La persévérance
La question de la persévérance est la suivante : tous les croyants tiendront-ils ferme jusqu’au bout ou bien, s’ils tombent dans un péché ou s’éloignent de Dieu, risquent-ils de perdre leur salut ? Depuis les débuts de l’histoire de l’Église, cette question a taraudé les théologiens et suscité crainte et anxiété chez les croyants. Essayons, en nous appuyant le plus possible sur les textes bibliques, parfois difficiles, et même apparemment contradictoires, d’y voir un peu plus clair…
Les trois options historiques
L’option des Pères de l’Église
Selon eux, la persévérance est la part de l’homme dans le salut qu’il doit ajouter ou conjuguer à la grâce pour aboutir à la vie éternelle, qui in fine dépend du bon vouloir humain.
Certains Pères de l’Église pré-augustienne (comme Clément ou certains gnostiques) ont défendu cette option pour contrer le fatalisme païen et encourager leurs ouailles à ne pas se relâcher.
L’option calviniste
Pour Calvin, la persévérance finale est un don de Dieu qu’il accorde par grâce à tous ceux qu’il régénère ; aucun de ceux-là, quelle que soit la gravité de leurs chutes ou de leur éloignement, ne sera perdu.
Cette option a été fermement maintenue par les calvinistes dont c’est le 5e point du TULIP1. Modulo certaines atténuations importantes, c’est celle qui nous paraît la plus conforme aux textes bibliques.
L’option arminienne
La persévérance finale est un don de Dieu qu’il accorde par grâce à tous ses élus mais non pas à tous les régénérés. Certains croyants succombent et seront perdus.
Cette option a été développée par les luthériens, les arminiens2, puis les méthodistes et trouve aujourd’hui un large écho dans le pentecôtisme. Elle est aussi celle des catholiques.
L’existence d’apostats
La Bible évoque, du point de vue théorique, des personnes qui ont montré, pendant un temps, l’apparence la plus complète de vrais croyants mais se sont détournés ensuite de la foi pour « apostasier ». Elle donne aussi certains exemples pratiques de tels individus. La foi peut, hélas, n’être que de façade ou temporaire. Le vocabulaire biblique surprend parfois, car il pourrait laisser penser qu’il y a eu foi puis abandon de la foi ; il indique simplement que, chez ces personnes, l’apparence était tellement contraire à la réalité profonde, que les appréciations les plus positives pouvaient être formulées.
– Leur présence parmi les chrétiens n’implique pas la vie de Dieu : « Maintenant aussi il y a plusieurs antichrists, par quoi nous savons que c’est la dernière heure : ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n’étaient pas des nôtres ; car s’ils eussent été des nôtres, ils fussent demeurés avec nous ; mais c’est afin qu’ils fussent manifestés comme n’étant aucun d’eux des nôtres. » (1 Jean 2.18-19) Ce texte est parmi les plus clairs pour démontrer que l’abandon de la foi ne suppose pas la possession au préalable de la vie divine : « ils n’étaient pas des nôtres », même s’ils s’étaient rassemblés longtemps avec les vrais croyants.
– Leur capacité à réaliser des miracles ou à prêchern’implique pas la vie de Dieu : Jésus avertit : « Plusieurs me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en ton nom ? n’avons-nous pas chassé des démons par ton nom ? et n’avons-nous pas fait beaucoup de miracles par ton nom ? Alors je leur dirais ouvertement : Je ne vous ai jamais connus , retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité. » (Mat 7.22-23) Insistons sur le « jamais » : Jésus ne les a pas d’abord connus, puis rejetés ensuite ; au contraire, à aucun moment, ils n’ont eu cette relation vitale induite telle qu’elle est traduite par ce verbe « connaître ». Ne nous laissons pas duper par certains prédicateurs ou par de prétendus guérisseurs « chrétiens » dont la doctrine ou la pratique ne serait pas en cohérence avec la Bible.
– Leur joie manifestée à l’écoute de la Parole n’implique pas la vie de Dieu : La parabole du semeur évoque cette joie temporaire d’un salut superficiel : « Une autre partie tomba dans un endroit pierreux, où elle n’avait pas beaucoup de terre ; elle leva aussitôt, parce qu’elle ne trouva pas un sol profond ; mais, quand le soleil parut, elle fut brûlée et sécha, faute de racines. […] Les autres, pareillement, reçoivent la semence dans les endroits pierreux ; quand ils entendent la parole, ils la reçoivent d’abord avec joie ; mais ils n’ont pas de racine en eux-mêmes, ils croient pour un temps, et, dès que survient une tribulation ou une persécution à cause de la parole, ils y trouvent une occasion de chute. » (Marc 4.5-6,16-17) Au début, tout laissait à penser qu’il y avait la vie : la croissance avait même été rapide ! Qui n’a connu de ces « conversions » parfois spectaculaires, pleines de joie, mais qui n’ont pas tenu la distance ?
