Dossier: Ésaïe, l'évangile de l'Ancien Testament
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Le livre d’Emmanuel : Ésaïe 7 à 12

Vue générale des chapitres 7 à 12

Trois principales sections se détachent dans ces six chapitres :

– 1. de 7.1 à 9.7 : Emmanuel ;

– 2. de 9.8 à la fin du ch.10 : l’Assyrie, instrument de la colère divine ;

– 3. ch. 11 et 12 : le règne du Messie.

1. Emmanuel (7.1-9.7)

Le chapitre 7 s’ouvre par un des rares passages narratifs du livre d’Ésaïe. À la période prospère du règne d’Ozias ont succédé des jours difficiles pour le petit royaume de Juda, assailli par ses voisins : 2 Chroniques 28 montre qu’une première campagne contre les Syriens et le roi d’Israël (le royaume du nord, dont la capitale est Samarie) s’est soldée par une cuisante défaite. Ces deux royaumes coalisés comptent donner le coup fatal à Juda et installer au pouvoir un de leurs affidés (le fils de Tabéel).

Tandis que le roi Achaz inspecte l’approvisionnement en eau de Jérusalem, en prévision d’un siège, Ésaïe lui apporte un message de la part de Dieu :

– D’abord un encouragement : les deux voisins hostiles n’accompliront pas leur projet, ils ne sont que deux tisons fumants et près de s’éteindre (7.4). En effet, quelques années plus tard, l’intervention assyrienne a anéanti le royaume de Damas et écrasé Samarie (2 Rois 15.29;16.9).

– Ensuite une exhortation à faire confiance à Dieu. Et pour ranimer la foi d’Achaz, un signe lui est proposé. Mais Achaz, que la Bible nous décrit par ailleurs comme un roi impie et idolâtre, feignant la piété, refuse l’offre divine. Peut-être avait-il déjà pris la décision de faire appel à l’Assyrie, au lieu de se confier en Dieu.

La réponse du prophète est en deux parties : Dieu lui-même donnera un signe, celui d’Emmanuel, mais enverra aussi un fléau inédit, l’invasion assyrienne. L’expédient choisi par Achaz face à la menace immédiate d’Israël et de la Syrie allait se retourner contre lui et son royaume, comme un tsunami qui emporte tout sur son passage (8.7-8).

On voit dans cette prophétie d’Emmanuel, comme très souvent dans ce livre, une continuité entre le futur immédiat et l’horizon messianique : le prophète glisse de l’un à l’autre au cours d’un même passage, dans une perspective divine qui dépasse notre vision du temps.

En effet, le signe d’Emmanuel n’est pas facile à comprendre : certes, son accomplissement principal — c’est-à-dire la venue du Messie — est clairement expliqué à la fois par le chapitre 9 (« un enfant nous est né… ») et par la citation de Matthieu 1 qui insiste sur la naissance virginale de Jésus-Christ. Mais les v. 15 et 16 indiquent tout aussi clairement un accomplissement à très court terme, dans les années qui ont suivi le message à Achaz. L’explication la plus convaincante est de voir en Maher-Schalal-Chasch-Baz le premier Emmanuel : un enfant né de celle qu’Ésaïe allait épouser en secondes noces (« la prophétesse », 8.3) et qui était encore jeune fille au moment où Ésaïe a prononcé cet oracle devant Achaz.

Plusieurs éléments plaident en faveur de cette explication : d’abord le parallèle évident entre les v. 14 à 16 du ch. 7 et les v. 3 et 4 du ch. 8. Ensuite des témoins sont présents pour attester du mariage du prophète tout autant que de l’inscription « Maher-Schalal-Chasch-Baz » sur une grande plaque, qui pouvait être lisible de tous. Enfin, si l’enfant du ch. 8 porte un nom différent d’Emmanuel, on peut remarquer que notre Seigneur lui-même n’a jamais été appelé Emmanuel : « Tu lui donneras le nom de Jésus » dit l’ange à Joseph en Matthieu 1.21, dans le passage même qui cite Ésaïe 7.

Ainsi, le signe d’Emmanuel a été pour Achaz et les contemporains d’Ésaïe cet enfant dont le nom surprenant (qui signifie litt. « vite au butin, en hâte au pillage ») avait été inscrit avant sa naissance sur un grand panneau à la vue de tous.

Il en sera de même des siècles plus tard, lors de la naissance miraculeuse de cet autre enfant, né de femme mais conçu du Saint-Esprit, annoncé en même temps par Ésaïe (9.6). Qui d’autre que Christ pouvait porter les noms de « Dieu puissant » et « Père éternel » ?

Inséré dans le message prophétique d’Emmanuel, les v. 11 à 20 du ch. 8 sont un message personnel à Ésaïe, qui, avec ses enfants et ceux qui craignent l’Éternel (les « disciples », 8.16), se démarquent de leurs concitoyens.

