Le livre de la Genèse et la souveraineté de Dieu
La souveraineté de Dieu, doctrine majeure et souvent commentée, semble être surtout l’affaire du Nouveau Testament, où l’on compte au moins 117 références bibliques à ce thème. Dans les livres historiques de l’Ancien Testament, la réalité d’un royaume terrestre divinement conçu et réservé à la nation d’Israël est maintes fois mentionnée. Le concept d’un royaume à la fois céleste et terrestre est mentionné dans les Psaumes1 et dans Daniel. Mais la souveraineté de Dieu dans la Genèse ? Qu’en est-il exactement ?
Un principe éternel
Toute doctrine abordée dans l’A. T., quelle qu’elle soit, est mieux comprise et acceptée lorsqu’elle est considérée sur la base d’un principe biblique général. Dieu est immuable. Il ne varie pas dans sa vision des choses. L’apôtre Jacques dit qu’en lui, « il n’y a ni changement, ni ombre de variation » (Jac 1.17b). Mais selon les temps et les circonstances, l’Esprit peut éclairer une même vérité selon des angles complémentaires — sans se contredire.
Le principe unificateur du royaume (c.à.d. l’actualisation concrète du projet divin) et du règne (c.à.d. l’activité souveraine dans ce cadre-là) détermine tout le déroulement de l’histoire biblique. Il exige que le Dieu trinitaire règne, gouverne et contrôle ultimement toute l’histoire humaine pour la simple raison qu’il est Dieu2. Ce principe sert de « colle » à tous les fragments du récit biblique, garantissant une avance harmonieuse et continue en direction du but : la démonstration magistrale de la suprématie du Dieu créateur, qui mène l’humanité en modelant toutes choses selon sa volonté, même lorsqu’il laisse l’individu faire librement certains choix3. En même temps, l’Éternel manifeste sa nature sainte et son amour envers toutes ses créatures (Jean 3.16).
Et le « royaume » commence incontestablement au chapitre 1 de la Genèse.
1. Toute la création répond positivement et immédiatement aux commandements du Créateur. Le fonctionnement rationnel du monde créé met en évidence l’utilité mutuelle de ses parties ; le jeu des lois de « cause à effet » permet un bien-être général évident. Méditons un instant sur la simplicité et l’efficacité des six jours de la création en relisant Genèse 1.1 à 2.3. Mais au-delà du travail initial du Dieu souverain, l’A.T dans son ensemble nous dévoile les implications de son projet. Quelques exemples :
a. la cohérence cachée derrière la diversité des destins individuels : Pr 16.4 ;
b. l’extériorisation partielle de la sagesse et de la puissance divines : Job 28.24-27 ; Ps 24.1-2 ; És 45.18 ; Jér 27.5 ; 2 Pi 3.5 ;
c. la glorification du Créateur : Néh 9.5-6 ; Ps 19.1-7 ; 104.30-35 ;
d. le signe éclatant de la majesté divine : Ps 8.2-3,10 ; Amos 4.13 ;
e. la prééminence du dessein et de la volonté de Dieu : Ps 119.90-91 ; És 42.5-8.
2. Le premier couple (Gen 1.26-27) reçoit des responsabilités précises et claires pour l’accomplissement de missions définies :
a. l’accroissement de la race humaine (Gen 1.28) ;
b. la gestion maîtrisée du monde animal (Gen 1.26, 28) ;
c. le travail en équipe équilibrée (Gen 2.18,21-23) ;
d. le pouvoir décisionnel (Gen 2.19-20a) ;
e. le droit de questionnement au sujet des moyens d’existence les plus appropriés (Gen 2.20b) ;
f. la capacité de déduction logique (Gen 2.23) ;
g. l’autonomie des enfants devenus adultes (Gen 2.24) ;
h. la pureté (Gen 2.25).
Il me paraît symptomatique que ces huit caractéristiques soient aussi, selon la vocation particulière de chacun d’entre eux, celles des croyants en Christ, et autant de marques du règne de Dieu en eux. Être membres « fondateurs » du royaume offrait au premier couple, comme représentants-médiateurs humains, des privilèges immenses et inestimables, mettant ainsi en exergue l’intelligence, la souveraineté et la bonté du Créateur. Ils étaient des preuves vivantes de son règne, aussi longtemps qu’ils respectaient sa parole. Puissions-nous retenir que le règne actuel de Dieu dans nos vies implique aussi notre soumission à la Révélation écrite.
