Le rôle de la famille dans le Christianisme (1)
ETHIQUE PRATIQUE
1re partie
A. Introduction
Tout d’abord, quelques remarques préliminaires nécessaires avant d’entrer au cour du sujet; ces remarques concernent le deuxième terme de notre titre : Le rôle de la famille dans le christianisme.
Qu’entendons-nous par «christianisme » ? Il s’agit de bien distinguer entre ce qu’on peut appeler le «christianisme historique» et une version travestie qui s’est manifestée dès le début de l’Eglise. Je vais donc parler de la véritable Foi Chrétienne, non de son travesti, de son apostasie.
Comment distinguer l’original de la version travestie ? Nous donnerons ici quatre réponses.
Réponse 1
Il faut examiner l’attitude du croyant face à la Bible. La Bible – le Tanak juif (l’Ancien Testament) et le Témoignage Apostolique (le Nouveau Testament) – est-elle la Parole inspirée de Dieu, et en tant que telle, l’autorité finale pour l’enseignement de la Foi Chrétienne? Ou la Bible juive et chrétienne n’est-elle qu’une parole humaine, certes utile et qui nous inspire, mais forcément faillible, comme toute entreprise humaine, et en aucun cas normative pour tous les hommes, en tous lieux et en tout temps? La question de l’autorité finale est au coeur de toute foi religieuse. Cette autorité n’est-elle qu’humaine, comme dans la version «moderne» frauduleuse de la Foi Chrétienne? Est-elle uniquement rationnelle, scientifique, expérimentale, bref «critique» à l’égard de la révélation divine? Ou l’autorité du Tanak et du Témoignage Apostolique est-elle pleinement divine, comme l’affirme la Foi Chrétienne Historique pour laquelle l’autorité finale est inscrite dans la texture verbale même des Saintes Écritures? Ainsi, dans la perspective de la Foi Chrétienne Historique, le critère absolu pour définir le rôle de la famille sera l’enseignement de la Bible, tel qu’on le trouve dans le Tanak et dans le Témoignage Apostolique. Cette vérité normative ne peut se trouver ni dans l’expérience indépendante de l’Église ni dans l’expérience autonome de l’homme, elle ne se rencontre ni dans les leçons de l’histoire ni dans la sociologie. Je m’empresse d’ajouter ici qu’il n’est absolument pas question de négliger toute information utile que l’on peut, à la lumière de l’Écriture Sainte, glaner dans ces différents domaines de la recherche humaine.
Réponse 2
La Foi Chrétienne a un caractère historique. Je veux dire par cela que, dès le début de l’histoire, la confrontation entre la Foi Chrétienne Historique et les erreurs qui n’ont cessé de l’attaquer, ont conduit à une meilleure compréhension tant de ses croyances fondamentales que des erreurs qui ont constamment cherché à la détruire. La Foi Chrétienne Historique confesse donc d’une seule voix la confession de foi fondamentale de l’Église primitive: le Symbole des Apôtres, la Confession de Nicée, les définitions du Concile de Chalcédoine, qui sont toutes restées fidèles à leur fondement scriptural. Dans notre entreprise de définition du rôle assigné à la famille par le christianisme, nous tiendrons compte de cette accumulation à travers l’histoire de sagesse doctrinale soigneusement formulée. Les attaques dirigées contre la famille, par exemple, celles d’hier comme celles d’aujourd’hui, nous ont permis de mieux comprendre la nature, le caractère et la fonction de la famille.
Réponse 3
La Foi Chrétienne Historique tient à une épistémologie réaliste. Ce qui veut dire que le contenu intellectuel de la Foi peut être déterminé par la formulation de concepts soigneusement définis. Donc, si ces concepts sont vrais dogmatiquement, les affirmations de leurs contraires sont nécessairement fausses. En ce qui concerne la famille, il est donc possible, du point de vue de la Foi Chrétienne Historique, non seulement de définir avec précision l’origine, le caractère, le rôle, les obligations et la finalité religieuse de la famille, mais il est aussi possible de réfuter les déformations qui l’ont attaquée à travers les siècles et qui aujourd’hui cherchent désespérément à la détruire.
Réponse 4
La Foi Chrétienne Historique n’est pas simplement une doctrine, une théorie, mais la vie, une façon de vivre, une obéissance éthique, sociale et personnelle, reçue comme un cadeau de Dieu. Elle cherche donc à se conformer à la volonté révélée de Dieu, à sa Loi, contenue dans l’Écriture entière, le Tanak et le Témoignage Apostolique. Ceci veut dire que dans le contexte de la Foi Chrétienne Historique, le rôle de la famille doit être représenté dans l’histoire et qu’il doit faire preuve de sa vérité en se manifestant concrètement dans la vie de tous les jours de la société. Il est clair que la restauration des structures créationnelles et des fonctions de la famille passeront par la destruction de leurs imitations et contrefaçons qui réapparaissent régulièrement au cours de l’histoire.
