d’idées. Cet homme cultivé, réticent, anxieux, est aussi implacable, têtu, colérique, sûr de sa mission, car convaincu de son appel à prêcher, à enseigner, à propager la gloire et la souveraineté de Dieu décrites dans la Bible, et dépouillées des conceptions erronées de Rome. Calvin est autant aimé ­― voire adulé ― par ses amis en Christ que contesté par ses opposants. Il le rend bien à ses détracteurs et ce, sans aucun scrupule. C’est à se demander si, vivant aujourd’hui, il serait admiré comme un nouveau Paul (ce qu’il est pour certains à cause de son enseignement !), ou bien comme le pire des hypocrites à causes des meurtres qu’il a instigués à Genève au nom de Dieu !! Nous préférons retenir le meilleur chez nos héros, mais nous ne pouvons pas nier le mauvais. Calvin entretient l’ambiguïté, d’où notre regard contextuel et réaliste pour comprendre et pour jauger sa personne, sa vie, ses doctrines, ses actions et son héritage exceptionnel jusqu’à nos jours. Cet article se limite à une biographie sommaire, mais il nous évitera peut-être une vision tronquée de toute son ouvre et de tout son héritage.

Sa vie

Elle se divise facilement en trois périodes, quoique inégales en contenu et en importance.

A. Avant 1536

Calvin est né à Noyon en Picardie (France), d’un notable au service de l’Église. A Paris, il acquiert une solide connaissance de l’Antiquité latine et de la patristique1 dont il se servira plus tard pour écrire et illustrer ses commentaires bibliques. De 1528 à 1531, il étudie le droit à Orléans et à Bourges, se formant à la logique et à la rigueur dans l’argumentation. C’est à Orléans qu’il croise, probablement grâce à son cousin P. Olivetan, les idées réformées de Luther, lesquelles travaillent son esprit. En 1531, de retour à Paris, il s’investit dans deux courants de pensée : l’humanisme, qu’il attaquera vigoureusement plus tard, et les idées évangéliques de Luther.

Il se convertit « soudainement » en 1533, puis s’engage dans la bataille pour le pur Évangile contre les catholiques. Cet effort, qui perturbe le monde religio-intellectuel, l’oblige à quitter Paris en 1534 pour Angoulême où, dans l’environnement studieux des livres et avec sa Bible, il écrit les six premiers chapitres d’un livre bouleversant, L’Institution chrétienne, publié en latin à Bâle en 1536 – trois ans seulement après sa conversion ! Calvin s’inspire du Catéchisme de Luther pour le contenu, mais sa présentation est à la fois plus logique et plus irénique. Il dédie à François 1er de France cette ouvre qui transformera spirituellement et intellectuellement l’Europe ; les protestants y découvrent « un monument » clair, précis, simple, et humainement logique. La dernière édition augmentée de 1559 contient 80 chap., divisés en quatre livres. La première traduction française date de 1539. Elle est la base de la pensée réformée et a influencé tout le protestantisme, plus encore que les grandes ouvres doctrinales de Luther.

B. Après 1536

La Réforme zwinglienne se poursuit en Suisse depuis 1523. Calvin pense à préserver sa vie en rejoignant Strasbourg, qui appartenait alors à l’Empire germanique et avait été gagné à la Réforme depuis 1523. Il pense y étudier paisiblement sous la protection du guide spirituel Martin Bucer.

Mais les guerres de Champagne le forcent à passer par Genève. Depuis 1535, cette ville connaît la Réforme grâce à Guillaume Farel (1489-1565) – surnommé le « fléau des prêtres », « l’Élie de la Réformation française » – qui avait déjà introduit des idées réformatrices à Neuchâtel en 1529. Averti de son passage pour la nuit à Genève, Farel va le voir pour lui demander de diriger la Réforme de cette ville païenne de 10 000 habitants. Calvin ne cherche qu’à poursuivre son voyage à Strasbourg pour étudier et écrire en toute tranquillité. Farel le menace avec la foudre de Dieu s’il n’y reste pas ! Effrayé, Calvin considère cette menace comme un appel de Dieu pour y demeurer (1536). Farel lui confie les rênes de la Réforme et le seconde puissamment par sa prédication – d’où son surnom « Élie » – jusqu’en 1538 où tous deux sont « remerciés » sans ménagement. Leur système, destiné à transformer Genève en une ville-Église ou Église-État, est jugé trop rigide et harassant par la majorité des habitants : contrôler toute la vie morale et sociale des païens et des convertis. Calvin et Farel voulaient tout simplement instaurer par la force le royaume de Dieu pour sa plus grande gloire à Genève ! Glorifier Dieu par tous les moyens sans en négliger aucun ! Rappelons-nous bien que cette façon de faire hérite d’une longue histoire médiévale : tout peut être imposé par la force et cela pour la gloire de Dieu ! Enfants du xvie s., ils ignorent nos concepts modernes de tolérance, de liberté de conscience et d’expression. (Fait étrange : ces concepts modernes trouvent leur fondement dans la théologie de Calvin !) Or, les magistrats, les grandes familles et le peuple ne se sont pas libérés de la tyrannie papale ni de celle du Duc de Savoie (1526) pour tomber sous celle, réformée, du type calvino-farélien ! En fait, leur système et son application par les autorités civiles n’étaient pas bien  « rodés », comme ils le seront lors du retour de Calvin en 1541.