Le conflit
Bien que le Créateur ait eu la satisfaction de constater que tout ce qu’il avait fait au commencement était très bon (Gen 1.31), l’Écriture ne cache pas qu’il a un « adversaire » (sens étymologique du nom « Satan ») qui veut bouleverser, voire anéantir, le royaume et ses manifestations. Ce dernier a provisoirement réussi en recrutant le premier couple, dupé et séduit par un mélange meurtrier de vérité, de demi-vérité, et de mensonge (Gen 3.1-6). La transgression flagrante et délibérée de nos premiers parents a mis en péril, à première vue, la direction du règne du Dieu-Créateur-Souverain. Sur la terre, le règne divin parfaitement visible fut interrompu après la chute (Gen 3.22-24). Les résultats catastrophiques s’en font ressentir du meurtre de Caïn jusqu’à nos jours (Gen 3.7-24).
À cause de sa désobéissance, le couple chargé à l’origine de gérer les biens et les affaires du royaume a provoqué un changement dramatique quant à la forme et à l’administration de son patrimoine, une dégénérescence immédiate et continue de notre race (Gen 4.1-24). Toutefois, le royaume a subsisté, Dieu permettant que des Seth, Hénoc ou Noé reprennent le flambeau de son témoignage (Gen 4.25 ; 5.24,32 ; 6.8-10.32). Du reste, la promesse de la victoire finale de Dieu sur Satan est proclamée dès après la chute (Gen 3.15c) et toute la prophétie ultérieure ne fait que préciser et réitérer la promesse de ce triomphe à venir. Quant au N.T., il en fait le centre de son message libérateur (Col 2.15 ; Héb 2.14 ; Rom 16.20).
La reconstruction du règne à l’époque de Noé
À son arrivée à bon port, après la fin du déluge (Gen 8.15-19), Noé répond à son sauvetage par l’adoration (Gen 8.20) ; Dieu promet alors de ne plus détruire la planète, ni l’humanité (8.21), et d’établir des cycles saisonniers garants de la vie terrestre (Gen 8.22). Le texte décrit dans les grandes lignes les « conditions cadre » du règne renouvelé (Gen 9.1-7) :
1. la population humaine doit croître (Gen 9.1,7) ;
2. l’humanité doit dominer le monde animal (Gen 9.2-3) ;
3. la justice doit être la base de l’activité sociale (Gen 9.5-6) ;
4. Dieu établit avec toute l’humanité une alliance irrévocable : il n’y aura plus de déluge d’eau, l’arc-en-ciel en témoignera de manière durable (Gen 9.8,17) ;
5. le règne doit s’étendre aux générations futures et à toute la terre. C’est ce que fera, géographiquement, la postérité de Noé (Gen 9.18-19). Malheureusement, Noé va lui-même indiquer, par son inconduite et par sa réaction excessive, que le règne de Dieu n’a pas fini d’être contesté (Gen 9.20-27).
Les distorsions du projet divin
À partir du chapitre 10, la population terrestre se répartit en de petites entités familiales ou nationales, selon les décrets de Dieu. C’est l’origine du peuplement du monde actuel. Comment chacun vivait-il sa foi à cette époque ? Cela nous reste caché (peut-être que dans le dessein de Dieu, la connaissance de cette ère n’est pas nécessaire à notre progrès spirituel, cf. Deut 29.29).
Cependant, Genèse 11.1-9 (la tour de Babel) nous apprend que la société post-diluvienne, au lieu de garder en mémoire l’histoire de Noé, se corrompt au point que les hommes coalisés rêvent d’accaparer orgueilleusement le contrôle et la domination suprême du monde. Aujourd’hui, cette ambition s’appelle « la mondialisation ». Tout devrait être organisé et intégré autour d’un pouvoir central exercé selon la philosophie du vieil humanisme prêché par le serpent : tout par et pour l’homme, sans la reconnaissance du Dieu créateur et de sa souveraineté. Le texte biblique explicite le désaccord de Dieu à propos de cette humanité rassemblée dans sa quête d’unité impie (11.4) et nous donne à comprendre pourquoi il doit intervenir d’une manière dramatique en confondant son langage et en disséminant les hommes sur toute la surface de la terre (11.9). Cette dispersion des hommes pourrait sembler totalement incompatible avec l’établissement d’un règne bénéfique et universel de Dieu, mais c’est sans compter avec les desseins de salut que celui-ci n’avait pas encore mis en œuvre.