– Leur nature profonde se révèle par l’abandon de la foi : « En effet, si après s’être retirés des souillures du monde, par la connaissance du Seigneur et Sauveur Jésus Christ, ils s’y engagent de nouveau et sont vaincus, leur dernière condition est pire que la première. Car mieux valait pour eux n’avoir pas connu la voie de la justice, que de l’avoir connue et de se détourner du saint commandement qui leur avait été donné. Il leur est arrivé ce que dit un proverbe véritable: Le chien est retourné à ce qu’il avait vomi, et la truie lavée s’est vautrée dans le bourbier. » (2 Pi 2.20-22) La truie avait beau être très propre, elle était restée une truie et tôt ou tard, sa nature l’a conduite à retourner à son bourbier. Qui n’a connu de ces réformations extérieures temporaires des mœurs et de la conduite, mais qui n’ont pas duré ?
– Judas est sans doute l’exemple d’apostat le plus emblématique du N.T. Aucun disciple ne semble avoir même soupçonné qu’il serait un jour prêt à trahir leur Maître (Mat 26.22). Pourtant la perdition de Judas ne fait hélas aucun doute (Jean 6.64,70 ; 17.12).
La doctrine biblique de la persévérance
Elle repose sur deux affirmations qu’il faut garder en tension positive.
1. Tous ceux qui sont véritablement régénérés persévéreront jusqu’à la fin
La Bible enseigne que ceux qui sont véritablement nés de nouveau le resteront jusqu’à leur mort et seront finalement glorifiés.
La sécurité éternelle du croyant provient :
– de l’œuvre du Père fidèle qui a choisi les élus de toute éternité : la chaîne de l’élection aboutit à la glorification ; celle-ci est vue déjà comme si certaine qu’elle est au passé : « Ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés. » (Rom 8.30) ;
– de l’œuvre du Fils qui a accompli à la croix une œuvre unique et suffisante et qui la poursuit par son action de médiateur, de souverain sacrificateur et d’avocat : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a point épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il pas aussi toutes choses avec lui ? Qui accusera les élus de Dieu ? C’est Dieu qui justifie ! Qui les condamnera ? Christ est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous. Qui nous séparera de l’amour du Christ ? […] Car j’ai l’assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rom 8.31-39)
– de l’œuvre du Saint-Esprit qui habite le croyant éternellement et qui agit en transformation progressive dans son être intérieur jusqu’au jour de la rédemption : « Le Père vous donnera un autre consolateur, afin qu’il demeure éternellement avec vous. » (Jean 14.16) « N’attristez pas le Saint Esprit de Dieu, par lequel vous avez été scellés pour le jour de la rédemption. » (Éph 4.30)
Au-delà de ces considérations trinitaires, d’autres affirmations attestent de la sécurité du croyant :
– Jésus ne perdra aucun des siens : « Or, la volonté de celui qui m’a envoyé, c’est que je ne perde aucun de tous ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour. La volonté de mon Père, c’est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour. » (Jean 6.39-40)
– Jésus et le Père garderont la main sur chacun : « Mes brebis entendent ma voix ; je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle ; et elles ne périront jamais ; et personne ne les ravira de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous ; et personne ne peut les ravir de la main de mon Père. » (Jean 10.27-29)
– Le salut est d’ores et déjà parfait pour toujours : « Car, par une seule offrande, il a amené à la perfection pour toujours ceux qui sont sanctifiés. » (Héb 10.14)
Ainsi un vrai chrétien pourrait apostasier (possibilité logique), mais il ne le fera pas (impossibilité théologique), car il sera gardé jusqu’au bout par Dieu. La liberté de l’homme est ainsi préservée : il est capable de renier sa foi, mais il décide de ne pas le faire, en particulier grâce à l’écoute des avertissements de l’Écriture.3
2. Seuls ceux qui persévèrent jusqu’à la fin sont véritablement nés de nouveau
Dieu ne garde pas le croyant indépendamment de sa foi et agit au contraire par son moyen pour rendre capable de continuer à croire en lui. C’est pourquoi la Bible abonde en avertissements à continuer à mettre en œuvre la foi jusqu’au bout :
– persévérer dans la Parole : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples » (Jean 8.31).