Ces quelques remarques préliminaires étant faites, nous allons pouvoir aborder notre thème: Le rôle de la famille dans le christianisme. Le rôle que la Foi Chrétienne Historique assigne à la famille ne peut être correctement appréhendé sans une bonne compréhension de son origine et de son caractère, de ses obligations et de sa finalité. Voyons brièvement chacun de ces aspects.
B. L’origine de la famille 2
L’Écriture, le Tanak et le Témoignage Apostolique, nous dit que la famille, comme l’homme lui-même, la terre et la mer et tout ce qu’elles contiennent, est une créature, c’est-à-dire une forme sociale créée directement par Dieu, et que ses membres – chacun d’entre nous, sans exception – sont en fin de compte redevables à Dieu de la façon dont ils traitent cette institution. La famille a donc le caractère d’une forme substantielle permanente (comme les espèces biologiques ou les éléments chimiques) et par conséquent, comme pour toutes les formes créées, elle ne pourra jamais être détruite par l’homme. Et nous pouvons en tirer les conclusions suivantes : la famille créée est constitutive de la race humaine et, même si elle est aujourd’hui durement attaquée, elle ne peut disparaître; tout être humain, de par sa nature même, appartient à la famille ; tous les humains, sans tenir compte de leurs croyances religieuses (ou irréligieuses) ne peuvent pas plus échapper à ce cadre divinement établi qu’ils ne peuvent s’arrêter de respirer, ou refuser d’utiliser leur système digestif, ou encore se passer de leur circulation sanguine. Cette permanence de la famille à laquelle on ne peut échapper est la raison de notre rencontre ici à Genève (en des temps plus anciens, une citadelle exemplaire de la Foi Chrétienne Historique), car ce qui nous a rassemblés aujourd’hui, c’est notre conviction commune de la nature fondationnelle de la famille, famille qui, en tant qu’institution créationnelle, nous inclut tous dans la perspective de son autorité. Ce qui nous console dans la bataille que nous livrons tous pour la défense de la famille créée, c’est son caractère indestructible, aussi indestructible que l’ordre universel luimême. Comme ils sont vains et futiles, les efforts de ceux qui cherchent à la détruire! La nature même que Dieu leur a donnée les force, de génération en génération, à ré-établir la famille. Nous ferons bien de commencer nos considérations sur le rôle de la famille dans le christianisme par l’écoute tout d’abord du témoignage de la Torah, telle qu’il est consigné dans le livre de la Genèse, puis par l’écoute du témoignage du Messie Luimême, tel qu’il est rapporté par le témoignage apostolique de Marc sur l’origine divine et le caractère créationnel de la famille.
L’Eternel Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul; je lui ferai une aide qui sera son vis-à-vis.[…] Et l’homme dit: Cette fois c’est l’os de mes os, la chair de ma chair. C’est elle qu’on appellera femme, car elle a été prise de l’homme. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair. (Gen 2.18; et 23-24).
Dieu créa l’homme à son image: il le créa à l’image de Dieu, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui rampe sur la terre. (Gen 1.27-28).
Voilà pour la Torah, voyons maintenant le Témoignage Apostolique:
Les Pharisiens l’abordèrent et, pour l’éprouver, lui demandèrent s’il est permis à un homme de répudier sa femme. Il leur répondit : Que vous a commandé Moïse ? Moïse, dirent-ils, a permis d’écrire un acte de divorce et de répudier (sa femme). Et Jésus leur dit : C’est à cause de la dureté de votre cour que Moïse a écrit pour vous ce commandement. Mais au commencement de la création, Dieu fit l’homme et la femme; c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux (époux) deviendront une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni. (Marc 10.2-9)3.
Nous voyons donc que la Torah et le Témoignage Apostolique, tant Moïse que Jésus-Christ, témoignent de la divine origine de la famille créationnelle, de son unité fondamentale, de sa permanence et de son caractère strictement exclusif et monogame. Car la famille, création de Dieu, est une forme substantielle bien réelle, «une seule chair», qu’«aucun» homme (y compris bien sûr le Population Council de New York et les lobbies homosexuels du monde entier!) ne doit s’aviser de «séparer», c’est-à-dire de détruire. Les deux aspects de la famille ressortent du texte de la Genèse:
a. la communion et l’aide mutuelle entre mari et femme, si merveilleusement et si délicatement décrites dans le Cantique des Cantiques, dans le dernier chapitre des Proverbes et au chapitre cinq de l’Epître de Paul aux Ephésiens ;
b. la consommation naturelle du mariage dans la procréation de nombreux enfants, la fécondité étant toujours considérée dans la Bible comme une bénédiction divine 4. Les écrits du Témoignage Apostolique, le Nouveau Testament, font abondamment écho à ces enseignements du Tanak.
