Une écharde dans la chair – «Ma grâce te suffit»
Invoque-moi au jour de la détresse, je te délivrerai et tu me glorifieras (Ps 50.15).
Déchargez-vous sur Lui de tous vos soucis, car Lui-même prend soin de vous (1 Pi 5.7).
Il m’a été mis une écharde dans la chair. Trois fois j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi, et Il m’a dit: «Ma grâce te suffit». Car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse (2 Cor 12.7-9).
Nous sommes souvent désemparés par le paradoxe qui apparaît dans certaines déclarations de la Parole de Dieu. Celles-ci nous exhortent à nous décharger sur le Seigneur de tous nos soucis, avec ces promesses: Lui-même prend soin de nous – ou Invoque-moi au jour de la détresse, je te délivrerai et tu me glorifieras, alors que tant de prières restent inexaucées. L’on découvre alors, au fil des ans, que le Seigneur avait quelque chose de meilleur en réserve pour nous : Sa grâce pleinement suffisante, grâce qui nous aide à accepter notre faiblesse, notre incapacité totale, bien souvent sans en comprendre la raison, mais comme une circonstance que Lui permet, et au travers de laquelle Il veut manifester Sa puissance et nous apprendre à dépendre de Lui pour tout.
Il me faudra vivre des miracles de Sa grâce. Le plus grand de tous fut, tout d’abord, celui vécu le 31 janvier 1937, où le Seigneur fit irruption dans ma vie et répondit à ma détresse.
C’était un dimanche. Faisant partie d’une famille chrétienne très pauvre de sept enfants, je me trouve absolument seul dans la vieille ferme vétuste à O., car tous sont invités ailleurs pour la journée. Privilège rarissime, car en temps ordinaire le vacarme rendait difficile un recueillement personnel dans la maison. Cette journée sera mémorable. Le Saint-Esprit me travaille dès le matin. Je suis convaincu de péché et me sens perdu. Je lis la Bible à plusieurs reprises et prie à tout moment, jusqu’aux limites du désespoir. J’implore le pardon, et la délivrance du péché. Mais Dieu ne répond pas. Je suis effrayé à la pensée d’être rejeté pour toujours et d’aller à la perdition éternelle.
Le soir, à 20 heures, je vais me coucher, totalement désespéré, certain qu’il me sera impossible de dormir cette nuit-là. Tout à coup, en une fraction de seconde, le Saint-Esprit descend dans mon cour et m’inonde d’une joie inimaginable, avec la certitude absolue du pardon de Jésus. Je réalise en un instant la nouvelle naissance et le baptême du Saint-Esprit.
C’est si extraordinaire que je ne peux m’endormir de suite. Il me semble que je suis suspendu entre ciel et terre ! Et pourtant, je ne bouge pas dans mon lit, je ne crie ni ne parle en langues. Cette contemplation de la Grâce fantastique qui m’inonde et me porte me donne déjà l’assurance que la perspective d’être un jour au ciel dans la présence du Seigneur sera un bonheur absolument sublime. Ce ne sera qu’aux environs de vingt-trois heures que je m’endors. Le lendemain, je me réveille et retrouve aussitôt la même joie. J’avais quinze ans et demi.
L’exhortation de ce verset du psaume 50, et la délivrance vécue, ont marqué un tournant décisif de ma destinée. Cette parole: Tu me glorifieras, va me pousser au témoignage du salut en Jésus-Christ et à l’évangélisation, ainsi qu’à l’étude de la Bible et à la prière, car je sais que mon Rédempteur est vivant et qu’Il entend nos supplications.
Que d’événements dans les quatre ans qui suivirent! Me voici maintenant en 1941. J’entre à l’école de recrues à Bière. Je suis en pleine forme. A deux semaines de la fin du service nous parvient un ordre urgent du commandement général de l’armée: toutes les écoles de recrues de la Suisse sont transformées en un commando dit «le régiment de recrues», de sinistre mémoire. J’y suis intégré. Les manouvres sont extrêmement dures. Je tiens le coup pendant sept jours, mais à la suite de l’imprudence d’un caporal, je tombe gravement malade. Ce sera alors le transfert pour trois mois dans un hôpital militaire à Wengen (BE).
J’ai vingt ans. Mon cas est déclaré difficilement guérissable, et je ne suis plus apte au service actif. Un cercle d’amis chrétiens pentecôtistes prie avec ferveur pour ma guérison, avec la conviction que Jésus a pris sur la croix nos maladies comme nos péchés, car, selon eux, la rédemption touche nos corps comme nos cours et notre esprit.
