Dossier: L'évangile selon Marc
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Une Guérison En Deux Étapes

Marc 8.22-26

La guérison d’un aveugle dans Marc 8.22-26 m’a longtemps laissé perplexe. Pourquoi le malade n’est-il guéri que partiellement après la première intervention de Jésus ? « Je vois des hommes, mais comme des arbres, et ils marchent », dit-il. Étrange. De la part du Christ, on était habitué à autre chose. Pourquoi cet échec apparent qui nécessite une deuxième intervention ?

Solutions proposées

Comme c’est souvent le cas pour un texte difficile à comprendre, les solutions proposées par les commentateurs et les prédicateurs sont aussi nombreuses que diverses. En voici quelques-unes :

1. L’échec relatif provient du manque de foi du malade ou de ses amis (H.A. Ironside, Mark, p.125). Chrysostome soulignait déjà que cet homme n’était pas venu de lui-même. Il n’aurait pas non plus appelé à l’aide, contrairement, par exemple, à Bartimée, l’aveugle de Jéricho. Pour lui, la limitation ne doit pas être placée du côté divin, mais du côté humain.

2. La guérison graduelle pourrait correspondre au progrès de la foi dans l’infirme (Joseph Huby, Évangile selon St Marc, p.205).

3. Certains discernent une amélioration graduelle de l’aveugle qui pourrait être assimilée à une guérison naturelle. Jésus aurait ainsi montré l’importance d’un processus trop souvent sous-estimé (G.G. Chadwick, The Gospel according to St Mark, p.214).

4. Les paroles de l’aveugle sont celles d’un homme qui aurait eu de la peine à s’exprimer. « Pour les enfants et pour les sauvages, ‘arbre’ est une des formules les plus fréquemment employées pour désigner un homme » (Gunther Dehn, Le Fils de Dieu, p.152).

5. Ce récit illustre la variété des méthodes du Seigneur dans ses guérisons et nous montre avec quelle liberté et quelle souplesse Jésus usait de sa puissance (J.A. Alexander, The Gospel according to Mark, p.217).

6. Ce miracle enseigne la manière dont l’Esprit agit dans l’illumination de l’âme (J.J. Jones, The Gospel according to St Mark, Vol. 2, p.151).

7. L’événement symbolise la marche des disciples vers la lumière (M.J. Lagrange, évangile selon St Marc, p.213).

Enfin, quelques-uns concluent de manière défaitiste.

8. Le contexte immédiat étant trop limité, il est impossible de donner une réponse valable (William L. Lane, The Gospel of Mark, p.285).

9. L’échec de Jésus est incompréhensible. Il nous enseigne, néanmoins, que le Seigneur ne s’est pas relâché dans son action jusqu’à ce que l’homme soit complètement guéri (R.A. Cole, Mark, p.133).

Quelle solution faut-il préférer ? Comme le relève Lane, le contexte immédiat (verset 22-26) est maigre. Si nous interdisons d’emblée à notre imagination de déformer le texte (solutions 3 et 4), il nous reste la possibilité d’appliquer un principe général (solutions 5, 6 et 7) – mais lequel ? -, de ramener ce texte à d’autres récits de guérisons (solutions 1 et 2) – mais lesquels ? – ou d’avouer simplement notre perplexité (solutions 8 et 9).

Le contexte général du récit

Une étude du cadre global de cet événement, nous guide, je crois, vers la bonne interprétation. Les dix premiers chapitres de l’évangile selon Marc, qui décrivent le ministère de Jésus depuis ses débuts jusqu’à son entrée à Jérusalem, sont séparés en deux parties par la confession de Pierre (Marc 8.27-33), véritable plaque tournante de ces chapitres.

Avant ces paroles de l’apôtre, l’accent est mis sur la démonstration de la puissance de Jésus. Quatorze miracles sont relatés, et à trois reprises, l’auteur indique que de nombreuses personnes furent guéries (1.34 ; 3.10 ; 7.56).

