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La patience de Job

Voici, nous disons bienheureux ceux qui ont souffert patiemment. Vous avez entendu parler de la patience de Job, et vous avez vu la fin que le Seigneur lui accorda, car le Seigneur est plein de miséricorde et de compassion (Jac5.11).

NB: Les références en chiffres seule- ment se réfèrent au livre de Job; p.ex.: (1.21) = (Job 1.21).

La patience de Job? Etrange association de mots, à la vérité, car le bouillant et véhément malade ne ressemble en rien à un agneau muet et résigné. Pour le lecteur qui émerge de plus de trente chapitres de diatribes entre Job révolté et ses amis fâcheux, il est assurément difficile de discerner en Job un modèle de patience. Le terme grec utilisé par l’apôtre Jacques (hypomone), et traduit dans nos versions françaises par «patience», «constance», «endurance», suggère «l’action de supporter sans fléchir, ou sans se laisser entamer» (Dict. Bailly). Est-ce bien l’attitude générale de Job au sein de l’épreuve? Ce dernier offre-t-il au monde le spectacle d’une foi stoïque et impassible? Persiste-t-il longtemps dans l’admirable logique qu’il soutient en face de la vague déferlante des premiers malheurs:

L’Eternel a donné, et l’Eternel a ôté; que le nom de l’Eternel soit béni! (1.21). Quoi! nous recevrons de Dieu le bien, et nous ne recevrions pas aussi le mal! (2.10).

Non, la patience de Job ne sera pas celle d’un être désincarné ou d’un surhomme; elle ne sera ni muette ni résignée;elle ne sera pas celle d’un être qui abdique facilement, ou qui cherche une issue à n’importe quel prix. En un mot, la patience de Job ne sera jamais celle d’un lâche.

Pour bien saisir ce qu’une telle patience comporte d’exemplaire, il faut d’abord observer le comportement de Job et dégager ses principaux traits de caractère; nous tenterons ensuite de décrire la nature de sa foi et de comprendre comment, en fin de compte, le Tout-Puissant peut réhabiliter son serviteur.

I. Patience et réalisme

La patience de Job se conjugue d’abord avec sa lucidité. Job ne minimise jamais son mal, ni ne le cache. Malgré la flatteuse réputation dont il jouit (cf 29), il ne songe ni à dissimuler ses plaies et la laideur de son apparence, ni à voiler ce qu’il ressent. Peu intéressé par la préservation de son image de marque, il expose son désespoir (6:11-13; 17.16), crie sa douleur physique (7.3-5), son amertume (7.11; 10.1; 27.2), ses angoisses (7.11; 6.21). Job avait été rendu fort et célèbre par la grâce de Dieu; il sait maintenant se voir malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu (cf. Ap 3.17).

Ce n’est pas à dire qu’il n’ait pas honte de son état (10.15; Il.5), ni qu’il ne souffre pas vivement du mépris dont on l’abreuve (19.3.1-19). Sa lucidité lui représente telle qu’elle est toute l’étendue de son naufrage. Peut-être ressent-il même quelque chose de ce que Christ a dû éprouver lorsqu’on l’apostrophait: Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même! S’il est roi d’Israël, qu’il descende de la croix… (Mat 27.42). En effet, Job est trop intègre pour ne pas sentir profondément l’acuité de certaines flèches: Tes paroles ont relevé ceux qui chancelaient, tu as affermi les genoux qui pliaient. Et maintenant qu’il s’agit de toi, tu faiblis! (4.3-6).

Tout lucide qu’il soit, Job pourrait néanmoins chercher des faux-fuyants. Or il préfère admettre son impuissance face à l’épreuve (16.6-8), et le trouble profond qui s’est emparé de tout son être (3.26). En cela, il se tient aux antipodes d’un certain optimisme contemporain qui se voile la face devant la réalité du péché et de la misère humaine, et croit pouvoir trouver son salut dans n’importe quelle thérapie à la mode, dans n’importe quelle frivolité distrayante, ou dans les chimères de la «pensée positive». Job, à aucun moment, ne perd de vue son état réel, à l’horreur de sa déréliction.

Ainsi, la patience de Job se définit d’abord comme la capacité de maintenir sur soi-même, au sein de la plus totale déchéance, un regard exact.

Ici déjà, Job nous donne une leçon. Car quel est en effet l’obstacle majeur sur le chemin de la conversion, et ensuite sur celui de la vie chrétienne? N’est-ce pas que nous portons, sur le gravité du péché et l’absolue détresse de l’homme sans Dieu, un jugement superficiel? N’est- ce pas que nous fermons les yeux sur le fait que notre vielle nature humaine est invariablement mauvaise? A tous les chrétiens tentés d’oublier leur condition première, l’apôtre Jacques déjà recommande: Sentez votre misère; soyez dans le deuil et dans les larmes; que votre rire se change en deuil, et votre joie en tristesse. Humiliez-vous devant le Seigneur et il vous élèvera (Jac 4.9- 10). Oui, il faut de la patience et du réalisme pour maintenir qu’en ce qui concerne notre condition originelle, de la plante du pied jusqu’à la tête, rien n’est en bon état: ce ne sont que blessures, contusions et plaies vives… (Es 1.6).