C. Le caractère (ou structure) de la famille
L’idée que l’on se fait aujourd’hui du modèle de la famille, c’est à dire la famille occidentale moderne constituée par l’union temporelle de deux partenaires fonctionnellement interchangeables, accompagnés de un, ou tout au plus, de deux enfants dont la conception a été explicitement désirée et «planifiée», est une idée très éloignée de la vérité. La famille biblique chrétienne a un caractère bien différent. Elle est surtout une institution hautement complexe et organisée. Par certains aspects, on peut dire qu’elle est monarchique, par d’autres, aristocratique, et par certains côtés on peut même considérer qu’elle a un caractère démocratique.
Elle est tout d’abord monarchique. Mari et femme sont tous deux créés à l’image de Dieu. A cause de la chute, ils sont tous deux également pécheurs et les objets du jugement de Dieu comme de sa grâce. A cet égard, il n’y a pas de différence spirituelle fondamentale entre homme et femme 5, ce qui n’exclut pas qu’il y ait une hiérarchie dans la structure de la famille. L’institution de la famille est en fait strictement monarchique dans le sens que le mari, loin d’être «l’égal» mathématique de son épouse, est assurément son supérieur institutionnel. Tant le Tanak que le Témoignage Apostolique sont clairs sur ce point : l’homme est légalement le chef de la femme. L’explication de cette hiérarchie conjugale est de nature fondamentalement religieuse: le Tanak et le Témoignage Apostolique nous enseignent tous les deux que la relation entre le mari et sa femme constitue une image de la relation entre Dieu et sa création, entre le Seigneur Dieu et son peuple, Israël, et entre Jésus- Christ – la seconde personne de la Trinité – et son peuple de la nouvelle alliance, l’Église Chrétienne. Cette dernière est constituée d’hommes et de femmes de toutes nations, qui, par leur foi en leur Messie, sont devenus héritiers des promesses faites à Abraham. Le rétablissement de la structure biblique de la famille doit donc s’accompagner d’un rejet total de l’égalitarisme pseudo-mathématique professé par la société contemporaine, en particulier en ce qui concerne la relation entre mari et femme. Il nous faut absolument revenir à la structure hiérarchique de la famille biblique. Mais comme il ressort clairement de l’enseignement tout entier de la Bible, cette hiérarchie structurelle et institutionnelle ne tolère en aucun cas la domination tyrannique du mari sur sa femme. Elle ne tolère pas non plus la domination féministe de l’homme par la femme, telle qu’on la connaît aujourd’hui dans nos sociétés occidentales. Mais ce qui est encore pire, c’est une famille (ou une société) menée par les caprices des enfants 6 Ce dont il est question ici, c’est de la structure de ces institutions – dans ce cas, la famille -. Il ne s’agit pas de l’infériorité ou de la supériorité intrinsèque de différents êtres humains. La lecture du dernier chapitre du livre des Proverbes et un examen attentif du rôle vital joué par les femmes dans le ministère de Jésus-Christ et dans celui de l’Apôtre Paul devraient amplement suffire à nous éclairer ce point.
Mais la famille biblique est également structurée de manière hiérarchique, aristocratique. Si le père est, comme nous l’avons vu, le Roi de la famille, son épouse en est la Reine. C’est la raison pour laquelle en Occident la cérémonie du mariage chrétien a été pendant si longtemps célébrée comme un couronnement (jusqu’aux temps de Breughel l’Ancien au XVIe siècle). C’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui dans la tradition orthodoxe. Ensemble, mari et femme forment le gouvernement de la famille. La famille chrétienne n’est donc pas gouvernée par la seule autorité monolithique (moniste) du Père et Mari, mais par une sorte de système de gouvernement à deux chambres. L’autorité de l’épouse fait contrepoids à celle du mari, mais elle reste subordonnée à l’autorité du mari. C’est pour cela que le Témoignage Apostolique parle du péché originel non pas comme du péché d’Eve, mais comme du péché d’Adam, parce que, en tant qu’époux, c’était lui qui en dernier lieu, était responsable envers Dieu de tout ce qui se passait sous son autorité. La raison théologique de cette forme de double gouvernement – une garantie contre l’absolutisme arbitraire masculin – se trouve dans le fait que si d’une part l’homme est personnellement créé à l’image de Dieu, d’autre part, la famille est créée à l’image de la famille céleste, la Trinité, Père, Fils et Saint Esprit, trois Personnes divines, Dieu 7.