Le changement de direction et de forme du règne
Genèse 11.10-32 démontre que Dieu procède souvent par étapes longues, mais sûres et parfaitement ordonnées. La nouvelle orientation du règne apparaît soudainement et de manière surprenante. L’Éternel « concentre » l’expression essentielle de son règne dans le destin d’un seul homme, Abram, un sémite idolâtre avant sa conversion (cf. Jos 24.2,14-15 ; Act 7.2). Genèse 12.1-2 témoigne de ce choix divin et de cet appel (voir aussi 18.17-19 ; Héb 11.8-19 ; Néh 9.7). Longtemps après sa conversion, Abram âgé de 99 ans recevra le nom prophétique d’Abraham : père d’une multitude (de nations). Malgré l’histoire particulière d’Abraham et de sa descendance, n’oublions pas que cette dimension restreinte du règne de Dieu n’abolit pas la persistance de sa gouvernance universelle et de son autorité sur toute l’humanité, sur toutes les nations4. Bien que les affaires du monde du XXIe siècle semblent contredire la souveraineté du Créateur, rappelons-nous qu’il œuvre derrière la scène5. Nous en aurons bientôt la confirmation, lorsque le Seigneur Jésus-Christ établira son règne sur la terre6. Gardons confiance en l’Éternel qui sait ce qu’il permet (Héb 11.6).
L’expression particulière et visible du royaume centré sur la nation d’Israël occupe le reste de l’A.T. ; ce dernier nous en décrit l’importance (Gen 12.1-3), la durée (Gen 17.7-8), les « citoyens » (Gen 15.4-6), les lois (Ex 32.15-16 ; Jos 23.6 ; 1 Rois 2.3), la nature d’entité sainte et unique (2 Chr 20.7 ; Ex 19.5 ; Deut 14.2 ; És 43.1). Et les divers aspects de ce royaume sont trop nombreux pour être tous cités dans un court article, ne serait-ce qu’en se limitant au reste de la Genèse7.
Aux pieds du « chef d’orchestre »
Il est fascinant de lire l’A.T. du point de vue du Dieu créateur et souverain qui établit sa direction, donc son royaume et son règne, dès le premier chapitre de la Genèse, puis de suivre ce développement à travers le reste du livre. La domination de Dieu est évidente partout, parfois avec éclat (Gen 39.1-6), parfois dans des événements insignifiants en apparence. Songeons par exemple aux conséquences capitales du simple réveil de la mémoire défaillante d’un païen (Gen 40.23 ; 41.8-16,37-44).
Lisons ce livre d’introduction de toute la Bible pour y observer Dieu actif en tout, soit d’une manière découverte, soit d’une manière quasi cachée. Contempler le Créateur et Souverain tel qu’il est soulève l’âme et l’esprit d’adoration, car le but de la lecture biblique est de « voir et entendre » Dieu assis sur son trône, puis en action chez lui sur la terre.
« Ouvre mes yeux, pour que je contemple les merveilles de ta loi ! » (Ps 119.18) : que ce soit notre prière, afin d’aborder le texte sacré avec les yeux du Père et du Fils, sous l’éclairage du Saint-Esprit.
1 Le Psaume 93, par exemple est explicite : « L’Éternel règne, il est revêtu de majesté, l’Éternel est revêtu, il a pris la force pour ceinture, aussi le monde est ferme, il ne chancelle pas. Ton trône est établi dès les temps anciens ; tu existes de toute éternité… »
2 Ps 72.11,17 ; 82.8 ; 86.9-10 ; 113.4 ; Apoc 15.4.
3 És 55.1,6-7 ; Jér 26.3 ; Éz 18.21-23 ; Mat 11.28 ; 23.37 ; Act 2.21.
4 Deut 10.14 ; 2 Rois 19.15 ; 2 Chr 20.6 ; Ps 22.27-29.
5 Job 12.10 ; Ps 47.8-9 ; 103.19 ; Dan 4.35 ; Act 17.24-28.
6 Luc 11.2 ; Marc 14.25 ; Act 28.23,31 ; Apoc 11.15.
7 Références complémentaires dans les Prophètes à propos de la réalité du royaume / règne futur : És 2.1-5 ; 4.2-6 ; Jér 3.17-20 ; Éz ch.40-48 ; Dan 7.9-10,22,27 ; Osée 3.4-5 ; Joël 2.26-32 ; Amos 9.11-15 ; Mich 5.2 ; Soph 11-13,14-20 ; Agg 2.20-23 ; Zach 9.9-10 ; 12 ; 13.1,8-9 ; 14.9-11.