Faut-il fermer les yeux sur la Télévision
Du sein de l’immense troupeau des téléspectateurs qui s’accommodent, bon an, mal an, des menus de leurs chaînes préférées, il émerge parfois des originaux qui remettent en question la place et la salubrité de l’universel abreuvoir. Le dossier spécial que Promesses consacre à la télévision permettra d’entendre leurs voix.
En guise d’apéritif à la substantielle étude de Jan-Berth De Mooy, commençons par rappeler une vérité sur laquelle tout le monde s’accorde: « A l’évidence, la télévision influence désormais notre vision du monde, voire notre conception de l’Histoire. En quelques années, grâce au prodigieux développement des satellites et des équipements audiovisuels légers, elle a aboli les distances et le temps: chaque soir, dans son salon, le téléspectateur, européen, américain, japonais, est branché en direct sur la planète et se voit doté, par écran interposé, d’un prodigieux don d’ubiquité. (…) Nous habitons tous dorénavant un « village global », comme le prophétisait Marshall Mc Luhan, dans lequel chaque citoyen peut communiquer à la vitesse de la lumière et communier avec les autres terriens au même spectacle de l’actualité » (D. Simonnet, « Le monde est-il un téléfilm? » L’Express, 11 mai 1990, p. 58). Tout se passe donc, au premier abord, comme si l’être humain, en développant ses capacités d’observation du monde et ses moyens de communication, perfectionnait les outils de sa « divinisation ».
Dans cet ordre d’idées, il faut admettre que la TV n’est qu’un élément de plus d’une grande panoplie dont les constituants furent d’abord l’Image, la Musique, l’Ecriture, puis l’Imprimerie, la Photo, le Cinéma, et qui se complète de nos jours par les médias électroniques et informatiques les plus sophistiqués. Personne n’arrêtera le cours des choses – sauf Dieu bien sûr.
Pourtant, les questions posées par les esprits critiques sensibles aux dérives de l’empire télévisuel valent la peine d’être entendues. Voici quelques remarques glanées dans la presse.
Sur la valeur de la culture télévisuelle: « Mais de quelle culture s’agit-il? De par sa nature, la télévision tend à privilégier la forme sur le fond et à considérer le monde tel un gigantesque spectacle permanent. Une tendance d’autant plus affirmée qu’elle résulte directement de la contrainte commerciale et de la course à l’audience » (D. Simonnet, article cité). « La télévision influence désormais toutes nos traditions culturelles. C’est même elle qui leur donne une légitimité: elle nous dit quels films voir, quels livres lire, quels magazines acheter. Elle orchestre non seulement notre connaissance du monde, mais aussi notre connaissance des moyens de connaissance. Elle est devenue un « métamédia » qui transforme notre culture en show-business » (Neil Postman, sociologue américain, « On voit tout, on n’apprend rien », L’Express, 11 mai 1990, p. 62).
Sur la vision du monde offerte par le petit écran: « C’est une banalité que de le constater: la télévision est, par nature, un art du divertissement; elle transforme tout en spectacle, même lorsqu’elle prétend être sérieuse (…) La notion même de vérité en est bouleversée: il suffit que les images paraissent crédibles pour qu’elles soient considérées comme vraies (…) En fait, nous avons si bien accepté les règles de la télévision que nous ne nous posons même plus de questions sur le monde qu’elle nous décrit: celui-ci nous est naturel. L’insignifiant nous semble important, l’incohérence nous paraît saine. Nous sommes entrés dans une culture de la trivialité (N. Postman, art. cité).
Sur les émissions dites éducatives: « …les producteurs d’émissions culturelles et éducatives sont pris dans la même logique: s’ils veulent de l’audience, ils sont obligés de faire du spectacle (…) A la télévision, tout doit être immédiatement accessible pour tout le monde (…) Apprendre, cela exige de l’effort, de la concentration, de la persévérance, de l’esprit critique, du raisonnement… Pas de l’amusement. Le plaisir visuel n’est pas suffisant. Sauf peut-être pour s’initier aux recettes de cuisine » (N. Postman, art. cité).
Ces quelques réflexions indiquent la profondeur du mal. Toutefois, la plupart des dangers dénoncés par les esprits lucides de notre époque ne constituent pas, en général, une menace suffisante pour les inciter à brûler leur téléviseur pour mieux rêver à l’époque où, la télé n’étant pas née, tout le monde lisait sagement de bons livres… On préfère préconiser une « bonne » utilisation de la TV.