2. L’Assyrie, instrument de la colère divine (9.8-10.34)

Après la vision de la venue du Messie, la Parole divine revient à la situation présente dans quatre strophes adressées au royaume de Samarie qui font écho aux six malheurs prononcés sur Juda au ch. 5. Ce peuple persiste dans son orgueil inconscient malgré un premier jugement de Dieu ; il est tout entier aveugle et perverti, dévoré par le feu de la discorde et rempli d’injustice envers les petits. « Pour tout cela, sa colère ne s’est pas détournée, et sa main est encore étendue. » (9.12,17,21 ; 10.4, Darby)

L’instrument de cette colère divine, l’Assyrie, est aussitôt présenté, mais sera châtié à son tour en raison de son arrogance (10.5-34).

3. Le règne du Messie (11.1-12.6)

Le ch. 11 s’ouvre alors sur celui qui est « la racine et la postérité de David » (Apoc 22.16, Darby). Tout différent des hommes orgueilleux dont l’ambition a causé la ruine du peuple, le prophète le rattache à Isaï, et non pas à David, comme pour souligner son humble origine et ôter toute prétention à la maison de David qui, en la personne d’Achaz, a montré son infidélité.

Le règne du Messie est décrit sur une terre où toute violence a disparu, dans un tableau évoqué de nouveau au ch. 65 : celui de la nouvelle création, toute entière pleine de la connaissance de l’Éternel.

Israël à nouveau rassemblé, comme Israël délivré de l’Égypte, entonne alors le cantique du ch. 12 : « Jah, Jéhovah est ma force et mon cantique, il a été mon salut. » (12.2, Darby) Ce cantique d’Israël racheté, qui rappelle celui chanté autrefois sur le rivage de la mer Rouge, est la conclusion et le point d’orgue de la première partie du livre où ont été abordés, en une majestueuse introduction, les thèmes principaux de la prophétie d’Ésaïe.

Foi et courte vue

Le récit du ch. 7 est d’abord une épreuve de foi. Dans la situation critique qu’il vivait, il était naturel pour Achaz de mobiliser toutes les ressources à sa disposition, et d’user d’un moyen qui pouvait paraître imparable : faire appel à la grande puissance de l’époque, l’Assyrie, devant laquelle ses ennemis du moment ne pourraient résister.

À tout problème on est tenté de trouver une solution humaine, en reléguant Dieu au second plan : pourvu qu’il fasse réussir le moyen que j’ai trouvé et que la sagesse humaine préconise ! Mais nos solutions ne sont pas toujours celles de Dieu. Le choix de faire confiance à Dieu, de donner plus de crédit à Celui qui est invisible qu’aux éléments tangibles qui nous entourent, n’est jamais un choix facile : c’est pourtant la seule manière de « subsister » (7.9).

Dans l’histoire d’Achaz, le choix de l’Assyrie, s’il a semblé judicieux à première vue, s’est avéré lourd de conséquences. Se tourner vers le monde, et faire appel aux ressources qu’il propose, c’est s’exposer à être submergé par lui. David, qui contrairement à Achaz était un homme de foi, s’est aussi laissé prendre à ce piège : pour échapper à Saül, il est allé se réfugier chez les Philistins en faisant croire qu’il était des leurs ; puis, de compromission en dissimulation, il s’est retrouvé entraîné dans la guerre, près de combattre contre son propre peuple (1 Sam 27-30).

Ce récit nous montre aussi une décision prise sous la pression des événements. L’urgence nous fait souvent croire qu’une action doit être entreprise au plus vite, parce que le temps est contre nous ; peut-être jugeons-nous aussi avec légèreté qu’il sera toujours temps de « corriger le tir », si notre choix initial n’est pas bon. Mais le temps de Dieu n’est pas toujours le nôtre.

Le contraste est instructif entre d’un côté Achaz et la majorité des hommes de Juda, agités comme les arbres par le vent, paniqués par les rumeurs d’un complot imminent (8.12), et de l’autre ceux qui s’attendent à Dieu comme Ésaïe. « Je m’attendrai à l’Éternel, … je l’attendrai » (8.17, Darby), ou « Je me confierai en lui », comme est cité ce verset dans Hébreux 2.13. Cette même Épître, en plusieurs endroits, nous montre le lien étroit entre patience et confiance (Héb 6.12,15 ; 11.13,39). La confiance en Dieu nous permet d’échapper à la pression de l’immédiat, en sachant que notre Dieu, lui, a notre avenir en ses mains.