– rester ferme dans la foi reçue : « … pour vous faire paraître devant lui saints, sans défaut et sans reproche, si du moins vous demeurez fondés et inébranlables dans la foi, sans vous détourner de l’espérance de l’Évangile que vous avez entendu » (Col 1.22-23). « Car nous sommes devenus participants de Christ, pourvu que nous retenions fermement jusqu’à la fin l’assurance que nous avions au commencement » (Héb 3.14).
– pardonner à son frère : « C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, , si chacun de vous ne pardonne à son frère de tout son cœur. » (Mat 18.35)
– ne plus pratiquer les mauvaises œuvres précédentes : « Car, sachez-le bien, aucun débauché, ou impur, ou cupide, c’est à dire idolâtre, n’a d’héritage dans le royaume de Christ et de Dieu. » (Éph 5.5)
– ne pas renier Christ : « Si nous le renions, lui aussi nous reniera » (2 Tim 2.12).
Le point crucial est alors le suivant : pour un vrai chrétien, les avertissements ci-dessus sont-ils purement théoriques ou rhétoriques, ou bien sont-ils réels (c’est-à-dire si leur non-respect entraînera automatiquement la perte du salut) ? Sur le plan théologique, ils sont théoriques (nous avons vu plus haut qu’un croyant est assuré de son salut), mais sur un plan pastoral, ils sont rhétoriquement indispensables, car ils conduisent le vrai croyant à persévérer dans son salut en écoutant ces avertissements.
Par ailleurs, même si les auteurs du N.T. s’adressent à leurs lecteurs en supposant a priori qu’ils sont véritablement nés de nouveau, ils savent qu’il se peut qu’il y ait (et qu’il y a sans doute) parmi eux des personnes professant la foi sans l’avoir réellement. Ces avertissements doivent alors raisonner comme une menace salutaire. Faire entendre davantage cette note pourrait éviter de conforter dans un salut illusoire certaines personnes dont la conduite (par exemple une absence de pardon persistant) ne manque pas d’inquiéter quant à leur destinée éternelle.4
Les conséquences de la doctrine de la persévérance
– Le croyant peut avoir l’assurance de son salut éternel sans craindre d’être un jour perdu. Il peut anticiper avec joie la vie éternelle.
– Le croyant sait que cette assurance doit être mise en œuvre en continu dans sa vie et qu’il ne peut absolument pas se reposer sur une expérience historique (par exemple, s’être avancé un jour lors d’une campagne d’évangélisation) pour mener une vie laxiste ou paresseuse qui serait encore marquée par l’emprise du péché. Il montrerait ainsi que cette soi-disant expérience n’a pas été une transformation salvatrice. Aussi entretient-il cette foi avec persévérance chaque jour en étant conscient de sa faiblesse qui peut l’amener à s’éloigner du Seigneur et en étant conscient aussi que Dieu par cette prise de conscience même le protège.
1 La doctrine de Calvin et de ses successeurs sur l’élection a été résumée par l’acronyme anglais TULIP, qui reprend les « cinq points du calvinisme » :
– Total depravity (dépravation totale de toute la race humaine) ;
– Unconditional predestination (prédestination inconditionnelle de la souveraineté de Dieu) ;
– Limited atonement (expiation limitée aux élus seuls) ;
– Irresistible grace (grâce irrésistible qui attire vers Jésus) ;
– Perseverance of the saints (persévérance des saints : l’élection divine est efficace : tous ceux qui sont élus seront certainement sauvés et persévèreront dans la foi jusqu’à la fin).
2 Les arminiens ont suivi les doctrines développées par Jacob Arminius (1560-1609), un pasteur hollandais, qui a insisté sur la part humaine dans le salut.
3 Voici une illustration classique : Des parents peuvent être inquiets de voir leur enfant courir dans la rue et être renversé par une voiture. Une façon de prévenir ce danger est de construire un grand mur autour de leur jardin, mais cela limiterait la liberté de leur enfant. Une autre possibilité pour les parents est de laisser leur enfant libre mais de lui enseigner les dangers de la rue en lui appre-nant à être très prudent. Dans les deux cas, le résultat est le même, mais la 2de solution responsabi-lise l’enfant. Dieu agit envers nous, pour ainsi dire, selon la 2de solution.
4 La place manque pour détailler les chapitres controversés de l’Épître aux Hébreux (6 et 10). Cf. mon article sur « La sécurité du croyant », Promesses, n° 175, disponible en ligne sous : www.promesses.org/arts/175p8.html.