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Samson: Un mariage stratégique

(Juges 14)

Samson descendit à Timna et il y vit une femme parmi les filles des Philistins. Lorsqu’il fut remonté, il le déclara à son père et à sa mère et dit: J’ai vu à Timna une femme parmi les filles des Philistins: prenez-la maintenant pour ma femme. (Jug 14.1-2)

Samson veut épouser une Philistine. La première action du dernier juge ne manque pas d’étonner. Pourquoi vouloir épouser une femme d’une nation occupant la Palestine alors que l’Eternel avait interdit ce genre d’alliance (Ex 34.15-16)? La majorité des commentaires y voit la marque d’un homme charnel mû par l’ unique souci de satisfaire ses désirs personnels. Comment pourrait-il en être autrement? L’interdiction d’Exode 34 est absolue.

Cette interprétation négative de l’action de Samson est largement répandue et les critiques à l’égard de ce juge ne s’arrêtent pas à sa première action, mais s’étendent en général à tout son ministère. Comme nous avons essayé de le montrer dans l’étude précédente (Samson, l’homme de tous les espoirs, Promesses 1993/ 4), cette lecture de Samson est erronée. Notre juge est profondément consacré à l’Eternel, et le seul reproche que l’auteur inspiré relève dans tout son ministère concerne son rapport avec Dalila. (La nature exacte de sa faute sera expliquée dans un prochain article). Le mariage avec une Philistine (chapitre 14) et les actions punitives entreprises contre les Philistins (chapitre 15) entrent entièrement dans la volonté divine. Avant d’expliquer et de justifier ce mariage particulier, nous devons cependant relever un aspect qui devrait inciter l’interprète à la prudence.

Des énigmes pour faire réfléchir

Le cycle de Samson est plein d’énigmes. Des énigmes sous les formes les plus diverses. (1) L’ange de l’Eternel refuse de révéler son identité à la femme de Manoah (13.6), et lorsque Manoah insiste pour connaître son nom (13.17), l’ange lui répond de manière énigmatique: c’est un mystère (13.18). (2) Au chapitre 14, le récit de la cérémonie de mariage tourne autour d’une énigme proposée par Samson. (3) Au chapitre 16, Dalila s’ingénie à surprendre le secret de Samson. (4) Si la source de la force intrigue les Philistins, la force elle-même étonne le lecteur: (a) déchirer un lion à mains nues, (b) tuer 1000 hommes avec une simple mâchoire d’âne, (c) transporter de lourdes portes sur les épaules du bord de mer au sommet d’une montagne. (5) Le lecteur attentif notera aussi certains jeux de mots dans le cycle de Samson (en particulier dans 15.16-17).(6) Finalement, les actes de Samson sont toujours déroutants: pourquoi dévaster le pays en attachant 300 renards par la queue? Pourquoi venger sa femme qui l’avait trahi et qu’il avait lui-même punie? Pourquoi traverser tout le territoire philistin pour aller trouver une prostituée? Pourquoi emmener les portes de Gaza jusqu’au sommet d’une montagne?

Les énigmes font partie intégrante du cycle de Samson. C’est même une caractéristique fondamentale de ces textes. Pour comprendre ces récits, le lecteur devra donc redoubler d’attention sous peine de rejoindre tous les naïfs qui campent sur leur impression première. L’auteur présente (volontairement) son message sous forme énigmatique. Une réflexion approfondie est demandée au lecteur. Pourquoi? Peut-être pour mieux graver la leçon dans la mémoire. Une vérité découverte suite à un effort semble souvent plus précieuse.

Des indices pour guider la réflexion

L’auteur veut faire réfléchir son lecteur, mais il veut aussi l’enseigner. En fait, c’est pour mieux enseigner que l’écrivain fait réfléchir. Ainsi, l’auteur, tout en passant par le biais d’énigmes, veut aussi être clair; Il veut que son message soit compris. Pour ce faire, plusieurs indices sont fournis à l’interprète pour le guider dans son effort.