Un article intitulé: « Pouvez-vous laisser vos enfants regarder Chair de poule? » (M. Lambert, Le Nouveau Quotidien, 5 sept. 1997) se termine par la conclusion que de toute manière, les enfants ont depuis toujours apprécié les histoires qui font peur. Pour le docteur O. Bonnard, spécialiste de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à Lausanne, « s’il y a des émissions de ce type pour les enfants, c’est qu’il y a quelque chose de bon à y trouver »; pour le département Jeunesse de France 2, ces films ont un effet cathartique (purificateur), à l’instar de la tragédie grecque. Quand on connaît le contenu de ces séries morbides, on peut se demander qui va nous guider vers la « bonne » utilisation précitée.
De son côté, le Dr Raymond Abrezol, propagateur de la sophrologie en Suisse, et auteur d’un livre intitulé: « Se libérer de ses chaînes, la vie au-delà de la TV » (Ed. Jouvence, 1996), souligne: « La TV est un art de vivre, un phénomène social et culturel incontournable et envahissant. Par accoutumance progressive, elle entraîne une totale dépendance nécessitant parfois une désintoxication progressive. » Il vous propose alors de vous affranchir de la dictature télévisuelle par le moyen de 22 exercices basés sur la sophrologie, et de vous apprendre ainsi « non pas à vivre sans TV, mais avec une TV qui vous laissera le temps de lire, de vivre et d’aimer. »
René Blind et Michael Pool, dans la « Télévision buissonnière » (Ed. Jouvence, 1996), s’attachent à dénoncer les effets pervers de la TV sur le comportement et le développement de l’enfant. Ils espèrent, en terminant: « Si en refermant ce livre, vous avez changé la place de votre téléviseur, au moins dans un sens figuré, nous n’aurons pas ouvré en vain. Si votre regard s’est détourné de l’écran pour se diriger vers l’enfant, si surtout votre enfant découvre que vous êtes le maître, sinon de l’univers comme son héros préféré, du moins de la boîte à images, notre objectif sera largement atteint. »
Claude Bovay, collaborateur à l’Institut d’éthique sociale de Lausanne, donne ce conseil à propos de certains dessins animés violents et imprégnés de la religiosité du Nouvel Age, tels que Les Chevaliers du Zodiaque: « Face à une télévision qui le fascine en lui assénant des images porteuses de valeurs religieuses et éthiques pour le moins discutables, il importe de chercher la solution qui aide l’enfant à prendre ses distances, à ne pas être captivé et captif » (La Vie Protestante, 14 déc. 1990, Hebdo p. 4).
On le constate, la « bonne » utilisation de la TV ne semble pas chose aisée. Conscience critique de notre temps, Liliane Lurçat, directrice honoraire au Centre national de la recherche scientifique, France, décortique avec précision et réalisme les mécanismes qui font d’un être en devenir un otage, non seulement de la TV, mais de ceux qui en dictent les contenus, dans son ouvrage « Violence à la télé: l’enfant fasciné » (Ed. Syros Alternatives, 1989). Elle fait ce triste constat: « Les jeunes générations ont été élevées avec la télévision; elles n’ont plus aucune distance par rapport à la télévision et ne savent souvent pas la gérer, ni pour eux-mêmes, ni pour les enfants ».
A cause de voix comme celle-ci, capables de s’élever pour réclamer un assainissement des programmes TV, certains pays ont parfois adopté des critères de sélection plus sévères, ou ont consenti à des aménagements de la grille horaire moins défavorables aux enfants. Des systèmes électroniques permettent aux parents de bloquer la diffusion de certaines émissions (voir Time du 9 février 1996: « Chips ahoy », p. 42). Cependant, étant donné le flou des critères de sélection, leur disparité selon les pays, on peut douter de l’efficacité de telles mesures. Par ailleurs, l’ensemble de la population est globalement exposé à une inflation de violence gratuite, d’immoralité sans frontières, et de concepts de plus en plus ouvertement anti-chrétiens.
Au fait, et les chrétiens dans tout cela?
Affirmer qu’eux aussi, dans leur grande majorité, sont absents du débat, et qu’ils ferment les yeux sur la nature et l’inspiration véritables des choses qui leur sont montrées à domicile, n’est sûrement pas exagéré. Dans ce domaine comme dans d’autres, « les enfants de ce siècle sont plus avisés (…) que ne le sont les enfants de la lumière » (Luc 16.8), et ces derniers font preuve de moins de discipline personnelle que ceux qui « s’imposent toute espèce d’abstinences » pour obtenir des récompenses terrestres (1 Co 9.25). Mais puisque les hommes sans Dieu s’alarment des effets ravageurs de l’industrie télévisuelle, n’est-il pas temps que nous aussi, les chrétiens, cessions de faire preuve de complaisance à l’égard de ce qui ruine nos sociétés, et saisissions ce problème à bras le corps?