Mais je ne serai pas guéri.
Ce sont alors des périodes de découragement, de luttes et d’inquiétude face à mon avenir.
Finalement, le texte de 2 Cor 12.7- 10 me revient souvent à la pensée: Il m’a été mis une écharde dans la chair. J’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi et Il m’a dit : MA GRACE TE SUFFIT, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse.
Ce fut l’expérience de l’apôtre Paul. serait-ce aussi celle que le Seigneur me demandait de vivre désormais ? C’est alors la victoire : Va avec cette force que tu as. En cinquantehuit ans, je serai hospitalisé trentedeux fois, pour une durée totale de trente-six mois, et je subirai plusieurs opérations.
Le 11 juillet 1955, je termine un traitement chez un dentiste à Lausanne. L’asepsie des installations et des instruments me paraît plutôt douteuse. Et, bien que n’étant pas chirurgien, je suis étonné que ce praticien termine ses travaux par une sérieuse opération du palais, perçant le plancher des sinus pour extraire des granulomes. Tout est recousu, sans aucune précaution d’hygiène, à mains nues et sans désinfection !
Ce dentiste, partant en vacances pour un mois, me laisse rentrer chez moi en me déclarant: «A mon retour, vous serez totalement guéri et vous reviendrez pour le dernier contrôle».
Dès le lendemain, douleurs et infection. Les souffrances deviennent intolérables. Lorsque je bois du liquide, il en ressort une partie par le nez. Je mange avec peine et il m’est difficile de parler.
La seule solution sera de trouver l’adresse d’un chirurgien oto-rhino. A Lausanne, je consulte l’annuaire téléphonique et, sans le connaître, j’entre en contact avec le docteur T., lequel me prie de venir de suite.
Son diagnostic est terrible: «Quel est le salaud qui vous a fait cela? C’est foutu, foutu, foutu.»
«Vous êtes marié?» me demande-t-il. A ma réponse positive, il crie avec le même vocabulaire que précédemment, mais avec des décibels en plus. «Avez-vous des enfants?» «Oui, j’ai quatre jeunes enfants, l’aîné a sept ans.» Le docteur T. hurle encore les mêmes mots, ne pouvant contenir sa rage.
C’est que ce médecin réalise à quel point mon cas est gravissime. La gangrène du palais est déjà avancée: il y a une pourriture généralisée. Seule solution immédiate: ablation totale du palais. Il me dira plus tard que, dans sa longue pratique, il a eu deux cas semblables au mien. Ces deux malades sont décédés, suite à cette opération au palais, et dans de grandes souffrances. Donc, pour le docteur T., c’est une situation humainement perdue. Toutefois, pour me soulager rapidement, il téléphone à la clinique Cécil pour retenir un médecin anesthésiste. Malheureusement, tout est fermé pour une semaine de vacances. Le docteur instaure un traitement afin d’arrêter l’évolution du mal, et veut tenter une première opération du côté gauche, le 27 juillet 1955, à la clinique Cécil. Je dois alors y rester une semaine.
Le 2 août, je peux rentrer chez moi pour quelques jours; néanmoins le mal s’est encore étendu, et dans quelles souffrances!
Le 3 août 1955, j’ai la visite de l’un des anciens, membre du conseil de l’Eglise libre de Morges dont je fais partie. Me voyant dans une telle extrémité, sans aucune force, il décide immédiatement de convoquer cinq frères du conseil, dont le pasteur Roger Glardon, pour le lendemain soir à 20 heures. Ils prieront et pratiqueront l’onction d’huile, selon l’épître de Jacques, au chapitre 5.
Ils viendront, ces bien-aimés frères, et prieront avec une ferveur et une foi extraordinaires pendant près de deux heures. A 22 heures, nous nous séparons. Lorsque le dernier a franchi le seuil du logement, et au moment où je tourne la clé pour refermer la porte, une joie foudroyante m’envahit avec la certitude que le Seigneur a répondu. Mon épouse étant à deux mètres de moi, je lui dis alors : «Je suis guéri, Maria, je suis guéri!» Or, j’ai encore des douleurs. Humblement, je confesse alors, comme cet homme dans l’évangile de Luc (5.20), que c’est la foi des cinq frères qui m’a porté devant le Seigneur.
Jésus, voyant leur foi, .