Farel rejoint Neuchâtel (il y mourra en 1565), et Calvin rejoint enfin Strasbourg ! De 1538 à 1541, mûrissant sa pensée dans un lieu calme, il profite de la sagesse théologique de Luther via Bucer, et de la structure de l’église locale mise en place par ce dernier. Les idées bucériennes influencent les écrits de Calvin, au point d’en devenir la pierre d’angle. La logique de Calvin éclaire les idées de la Bible très simplement. ce qui ne place cependant pas L’Institution chrétienne dans le Canon du N.T. ; il n’invente pas les idées bibliques, mais les systématise2.

Il passe trois années heureuses à Strasbourg :
1. Comme pasteur de l’église des réfugiés français, il peut imposer ses conceptions disciplinaires dans l’église.
2. C’est un docteur en théologie très apprécié.
3. Il est honoré par la ville et la représente aux conférences religieuses importantes en Allemagne.
4. Il se marie à une veuve qui a deux enfants d’un pasteur anabaptiste.

En 1540, le parti évangélique reprend le pouvoir à Genève et rappelle Calvin, qui refuse pendant un an. En 1541, il cède, considérant que Dieu l’appelle pour instaurer le royaume de Dieu (il aimait beaucoup le livre du Deutéronome) : « tout pour la gloire de Dieu ».

C. Après 1541

Avec le retour en puissance de Calvin, Genève devient le creuset d’un type d’homme et d’une civilisation qu’il pense être dignes du christianisme. Tel est le Royaume de Dieu strictement établi, ordonné, total et définitif, dont le moralisme dans un climat d’inquisition frôle l’hypocrisie, surtout parmi les non-convertis. Personne ne sera toléré qui s’oppose à la volonté de Dieu ! Dans les Ordonnances, appuyées par son nouveau Catéchisme, les lignes directrices de son système théocratique sont élaborées. L’Eglise liée au pouvoir civil – lui-même dominé par Calvin et ses amis – doit contrôler tous les aspects de la vie d’un individu, chrétien ou non ! C’est l’Eglise d’Etat : les autorités civiles, un Consistoire de 12 pasteurs et anciens formant une sorte de tribunal d’inquisition, doivent appliquer les règles et les décisions ecclésiastiques. Calvin croit sincèrement que le Royaume peut être imposé par la force, car le Dieu Créateur est le Maître du monde. Cette souveraineté doit s’appliquer à tous les Genevois. Tous les moyens sont employés pour atteindre ce but. Entre 1541 et 1546, 58 personnes sont condamnées à mort et exécutées, 78 sont bannies ! Calvin dit n’avoir aucun regret, car l’honneur du Dieu souverain (mot-clé chez lui) est en jeu ! Le cas odieux de Michel Servet, hérétique, brûlé au poteau en 1553, deviendra le plus célèbre.

La vie de Calvin est traversée par des périodes d’accalmies, malgré 17 controverses majeures qui lui prennent beaucoup de temps. Il produit un travail prodigieux : par ses commentaires écrits de la Bible, par ses fréquentes prédications chaque semaine, par l’enseignement et par une correspondance volumineuse avec toute l’Europe (rois, pasteurs, théologiens, etc.).

Il doit lutter âprement jusqu’en 1555 contre tous ses adversaires pour finaliser l’implantation du « règne théocratique » à Genève. A partir de cette date et jusqu’à sa mort en mai 1564, on peut dire que la paix règne dans les cours de Calvin et des Genevois. Quoique de santé fragile, souvent douloureusement malade, il n’épargne jamais ses efforts pour conserver les acquis.

Il a l’idée géniale de fonder « l’Académie », l’actuelle Université de Genève, où des centaines d’étudiants de tous horizons sont enseignés : théologie, exposé biblique, grec et hébreu, philosophie, physique, mathématiques. Aux plus de 2150 églises réformées de France, il écrit : « Envoyez-nous du bois et nous vous renverrons des flèches » ! Ces flèches françaises formées à Genève sont devenues l’armée de Dieu portant l’Evangile partout en Europe en vue de fonder des églises réformées ancrées dans la doctrine élaborée par Calvin. Une réussite fulgurante. Où sont ces « flèches » dont la France et l’Afrique du XXIe siècle ont tant besoin ?

