Dossier: Vivre la souffrance - Témoignage
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Experiences dans un pays en guerre

La République Démocratique du Congo (RDC) connaît la guerre civile depuis 1998. Les armées étrangères (Ouganda, Rwanda et Burundi) sont alors entrées à l’Est du Congo pour essayer de renverser feu le président Laurent-Désiré Kabila. Leur tentative de renversement du pouvoir a échoué. Dans l’Est du pays (la région occupée par les opposants à Kabila), d’autres petites rébellions se sont encore manifestées, se dressant les unes contre les autres, bien que toutes sous le patronage des armées soit ougandaise (dans la région de l’Ituri), soit de la coalition burundo-rwandaise (dans la région du Nord-Kivu et Sud-Kivu). En Ituri, cette crise politique a fait renaître le conflit ethnique entre les Lendus (tribu majoritaire formée essentiellement de cultivateurs) et les Hemas (tribu minoritaire formée essentiellement d’éleveurs). Ma famille appartient à la tribu Hema.

Bref, la situation était empoisonnée. Ce désordre politique a fait beaucoup de victimes, surtout entre les Hemas et les Lendus. De part et d’autre, les pertes en vies humaines et en dégâts matériels furent incalculables.

La situation a atteint son paroxysme le 6 mars 2003, quand des bandes sont entrées dans la ville de Bunia. Cette incursion tourna vite en chasse à l’homme, et beaucoup de gens sont morts ce jour-là. Avec ma famille, nous avons échappé de justesse, tandis que d’autres étaient tués, et que des maisons et magasins étaient systématiquement pillés et brûlés. La maison que nous habitions a été littéralement pillée et saccagée. Tout a été détruit ou emporté, y compris mes livres et des copies de Promesses. Je n’ai conservé que quelques livres de mon bureau à l’ISTB2.

Heureusement, juste un jour avant le drame, j’avais réussi à évacuer ma famille et nous avions trouvé refuge ailleurs. J’avais pu emporter mes diplômes, ma Bible, et quelques petites affaires. Mais surtout, nous avions eu la vie sauve.

J’ai appris ultérieurement que les assaillants étaient venus plusieurs fois me chercher par mon nom à mon ancien domicile. Ils voulaient tout simplement me tuer ainsi que toute ma famille.

Ils avaient sérieusement menacé mon voisin croyant, l’accusant de me cacher! Mais grâce à Dieu, sa vie fut épargnée. Quand je repense au mal que les hommes se sont fait les uns aux autres lors de ces journées, les larmes me coulent des yeux d’elles-mêmes, sans que j’en aie tout de suite conscience. Mais Dieu est grand, et je le loue du fond de mon cœur car sa bonté est manifeste dans la mesure où quand le trouble vient, Il est le refuge, et Il connaît ceux qui se confient en Lui (Nah 1.7).

Mais ce 6 mars, alors que les balles retentissaient çà et là, et que les assaillants entraient dans les maisons, nous avions déjà quitté cet endroit avec ma famille pour chercher un nouveau refuge. Avec la famille d’un étudiant, nous avons passé là trois semaines, toujours dans la crainte d’attaques éventuelles ou d’enlèvement.

Notre secrétaire de direction, ainsi que sa mère, furent lâchement assassinées après le pillage de leur maison dans l’enceinte de la propriété de l’ISTB. Avant de m’enfuir de mon nouveau refuge, j’avais suspendu ma jaquette contre un mur. Curieusement quelques balles furent tirées dans ma chambre, détruisant la jaquette en question. Je me suis souvent imaginé que notre sœur en Christ et sa mère étaient mortes pour que j’aie la vie sauve, mais Dieu ne m’a jamais confirmé cette hypothèse.

Comme la situation continuait à empirer, nous avons jugé utile de nous réfugier à Kampala. Dieu nous ouvrit le chemin le 21 mars 2003. C’était le seul salut pour les rescapés Hemas de cette époque.

Malgré la profondeur du traumatisme que nous avions vécu, nous avons toujours prié que Dieu nous ouvre les portes pour continuer les études. A vrai dire, je n’étais pas sûr que ce serait la même année. Eh ! bien, Dieu nous a surpris ! Voilà qu’il vient de nous ouvrir les portes de la NEGST3. Il faut reconnaître que le défi matériel est là, car nous ne bénéficions pas de bourses pour étudier ici ! Mais jusqu’à ce jour, la grâce de Dieu a pourvu !

En dépit de la tragédie que ma famille a traversée, nous louons Dieu, car c’est lui seul qui nous aide à évacuer tout ressentiment et toute amertume à l’égard de quiconque. C’est l’affaire du Seigneur, lui qui a dit: "A Moi la justice, à Moi la rétribution". Il saura au temps opportun agir comme Il l’entend selon sa volonté divine.

Nous avons passé à Limuru deux jours de retraite spirituelle bien nécessaire, Jeannette et moi4. Nous essayons d’aider nos enfants à oublier tout ce passé amer, mais nous sommes étreints quelques fois, lorsque les enfants en font mention dans leurs prières pour la situation à Bunia et spécialement pour les membres de nos familles et amis qui y sont restés.

1 L’auteur a été professeur à l’Institut Supérieur Théologique de Bunia, en République Démocratique du Congo. Il est marié à Jeanette. Ils on deux filles, Grâce et Georgine. Voir son article dans ce numéro Une réponse chrétienne aux conflits ethniques.
2 L’Instutut Supérieur Théologique de Bunia.

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Dossier : Vivre la souffrance
 
Mbabaz Kawha Isaac
L’auteur, marié et père de deux enfants, a été professeur à l’Institut Supérieur Théologique de Bunia (ISTB), en République Démocratique du Congo (RDC). Actuellement il poursuit ses études de maîtrise en théologie à la NEGST (Faculté de théologie évangélique, Nairobi Evangelical Graduate School of Theology). Il est aussi traducteur des COHETA News, forum par courrier électronique pour un échange périodique de nouvelles, d’informations et de ressources issues de la COHETA (Conseil pour l’Homologation des Etablissements Théologiques en Afrique), des institutions en liaison avec cette dernière ainsi que des écoles théologiques, des organismes de soutien et des personnes intéressées. Son siège est à Jos (Nigeria). La COHETA est une agence de la commission chargée de la formation théologique et chrétienne de l’AEA (Association des Évangéliques en Afrique).