Mais de ce regard sans illusions sur nous-même dépend la possibilité, pour le Seigneur, de nous relever et de manifester en nous sa nouvelle création (2 Cor 5.17).

II. Patience et exigence de justice

A aucun moment, Job ne se sent responsable de son malheur (9.21 et ss; 12.4). Jusqu’à mon dernier soupir, je défendrai mon innocence; je tiens à me justifier, et je ne faiblirai pas; mon coeur ne me fait de reproche sur aucun de mes jours (27.5-6).

Et de ce fait, Dieu lui-même semble confirmer ce certificat d’excellence lorsque, d’entrée de jeu, il déclare à Satan qu’il n’y a personne comme Job sur la terre; c’est un homme intègre et droit, craignant Dieu, et se détournant du mal (1.8).

Quant à Job, l’incompréhensible supplice qui lui est imposé lui donne le sentiment d’être cerné par Dieu (3.23; 6.4; 16.9), d’être pris à partie sans raison (7.17-21), d’être contraint à une confrontation par trop inégale (9.2-4; 14.3- 4), d’être piégé par un Dieu rancunier (10.13,14), d’être l’objet d’une mystérieuse crise de colère divine (14.13).

Devant un tel torrent d’assauts divins, un autre que Job aurait probablement battu en retraite. Il eût été plus facile d’acquiescer aux propos des «consolateurs», d’avouer n’importe quoi pour avoir la paix. Au lieu de cela, Job demande des comptes à Dieu.

Excédé par le silence de Dieu, et l’absence d’explications plausibles, Job va d’abord maudire le jour de sa naissance (3.1), puis exiger que Dieu le laisse respirer un peu (10.20) ou qu’il l’écrase définitivement (6.9). L’ensemble des discours de Job ne forment du reste qu’une longue revendication, l’exigence d’un homme qui pense qu’il a droit à un procès en règle, ou alors à la paix.

Remarquons ici que Job ne pense pas que, de manière absolue, il soit sans faute ni péché (7.21; 9.2-3; 13.26; etc). Ce qui révolte Job, c’est que Dieu semble désormais le poursuivre pour des péchés déjà pardonnés, ou même des péchés fictifs: Aujourd’hui tu comptes mes pas, tu as l’oeil sur mes péchés; mes transgressions sont scellées en un faisceau, et tu imagines des iniquités à ma charge (14.16-17).

Or, pendant ces nombreuses années de prospérité, Job a appris à considérer le Dieu tout-puissant comme son ami, comme le Seigneur qui daigne traiter avec l’homme non sur la base de la seule justice et sainteté divines, mais aussi sur celle de la grâce et de la miséricorde: Tu m’as accordé ta grâce avec la vie, tu m’as conservé par tes soins et sous ta garde (10.12). Par rapport au statut d’antan, Dieu semble avoir fait volte-face: Voici… ce que tu cachais dans ton coeur… Si je pèche, tu m’observes, tu ne pardonnes pas mon iniquité (10.13-14).

Voilà donc l’injustice que Job, obstinément, dénonce. Job crie à la rupture d’alliance, à l’incohérence de traitement. Tout se passe comme si Job refusait à Dieu le droit d’être autre chose que ce qu’il est: juste et bon, saint et miséricordieux.

Bien sûr, Job se trompe lorsqu’il croit pouvoir demander des comptes à l’Eternel, lorsqu’il imagine que son problème pourrait être réglé par une «explication», lorsqu’il accuse Dieu d’injustice et tente d’enfermer Celui qui est au-dessus de toute créature dans la logique de la créature. Job finira par avouer qu’il a parlé, sans les comprendre, de merveilles qui le dépassent (42.3). Toutefois, il y a quelque chose d’admirablement exact dans l’affirmation opiniâtre de Job: si Dieu n’est plus égal à lui-même, nos chances de subsister devant lui et sur cette terre sont nulles. C’est pourquoi Dieu fera remarquer aux amis de Job: Vous n’avez pas parlé de moi avec droiture comme l’a fait mon serviteur Job (42.7).

Dans cette perspective, la patience de Job prend l’allure d’une lutte avec Dieu dont l’enjeu principal est, non une bénédiction secondaire, mais une pleine réconciliation avec Dieu lui-même. Comme Jacob luttant avec l’ange du Seigneur, comme Jonas dans le ventre du poisson, Job insiste jusqu’à ce que Dieu réponde et se montre favorable. Car enfin, à quoi sert la guérison et la bénédiction (et la prospérité, et la richesse, et le succès) si l’on n’est pas sûr des intentions du souverain Médecin?