Conclusion

Ce colosse, dont le cour fut une matière précieuse pour l’Évangile de la grâce de Dieu en Jésus-Christ par l’Esprit Saint, possédait cependant des pieds de fer et d’argile. Aucun grand réformateur n’était un « saint » selon nos standards, mais tous étaient des géants dans leur époque, pétris par la Parole de Dieu et marqués par l’époque médiévale dont ils sortaient, pour la grande tâche que Dieu leur avait confiée. Chacun savait qu’il ne répondait qu’à Dieu, et que personne avant eux n’avait eu à accomplir une telle fonction. Pour Dieu et pour sa gloire, ils n’avaient pas peur de qui que ce fut, et aucun d’eux ne recherchait sa propre gloire. Tous travaillaient de manière totalement désintéressée. Ce type de conducteur spirituel nous manque aujourd’hui. Calvin est mort plutôt pauvre alors que cet homme exceptionnel aurait pu s’enrichir.

Tous sortaient de « l’âge des ténèbres » qui les accaparait spirituellement et intellectuellement. Calvin, en rencontrant le Jésus biblique et le salut par la grâce et par la foi, s’est retrouvé pionnier malgré lui dans un environnement ignorant la pure vérité, totalement hostile et tyrannique. Il a fait ce qu’il a pu comprendre de la volonté de Dieu.

Luther et Zwingli ont ouvert la route, mais Calvin a puisé dans leurs indications doctrinales un carnet de bord que tous les protestants évangéliques utilisent d’une façon ou d’une autre depuis, sans probablement le savoir, et ce, quelle que soit leur étiquette confessionnelle.

Calvin était un enfant de son époque. Malgré ses erreurs inexcusables, voire abominables, des érudits catholiques romains (voire certains Jésuites!), des sceptiques, des protestants de tout bord, des littéraires allemands, français, anglais, hollandais, écossais, américains, reconnaissent en Calvin le plus grand exégète et théologien de la Réforme. Et ce, malgré cette impression d’une spiritualité calviniste austère et peu affective, plus soucieuse de l’honneur de Dieu que de la manifestation de son amour pour les convertis et les perdus. L’un exclut-il l’autre ? Nous avons besoin des deux en même temps, car nous honorons Dieu en aimant les autres membres du corps de Christ, et en aimant aussi les perdus.

Attention : en lisant Calvin le principe d’Actes 17.11 s’applique dans toute sa rigueur, car ses écrits n’appartiennent pas au canon scripturaire. Certains calvinistes laissent parfois l’impression de penser que les écrits de Calvin descendent directement du Trône ! Il lui est arrivé de se contredire (voir le prochain article de cette série) ! Cela n’enlève rien au fait que la lecture de Calvin est des plus profitables.

Le sceptique français Ernest Renan, de l’Académie française, historien hors pair, qui rejetait les doctrines de Calvin, a toutefois décrit dans un article de 1880 Calvin comme « l’homme le plus chrétien de son siècle ». L’historien suisse Merle d’Aubigné (mort en 1872) écrit : « Calvin est celui qui a travaillé, a écrit, a agi, et a prié le plus pour la cause qu’il avait embrassée. ». John Knox (1513-1572), grand réformateur écossais, après deux séjours à Genève, appelle la ville, « l’école de Christ la plus parfaite que le monde n’ait jamais vue depuis les jours des apôtres. ». Calvin considère Genève comme une ville de refuge pour les protestants persécutés, l’exemple d’une bonne communauté chrétienne disciplinée, et un centre hors pair pour la formation des ministres de l’Évangile.

1 La patristique est l’étude des textes et de la doctrine des « pères de l’Église ».
2 Calvin croit sans faille que la Bible est la véritable parole de Dieu, et que sa théologie est une expression pure de la théologie biblique énoncée de manière systématique pour le XVIe s. Or, il ne fournit aucune référence biblique appuyant son affirmation selon laquelle l’homme « a un sens de déité. ». Dans son explication de la doctrine de la prédestination (Éph 1.5, 8), Calvin se fonde sur la quadruple notion de causalité d’Aristote (les causes efficiente, matérielle, formelle, et finale). Cela veut dire que Calvin emploie sans aucun doute des catégories d’Aristote pour exprimer sa compréhension de l’enseignement de l’Apôtre Paul ! Une question se pose : jusqu’où la théologie de Calvin fut-elle influencée, consciemment ou non, par des idées philosophiques (il cite Aristote, Epicure, Platon, les Stoïciens, et Cicéron) ? De plus, Calvin avait tendance sur certaines questions à s’accorder avec Thomas d’Aquin

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Série : Histoire De L'église
McCarty Scott
Scott McCarty a fait ses études en théologie au Dallas Theological Seminary, aux États-Unis. Il exerce un ministère d’enseignement biblique en France depuis 1971. Cofondateur du Centre d’information à l’évangélisation et à la mission à Grenoble, il est membre de Promesses et auteur de nombreux articles.