Après cette confession-clé, la situation est toute différente. Jésus enseigne en privé, à ses disciples, le message de la croix. « Il [Jésus] commença à leur apprendre qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, par les principaux sacrificateurs et par les scribes, qu’il soit mis à mort et qu’il ressuscite trois jours après » (8.31). Les miracles, dans cette section, sont réduits à deux (9.14-29 et 10.46-53). Jésus annonce à plusieurs reprises ses souffrances et sa mort (8.31 ; 9.31 ; 10.33-34) et son corollaire, le chemin de la croix pour les disciples (8.34-38 ; 9.35 ; 10.39,41-45). L’annonce de ce message de souffrance et d’humiliation rencontre l’opposition de Pierre (8.32-33) et l’incompréhension des disciples (9.32 ; 10.32). Le comble de leur aveuglement est illustré par leurs discussions au sujet des premières places, discussions qui suivent à chaque fois l’annonce du calvaire du Christ (9.33-34 ; 10.35-37). Que Jésus soit le Messie tout-puissant, cela Pierre l’avait pleinement compris, cru et confessé (8.29) ; qu’il soit le Messie souffrant, cela il ne l’a compris, cru et confessé qu’après la résurrection.

La confession de Pierre joue donc un rôle capital : elle fait office de charnière pour les dix premiers chapitres de cet Évangile. Est-ce surprenant puisque la tradition affirme que Marc n’était que l’interprète de Pierre ?

Sens du miracle

Revenons à notre récit pour constater qu’il se situe juste avant cette confession cruciale, juste avant la nouvelle orientation du ministère de Jésus. En fait, la guérison de l’aveugle annonce et prépare ce deuxième élément fondamental du message messianique. Tout en manifestant sa compassion pour l’aveugle, Jésus enseigne ses disciples. La manière dont la cécité physique a été guérie, illustre comment la cécité spirituelle sera vaincue. De même que l’aveugle n’a discerné « tout distinctement » (8.25) qu’à la suite d’une deuxième intervention de Jésus – la première ne lui ayant donné qu’une vue trouble -, de même les disciples ont besoin d’un complément d’information – le message de la croix – afin de pouvoir tout comprendre. La confession de Pierre (8.29) n’est que la première étape, elle n’indique encore qu’une compréhension partielle de l’ouvre du Messie, celle qui reconnaît la toute-puissance de Jésus. La perception totale, elle, confesse aussi le ministère de souffrance du Christ.

Comme ce miracle avait pour but d’enseigner les disciples, Jésus prend soin de le réaliser « hors du village » (8.23), à l’écart d’une foule qui n’était pas prête pour ce nouvel enseignement. Notons aussi que la guérison s’est produite dans les environs de Béthsaïda, le village natal de Pierre (Jean 1.44). Qui sait si le Seigneur n’a pas opéré ce signe révélateur près de l’ancien domicile de l’apôtre afin que ce dernier s’en souvienne mieux ?

Pour terminer, relevons que cet événement n’est relaté que dans le deuxième évangile : situation exceptionnelle, puisque tous les autres miracles relatés par Marc – mis à part la guérison du sourd-muet (Marc 7.31-37) – sont « repris » par Matthieu et Luc. Cette guérison progressive, enseignant une vérité particulièrement bien développée dans l’Évangile selon Marc, semble n’avoir eu sa place que dans ce livre.

Et nous ?

En conclusion, il nous reste à méditer sur la leçon de ce récit. L’enseignement du ministère de souffrance s’est heurté à l’incrédulité des disciples. Qu’en est-il aujourd’hui ? Lorsque nous cherchons la puissance de Jésus par dessus tout, n’avons-nous pas, nous aussi, une vue trouble et partielle de l’Évangile ? Aujourd’hui, bien souvent, le message de la « vie abondante » me semble reléguer le message de la « croix » dans l’ombre. Le « plein Évangile » n’est pas fait que de victoires, de guérisons divines et de promesses saisies par la foi, mais aussi d’abnégation, de persévérance, de souffrances et de larmes. Ne l’oublions pas !

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Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.