Job nous enseigne que, quelle que soit l’épreuve qui nous frappe, quelque éloigné que semble se tenir le Seigneur, quelque distante que semble sa voix, il nous appartient de ne jamais cesser de le chercher. Jacques, encore une fois, nous y exhorte: Voici, le laboureur attend le précieux fruit de la terre, prenant patience à son égard, jusqu’à ce qu’il ait reçu les pluies de la première et de l’arrière-saison. Vous aussi, soyez patients, affermissez vos coeurs, car l’ avènement du Seigneur est proche (Jac 5. 7b- 8).

III. Patience et connaissance de Dieu

Nous l’avons dit, Job connaît son Dieu de longue date. Le prologue du livre laisse même apparaître comme une sorte de vieille connivence entre Dieu et Job, à la grande déconvenue de Satan.

Les habitudes du «plus éminent de tous les fils de l’Orient» dénotent un respect profond et authentique à l’ égard de Dieu (1.1-5). A ce moment déjà, on devine que Job n’est pas un simple croyant par opportunisme et commodité. Le désir de ce serviteur de l’Eternel, c’est de bénir son Maître et de le laisser libre d’agir à sa guise.

Pourtant, lorsque la souffrance devient intolérable et qu’elle doit trouver un exutoire, lorsque les accusations injustifiées pleuvent sur le malheureux, Dieu se voit placé, comme les amis bien-pensants, sur la sellette – pour parler avec modération.

Toutefois le lecteur ne peut manquer d’être surpris par quelques déclarations qui, au passage, révèlent que la connaissance que Job possède des choses de Dieu est beaucoup plus vaste que le prologue le laissait entrevoir.

Il y a surtout cette certitude, bouleversante de la part d’un homme qui se sent victime de la colère de Dieu, qu’un jour il verra Dieu en face, et que ce dernier lui sera favorable: Après que ma peau aura été détruite, moi-même je contemplerai Dieu. Je le verrai, et il me sera favorable; mes yeux le verront, et non ceux d’un autre; mon âme languit d’attente au-dedans de moi (19,26-27). Comment expliquer cette bouffée de joie farouche, cette certitude incompréhensible? On touche ici au mystère même de la foi et de l’amour que l’amour de Dieu peut engendrer dans un coeur d’homme. L’amour est fort comme la mort, dit le Cantique des Cantiques, les grandes eaux ne peuvent éteindre l’amour, et les fleuves ne le submergeraient pas (Cant 8.6- ,7). Les années que Job a passées en compagnie de Dieu ont laissé en lui une empreinte indélébile, une attente indestructible. N’est-ce pas aussi cela qui confère à sa patience une valeur que Dieu peut honorer?

Mais plus encore, le coeur de Job abrite l’intuition prophétique qu’il y a dans le ciel un Témoin qui prend sa défense, un Médiateur qui le représente là où lui, Job, n’a pas encore accès: Déjà maintenant, mon témoin (ou avocat) est dans le ciel, mon témoin est dans les lieux élevés (16.19); Lui, qu’il défende l’homme contre Dieu, comme un humain intervient pour un autre (16.21, trad TOB; la King James traduit dans le même sens. Voir aussi 19.25).

A l’heure où tous ses amis l’abandonnent, et où Dieu se cache, Job s’accroche donc à cette ultime pensée que Dieu donne à tout croyant un Défenseur céleste. Aussi va-t-il jusqu’à formuler cette étonnante prière à son Dieu: Sois auprès de toi-même ma caution; autrement, qui répondrait pour moi? (17.3).

Avec quelques millénaires d’avance, Job a écrit Romains 8. Il a saisi Jésus-Christ par anticipation, et ne l’a pas lâché.

La troisième leçon de patience que Job nous enseigne, c’est que le croyant en proie à la difficulté peut passer à travers bien des doutes quant aux intentions de Dieu pour lui (cf. 10.2 et ss); il peut connaître toute une gamme de sentiments, de la révolte à la terreur, du désir de vivre au désir de mourir; mais s’il a un jour rencontré Christ, goûté et accepté son pardon, marché dans sa présence, cette relation ne sera jamais anéantie. Elle est le gage certain de ce qu’un jour nous verrons Dieu, et qu’il nous sera favorable, car Dieu nous a réconciliés avec lui par Christ (2 Cor 5.18-19).

Ainsi, l’épreuve du croyant n’est plus le signe d’une condamnation, mais le creuset de la foi, l’occasion pour Dieu de nous accorder une mesure supplémentaire de miséricorde et de compréhension de sa grandeur: Mon oreille avait entendu parler de toi; mais maintenant mon oeil t’a vu (42.5); la réponse aux besoins physiques, affectifs et moraux du serviteur éprouvé découle de cette révélation (42.10-17).

Heureux l’homme qui supporte patiemment la tentation; car après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que le Seigneur a promise à ceux qui l’aiment (Jac 1.12).

C.-A.P.
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Pfenniger Claude-Alain
Claude-Alain Pfenniger, marié, père de trois (grands) enfants, est professeur de langues retraité. Il a exercé des fonctions pastorales en Suisse et a collaboré à la rédaction de diverses revues chrétiennes. Il est membre du comité de rédaction de Promesses depuis 1990.