Quelques jours après, je suis de nouveau chez le docteur T. Il m’attend avec grande inquiétude, car il sait ce qui m’attend. Avant de m’installer dans le fauteuil, il me fait ouvrir la bouche et examine attentivement. Puis il me prend dans ses bras et m’embrasse en criant : «Vous êtes guéri! Il y a eu un miracle. Je veux savoir ce que vous avez fait, et qui a opéré ce miracle!».
Il m’est alors facile de lui raconter la visite des cinq frères de l’église par le détail. «Je crois que seul Dieu a pu faire ce miracle. Expliquez-moi tout, maintenant. Je veux en savoir plus sur l’ouvre de Dieu et sur la Bible», me dit-il. Pendant près d’une heure, je parlerai et répondrai aux multiples questions de ce médecin sur l’évangile et l’ouvre de Dieu.
Le 29 août 1955, le docteur T. me revoit une dernière fois, et me déclare totalement guéri. Cet événement s’est passé il y a quarante-cinq ans. Je n’ai plus jamais ressenti de douleurs au palais.
Invoque-moi au jour de la détresse; je te délivrerai et tu me glorifieras, Ps 50.15.
Souviens-toi du chemin dans lequel l’Eternel t’a fait marcher pendant ces quarante ans dans le désert,… Deut 8.2.
«Se souvenir, mais refuser d’enjoliver la mémoire, car elle est trompeuse, elle trie et garde ce qui nous arrange. Pas question de s’attarder en chemin. On supporte mal la lourdeur du quotidien. Il n’offre souvent rien d’exaltant. Quand cette évidence devient trop décapante, on enfourche tout naturellement la machine à remonter le temps. Là, tout est sérénité, heures claires. Le passé se reconstruit à loisir, se remodèle et se transforme à notre gré, infatigable kaléidoscope des jours heureux où nous étions superbes, où l’on s’invente des répliques, où l’on se refait soi, inlassablement, sous le meilleur éclairage. » (Denise Sergy, «Des coquillages plein les poches»)
Onze janvier 2000. Depuis dix-huit ans, suite à un décollement de la rétine, mon oil gauche a perdu sa capacité visuelle de façon progressive. Consulté à ce sujet, le docteur R. de Vevey craint que d’ici quelques années cet oil soit totalement perdu. Il faut tenter une opération pour le sauver. J’accepte volontiers cette intervention, qui est programmée pour le deux février à l’hôpital Providence. Dans une situation normale, une demi-heure suffit pour traiter la cataracte et greffer le cristallin artificiel. Or, une mauvaise surprise nous attend: l’enveloppe de cet élément de l’oil est tellement abîmée qu’il est quasiment impossible de faire l’implantation de cette lentille artificielle.
Trois quarts d’heure supplémentaires seront nécessaires pour enfin réussir une si délicate manouvre de la chirurgie oculaire. L’anesthésie étant locale, j’ai pu estimer la difficulté de cette opération et ainsi entendre cette parole du docteur R. au terme de son intervention: «Je suis reconnaissant. C’est un miracle.» Il le dit spontanément et tout naturellement, sans crainte d’être entendu par ses assistants. Cela me fait tellement plaisir ! C’est un miracle de la grâce que je vis une fois de plus, et je glorifie le Seigneur dans mon cour.
L’occasion m’est donnée, lors d’une consultation au cabinet médical de ce médecin, de lui raconter l’intervention miraculeuse ayant agi sur mon palais, et de quelle manière, en réponse à la prière de cinq hommes de foi, je fus guéri en cette soirée du 3 août 1955. C’est alors que le docteur R. me confesse humblement, tout réjoui: «Savezvous que moi aussi, j’avais prié Dieu de faire un miracle dans cette opération de la cataracte, car je savais que ce serait difficile d’y arriver ? Je Lui suis vraiment reconnaissant.»
Revient alors avec force une parole du pasteur Hunziker: «Le meilleur est devant! Après la page tournée, la page blanche où va s’inscrire le miracle quotidien et se dessiner les surprises à venir. L’inimaginable aujourd’hui, l’incroyable avenir, tout ce que le Seigneur tient en réserve pour ceux qui lui font totalement confiance, jusqu’au jour irréversible où sera tournée la dernière page et refermé le livre de notre vie. Puissions-nous alors être inscrits pour l’éternité dans le Livre de l’Agneau dont parle l’Apocalypse! » (Denise Sergy, «Des coquillages plein les poches»).
P.B.