Enfin, dans la perspective chrétienne, la famille a, jusqu’à un certain point, un caractère démocratique. Non pas que dans la famille ce soit la majorité des votes qui établisse la loi ou la vérité, comme c’est le cas partout aujourd’hui en Occident, où est pratiquée une forme pervertie de la démocratie qui en fait n’est rien d’autre qu’une divinisation de l’Homme et du Nombre. Mais dans les familles chrétiennes (famille au sens large), tous les membres, enfants et parents, domestiques et employés 8 – étant tous créés à l’image de Dieu – ont droit, selon leur âge et leur condition, à s’exprimer quant aux affaires de la famille. Ceci naturellement sous la direction des parents et de l’autorité finale du père. Là aussi nous observons les effets bénéfiques du modèle divin de la famille, la Trinité. Car dans la structure de la famille biblique, ces deux éléments aussi ressortent: ceux de l’unité et de la diversité. L’apport des enfants à la gestion de la famille ira en grandissant avec l’âge jusqu’au moment où l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme; et ils deviendront une seule chair. Ils établiront donc une nouvelle famille sur le modèle de base qu’ils ont reçu de leurs parents. Cette nouvelle branche de la famille, en se détachant du tronc patriarcal, s’ouvre à l’innovation. Et son attachement au modèle de base lui assure la continuité. Cette structuration complexe et cette diversité au sein du modèle biblique de la famille produisent une institution extraordinairement dynamique et flexible, capable d’agir en commun (les ordres doivent être suivis!) et dotée de la force nécessaire pour résister aux prétentions totalitaires des institutions plus larges de la société, qu’elles soient de nature politique ou religieuse.
J.-M.B.
N.D.L.R.: Nous terminerons cet exposé dans le numéro suivant de PROMESSES.
Notes
* Ce texte et celui qui suivra dans le prochain numéro constituent un chapitre dans le livre de Jean-Marc Berthoud à paraître prochainement aux Editions de l’Age d’Homme sous le titre «Foi chrétienne et politique»
1 Etude lue à l’occasion du Deuxième Congrès Mondial des Familles à Genève, du 14 au 17 novembre 1999.(N.d.l.r.: nous avons légérement écourté la partie A. de l’Introduction avec l’autorisation de l’auteur). Pour un exposé plus complet des thèses développées ici, voyez le livre de Jean-Marc Berthoud, L’Ecole et la famille contre l’utopie (L’Age d’Homme, Lausanne, 1997) en particulier sa première partie, qui traite spécifiquement de la famille.
2 Sur le thème du fondement biblique de la famille, je vous recommande la lecture de deux brillantes dissertations, très détaillées, sur l’application concrète des Dix Commandements: Pierre Viret, L’Instruction Chrétienne en la Loi et l’Evangile, qui pour la première fois depuis 1564 va bientôt être publié à nouveau en cinq volumes aux Editions de l’Age d’Homme, à Lausanne, et: Rousas John Rushdoony, The Institutes of Biblical Law, Vol. I, Presbyterian and Reformed, Philadelphia, 1973, Vol. II, Law and Society, 1982 and Vol. III, The Intent of the Law, 1999, tous deux publiés par Ross House Books (P.O. Box 67, Vallecito, California 95251).
3 Voir aussi les versets suivants: Mat 19.3-9, I Cor 6.16; Eph 6.31.
4 Voir entre autres les Psaumes 127 et 128.
5 Cette «égalité» spirituelle s’applique aussi à d’autres catégories sociales. Elle n’abolit pas les distinctions et hiérarchies créationnelles et sociales telles que celles que cite l’apôtre Paul entre hommes libres et esclaves, Grecs et Juifs, Chinois et Africains, soldats et officiers, enfants et parents, etc. Voir Gal 3.28 et Col 3.11.
6 Sur ce sujet vital, voyez l’enseignement du prophète Esaïe et notre étude: «L’Humanisme: la confiance en l’homme, ruine des nations. Ésaïe chapitre 3», dans Résister et Construire, No 41-42 1998 (Case postale 468, 1001 Lausanne, Suisse).
7 Voyez entre autres, Eph 3.14-15
8 Dans la société biblique, et en d’autres temps de l’histoire de la chrétienté, les esclaves étaient inclus dans la famille élargie, ou ménage.