En premier lieu, l’auteur indique que Samson est oint de l’Esprit de l’Eternel juste avant de partir pour Timna(13.24b).Comme nous l’avons indiqué dans des études précédentes ( en particulier dans Promesses 1992/ 1), les sept références à l’Esprit de l’Eternel sont fondamentales pour l’interprétation du livre des Juges. Les références à l’onction de l’Esprit de l’Eternel sont comme des phares placés pour éclairer certaines actions des juges qui pourraient, autrement, être mal comprises. Ainsi, si Samson descend à Timna pour y trouver une femme philistine, c’est parce que l’Eternelle lui demande.

Cette interprétation est confirmée par un deuxième indice. Sous forme de commentaire, l’auteur conclut et approuve la démarche de Samson: son père et sa mère ne reconnaissaient pas que cela venait de l’Eternel, car il cherchait une occasion (de dispute) de la part des Philistins (14.4). Les parents qui s’opposent au mariage de Samson sont comme les commentateurs qui critiquent l’action du juge. Les uns comme les autres n’ont rien compris à la démarche de l’oint de l’Eternel. Cornment faut-il alors comprendre l’action du juge? Samson le fils de la lumière doit enseigner son peuple. Comme ce dernier est endurci et rebelle, Samson s’adressera à lui sous forme imagée, un peu comme Nathan s’adressera à David par une parabole pour reprendre le roi pécheur (2 Sam 12.1- 7). Seulement, Samson ne se contente pas de raconter une histoire, il la joue en chair et en os.

Une alliance impossible

Ce mariage avec une Philistine servira d’enseignement à Israël: un enseignement chargé de montrer la folie d’une alliance avec les Philistins. Ces derniers ne cherchent qu’à écraser et dominer. Leur parole n’a aucune valeur et il n’est jamais possible de leur faire confiance. S’allier avec eux est une folie.

En épousant une Philistine, Samson veut montrer qu’une alliance avec ce peuple ne pourra se solder que par un échec. Pour illustrer ce fait, notre juge choisit l’alliance la plus profonde, celle où l’engagement est total: le mariage. Masochisme pur répliqueront certains. Pas avec Samson. Notre homme est des plus intelligents. Sachant que la débâcle est au rendez-vous, Samson la précipite. Il l’active d’une telle manière que l’échec vienne avant la consommation du mariage. Ainsi, Samson, tout en proposant un mariage avec une étrangère, n’aura jamais à vivre une telle alliance.

Le défi jeté par l’énigme servira de catalyseur. Il permettra de montrer la vraie nature du peuple philistin. Il est utile de relever, ici, que le défi est vraiment le thème central de ce texte sur le mariage. Les noces ne sont qu’un prétexte pour lancer le défi. Dans la narration, la cérémonie du mariage passe (en toute logique) à l’arrière-plan. Le développement littéraire est remarquable.

Pour que le test fonctionne, pour qu’il révèle la vraie nature des Philistins, il faut que ces hommes perdent la partie, car Samson veut montrer que ces gens ne savent ni perdre ni tenir parole. L’épreuve est des plus révélatrices. Les Philistins non seulement ne tiennent pas parole (puisqu’ils trichent), mais ils se montrent prêts à tuer des membres de leur peuple pour obtenir gain de cause. Les menaces adressées à la Philistine sont terribles: Séduis ton mari, et qu’il nous explique l’énigme: sinon, nous te brûlerons, toi et la maison de ton père (14.15). Tuer leurs frères pour gagner quelques manteaux. Toute l’horreur des Philistins est dévoilée. Israël ferait bien d’être sur ses gardes. La résistance à toute tentation d’alliance avec ce peuple est impérative. Si les Philistins traitent les membres de leur propre peuple avec si peu de respect, qu’en sera-t-il des étrangers? L’oppression et l’esclavage seront inévitables.