Crainte de Dieu

Ce ne sont pas les événements menaçants, réels ou imaginaires, l’actualité brûlante, que les croyants doivent redouter. Bien plutôt, c’est notre Dieu que nous devons craindre, comme lui même l’enjoint à Ésaïe « avec toute la force de son autorité » (8.11, Seg21). Le « sanctifier » (8.13) — c’est-à-dire lui donner, dans notre vie et dans notre cœur, la place qui lui revient — est la seule source de sérénité pour ceux qui lui appartiennent. On raconte que John Wesley, embarqué pour l’Amérique, s’est converti en voyant le calme inébranlable de frères moraves rassemblés pour rendre culte alors que leur navire était pris dans une effroyable tempête.

L’apôtre Pierre cite ce passage, en montrant que les croyants, même soumis à l’hostilité de ceux qui les entourent, ne doivent pas davantage craindre les hommes, mais désarmer leur méchanceté par une conduite irréprochable (1 Pi 3.13-16).

Craindre Dieu, ce n’est pas avoir peur de lui ; c’est le respecter et avoir conscience de sa grandeur et de sa sainteté. Bien loin d’être une simple affirmation abstraite, le craindre nous amène à diriger notre vie en fonction de ce qui lui plaît. Nous sommes alors assurés de trouver auprès de lui refuge et sécurité, comme dans un sanctuaire (8.14), avec la conviction qu’il tient notre destin dans ses mains, et qu’il est avec nous en toute circonstance.

Emmanuel

Le sens de ce nom d’Emmanuel, « Dieu avec nous », répété trois fois dans les chapitres 7 et 8, condense d’une certaine manière toute la révélation biblique : celle du Dieu Tout-Puissant, par nature en dehors et au delà de toute création, qui resterait éternellement lointain et inaccessible à l’homme, s’il ne s’intéressait à lui. Un Dieu qui s’approche de l’homme, qui intervient activement en sa faveur et qui veut se faire connaître à lui.

Cette proximité voulue par l’Éternel, et vécue par de nombreux croyants de l’A.T., est devenue totale par l’incarnation. Jésus, Dieu fait homme, est véritablement « Dieu avec nous » : plus encore qu’une expérience vécue par ceux qui l’invoquent, c’est une personne, venue comme un enfant, que Dieu nous a donnée. Un homme parmi les hommes, qui a vécu ce que nous vivons, pour partager jusqu’à la mort notre humanité.

Mais si, pour ceux qui croient, Emmanuel (comme Maher-Schalal-Chasch-Baz) est l’assurance d’être délivrés, pour ceux qui n’ont pas placé leur confiance en l’Éternel, il est « une pierre d’achoppement, un rocher de scandale… un filet et un piège » (8.14).

Le signe d’Emmanuel introduit ainsi une alternative dans la bouche d’Ésaïe. Ne pas se confier en Dieu, ce n’est pas seulement se priver de la bénédiction d’Emmanuel, c’est être condamné à l’échec et à l’obscurité. Il est frappant de voir comme notre société occidentale qui a laissé de côté toute idée de Dieu, est envahie de pratiques occultes, exactement telles que les décrit Ésaïe. La révélation divine ne peut venir que de la parole inspirée (8.19-20), la lumière ne peut briller qu’en Jésus-Christ (8.21-9.7).

L’affirmation « Dieu est avec nous » n’est pas non plus un blanc-seing à des hommes incrédules, et le prophète s’attache à ce que nul ne la prenne avec légèreté.

Maher-Schalal-Chasch-Baz a annoncé à la fois la délivrance et la dévastation, la destruction des ennemis de Jérusalem et l’invasion assyrienne. Schear-Jaschub, le nom du premier fils d’Ésaïe, montre lui aussi clairement ces deux côtés du message prophétique : « un reste reviendra » est une promesse, celle d’un vrai retour à Dieu, mais aussi une menace, celle d’être consumé par la colère du Dieu saint, comme le montre 10.22 : « un reste seulement reviendra ».

On ne peut invoquer la protection de Dieu tout en rejetant son autorité et en méprisant ses exigences. Les soldats d’Hitler aussi avaient, gravé sur leur ceinture, ces mêmes mots : « Gott mit uns » (« Dieu avec nous ») ! Mais Dieu n’est jamais l’otage de ce qu’il a promis. Il est également bon et fidèle à ses promesses, juste et sévère envers le mal : « Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu… » (Rom 11.22)

Cependant, pour ceux qui le craignent, cette sévérité n’est pas une source de terreur : elle leur fait mesurer, en Jésus, la grandeur de son amour qui attire ceux qui reviennent à lui, et chantent alors avec son peuple : « Je te loue, ô Éternel ! Car tu as été irrité contre moi, ta colère s’est détournée, et tu m’as consolé. » (12.1)

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Koechlin Samuel
Samuel Koechlin a 39 ans et vit à Angoulême en France. Il est marié et père de trois enfants et s’implique dans l’enseignement biblique.