Pas un seul juste

Le test dévoile aussi le vrai caractère de la femme de Samson. N’ira- t-elle pas jusqu’à le tromper et le trahir? Samson l’avait pourtant soigneusement choisie. En l’entendant dire à son père que cette femme lui convient (14.3), le lecteur pensera tout d’abord que la femme a gagné son coeur. Mais une fois de plus, un examen approfondi nous conduit dans une autre direction. L’attachement de Samson pour cette Philistine n’est pas du même ordre que celui qu’il aura avec Dalila. De cette dernière, il est dit que Samson l’aima (16.4,15). L’hébreu áhêb exprime un attachement sentimental. Pour la Philistine le mot yâshâr (traduit par convenable) est utilisé. Ce mot relève la perfection morale. Samson choisit cette femme non par amour, mais parce qu’elle semble être la plus fiable des Philistines. Or, comme l’épreuve de Samson le révèle, même la meilleure est indigne de confiance.

Certains répliqueront que la femme était menacée de mort, et que dans de telles circonstances sa tromperie est moins grave. Le texte confirme-t-il une telle opinion? Il ne semble pas; Les hommes ne menacent la femme qu’à l’issue du délai imparti (14.15). En effet pendant les six premiers jours, les Philistins avaient essayé par eux-mêmes de résoudre l’énigme. Or, il s’avère que la femme a cherché à obtenir la solution dès le premier jour (elle pleura tout contre lui pendant les sept jours que dura leur festin: 14.17). La tentative de tromper Samson est présente dès le début. On peut relever aussi que Samson, en veillant à garder le secret entièrement pour lui (puisque même ses parents ne connaissaient pas la réponse: 14.16), expose la culpabilité de la femme. La fuite ne pouvait provenir que d’elle.

La stratégie du maître

Lancer le défi est une chose facile. Samson connaît l’orgueil des Philistins et leur appât de gains matériels. Dès que le défi est lancé, il est accepté. Les Philistins se croient supérieurs à un étranger. De plus, ne sont-ils pas trente à se lancer sur la piste de l’énigme? Samson réussit donc aisément à les convaincre d’entrer dans cette compétition. Mais Samson veut plus. Il doit gagner le défi pour faire perdre les Philistins.

Notre juge choisit une devinette qu’il sait insoluble par les Philistins. Certains taxeront Samson de malhonnêteté, mais c’est faire un faux procès à notre juge. Les termes du défi étaient clairs. Les Philistins savaient au devant de quoi ils allaient. Pas un instant, ils ne doutaient que Samson ferait tout son possible pour voiler la solution. Leur erreur a été de sous-estimer son intelligence.

Avant de nous pencher directement sur la charade, il est utile de relever que l’issue du défi ne se limitait vraisemblablement pas à une question matérielle. En proposant le don de manteaux, Samson choisit comme récompense pour le vainqueur un signe de royauté. En effet dans la culture du Proche-Orient, le manteau était le signe traditionnel de l’investiture d’une autorité, comme la couronne royale le sera plus tard dans les monarchies européennes. L’histoire du manteau royal demandé par Haman à Assuérus est bien connue (Est 6.6-11). Elie utilise son manteau comme signe de son autorité pour fendre les eaux du Jourdain (2 Rois 2.8); manteau qui reviendra à Elisée le digne héritier de son maître (2 Rois 2.13-14). Quant à Joseph, il avait été honoré d’un manteau multicolore par son père, ce qui avait suscité la jalousie de ses frères (Gen 37.3-4).

En proposant le don d’un manteau, Samson indique un signe de soumission du vaincu au vainqueur. Puisque deux peuples habiteront ensemble suite au mariage contracté, le maître des deux peuples sera celui qui se révélera le plus intelligent. Le défi lancé par Samson est accepté par les Philistins: le plus intelligent régnera sur les autres.

La nature de l’énigme

La devinette est mystérieuse pour les Philistins. Le lecteur sourit devant la stérilité de leurs efforts à décoder le message. Mais lui-même, en a-t-il saisi toute la portée? N’oublions pas que l’auteur veut faire réfléchir le lecteur, et s’il semble lui donner par avance la solution de l’énigme, il ne lui dévoile peut-être pas toute la solution!

En fait, l’énigme véhicule un double message. Le sens premier est manifeste: la devinette se rapporte à la carcasse du lion remplie de miel. Le second sens est moins apparent. Pour le comprendre, il faut relever que le lion a attaqué Samson à l’entrée du pays des Philistins, dans les vignes de Timna (14.5).Comme les Philistins, ce lion empêche les Juifs de jouir du pays promis. Ce lion représente d’une certaine manière les Philistins. Ce rapprochement entre le lion et les Philistins est encore plus intéressant lorsqu’on sait que pour les Egyptiens (ancêtres lointains des Philistins selon Gen 10.14), le sphinx (monstre mythique à corps de lion et tête humaine) était le gardien du territoire.

Le lion comme les Philistins empêche l’accès à une partie de la terre promise. Le fruit de la vigne ne peut être cueilli. Par contre lorsque l’ennemi est mort, le Juif retrouve la jouissance du pays, de ce pays où coulent le lait et le miel. Le miel dans la carcasse du lion vaincu symbolise la bénédiction retrouvée. Samson mange du miel et en donne à ses parents (14.9) comme pour montrer à toute la nation juive que l’ennemi Philistin ne doit pas être amadoué, mais dépossédé et tué comme Dieu le leur avait demandé.

Samson est vraiment rusé. Il sort comme grand vainqueur de la confrontation. D’une part, son défi a pleinement porté les fruits escomptés, puisque la nature de ce peuple voisin a été dévoilée. D’autre part, les Philistins ont été incapables de découvrir l’énigme. Même en trichant, ils n’ont pu obtenir que la part du mystère que Samson a bien voulu leur révéler. Le sens profond leur échappe toujours. De plus, en trichant, les Philistins se sont tout simplemept disqualifiés.

Les coupables punis

Si Samson est vainqueur, pourquoi paie-t-il le prix de la victoire aux Philistins? Mais quel prix leur remet-il? En apparence, il leur offre le prix du vainqueur (les 30 manteaux), mais en réalité, c’est le salaire de leur péché qu’ils reçoivent.

Ayant démontré la vraie nature de ce peuple, et ayant remporté le pari (les Philistins ont dû tricher pour obtenir la réponse ), Samson descend à Askalon. Revêtu de l’Esprit divin (14.19) (le lecteur prendra garde d’interpréter favorablement l’action du juge!), notre héros y descend en vainqueur et non en vaincu. Comme Samson s’est montré le plus intelligent lors de l’épreuve, il a gagné le droit de devenir le chef des Philistins. Ces derniers, ayant triché, doivent être punis par l’autorité, qui n’est autre que Samson, leur nouveau maître.

La justice sera équitable, elle suivra la loi du talion: (1) les Philistins ont volé la réponse de l’énigme, Samson volera les habits; (2) ils ont cherché à tromper Samson, ce dernier les trompera en leur faisant croire qu’ils reçoivent la récompense qu’ils recherchaient; (3) 30 hommes se sont comportés en meurtriers pour avoir menacé de mort sa belle famille, Samson tuera 30 de leurs compatriotes. Samson est-il injuste en tuant d’autres Philistins? Nullement, puisque tous les Philistins sont du même acabit (la preuve vient d’être fournie), et que Dieu avait demandé à son peuple de tuer tous les habitants de la terre promise (Deut 20.16).

Revêtu de l’Esprit de l’Eternel, Samson a mené le jeu du début à la fin. Il domine tous les développements: même sa confidence à la Philistine au dernier jour de la fête, même le salaire versé aux Philistins suite à leurs iniquités. Son jugement final est équitable; son éthique est parfaite. L’oint de l’Eternel règne par Sa force et Sa sagesse, et Israël devrait en tirer exemple. S’il était consacré à l’Eternel comme Samson, il serait lui aussi revêtu de force et d’intelligence. Dieu n’avait-il pas promis à son peuple le succès dans tous les domaines en récompense à la fidélité (Deut 28.1-14)? La faiblesse actuelle d’Israël témoigne de son état de péché. Plutôt que de se reposer en l’Eternel, Israël a cherché sa sécurité dans des alliances étrangères, où l’oppression et l’esclavage l’attendaient.

Les leçons de Samson restent d’une grande actualité dans un temps où la mode est au compromis. Le chrétien ferait bien de se rappeler que, hier comme aujourd’hui, les mauvaises alliances restent mauvaises.

D.A.
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Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.