Sortir de sa culture
RENCONTRER LES AUTRES
Le défi de la communication avec les musulmans n’est pas seulement d’ordre théologique, mais aussi d’ordre culturel. Si les différences théologiques sont aisément identifiables et font appel à l’intellect et à la connaissance, les questions culturelles touchent des notions profondément ancrées dans notre vécu. Ainsi, l’objet de cet article n’est pas de traiter les différences théologiques entre l’islam et le christianisme.
Dans notre communication de l’Évangile, quelles sont les limites à ne pas dépasser entre transmission du message du Christ et envahissement culturel ?
Aujourd’hui, le monde vient à vous
Il est facile de comprendre que des efforts culturels soient nécessaires pour travailler dans des pays musulmans. Cependant, nous avons du mal à accepter que les chrétiens en Europe doivent eux aussi faire un effort culturel pour toucher leurs compatriotes issus de l’immigration et d’arrière-plan musulman. Le témoin de l’Évangile est suffisamment sensible à la culture qu’il est prêt à changer certaines de ses habitudes, il comprend que son mode de vie n’est pas la norme. Jésus n’a pas dénigré les autres cultures pour favoriser la sienne. Il a au contraire proclamé des valeurs transposables pour tous. L’Évangile est multiculturel et les cultures sont pour lui une richesse !
Qu’est-ce que la culture ?
Rapidement dit, la culture « c’est la manière de faire, ici ! ». C’est la façon de faire d’un groupe, l’organisation d’une société.
En voici quelques domaines essentiels : la vie familiale, l’alimentation, l’habillement, la langue, l’éducation, les valeurs, les croyances, les coutumes, les lois, etc.
C’est la manière de penser, de dire, de faire – le savoir appris d’un groupe, le savoir transmis de génération en génération.
Bonne ou mauvaise culture ?
Dieu veut être le Dieu des hommes de toutes les cultures. Le péché entrant sur la terre a fait son travail de corruption, de destruction jusque dans la structure de nos sociétés.
Plus une culture est éloignée de Dieu, de ses valeurs et de ses principes, plus la confrontation est grande quand l’Évangile la pénètre.
Les cultures ne sont ni divines, ni sataniques en elles-mêmes. Elles sont un produit humain et la scène permanente d’influences divines et sataniques. Nous pouvons affirmer que l’Occident judéo-chrétien n’est plus en position de prétendre que la majorité de ses habitants vivent en accord avec des valeurs reflétant celles du Christ. Les exemples ne manquent pas : l’individualisme et la cupidité qui sont au cœur des sociétés modernes ne reflètent en rien les valeurs du Royaume de Dieu.
Il y a autant de cultures qu’il y a de langues
Notre tendance première est d’éviter de nous retrouver dans des situations inconnues ou sur des terrains où nous n’avons plus de repères. Ainsi beaucoup de chrétiens évitent de rencontrer des musulmans, certainement par crainte de l’inconnu, par crainte de commettre des erreurs…
Suite à de mauvaises expériences, vous avez peut-être décidé de ne plus faire d’effort de communication avec ces gens. Ils sont décidemment trop compliqués et il est impossible de s’entendre !
La connaissance de leur environnement culturel est pourtant indispensable. La communication sera facilitée quand nous saurons pourquoi les gens que nous voulons atteindre pensent et agissent d’une manière différente de la nôtre.
« Allez ! Le commandement de Jésus à ses disciples n’est pas seulement ni surtout un ordre de marche, mais aussi et d’abord un ordre de sortir de sa culture. C’est prendre conscience qu’il y a autant de manières de penser, de s’exprimer, d’organiser nos relations humaines et de nous définir une identité qu’il y a de langues. » Ch. D. Maire
L’ordre de faire de toutes les nations des disciples inclut un mandat culturel. Le processus de former des disciples ne peut se faire en dehors des aspects culturels de la vie du disciple.
Aucun messager de l’Évangile ne peut s’occuper uniquement des « âmes perdues ». Avant de parler de doctrine et de foi, il rencontre le musulman dans un certain cadre culturel. Cela est inévitable, la religion en fait partie intégrante, elle est comme immergée dans la culture au sens le plus large.
Trois réactions face à une nouvelle culture
Notre communication de l’Évangile ne doit pas nous amener à dénigrer les traits de la société islamique.
« Apprendre à connaître une culture, c’est s’en approcher sans jugement préconçu, chercher à comprendre ou admettre une logique différente, sans se croire obligé d’approuver ou de condamner. 1 »
Avant tout, réalisez qu’un musulman est premièrement un être humain. Sa culture est bien plus riche que le fait religieux seulement ! Essayez d’oublier une seconde la croyance pour vous attacher à la personne, à sa vie, à son histoire, à ses espoirs ! Tristement, nous avons tendance à dépersonnaliser les musulmans et à déshumaniser les individus et leurs croyances.
Face à la différence culturelle, nous pouvons avoir trois réactions : le rejet, l’acceptation sans critique, ou le chemin du milieu, celui d’un examen critique. Les deux solutions extrêmes amènent le messager dans une impasse : s’il rejette toutes les traditions et toutes les coutumes, lui-même et le message de l’Évangile ne seront jamais intégrés. S’il les accepte toutes, il entre dans le syncrétisme.
Certains fondements bibliques amènent inévitablement à des confrontations avec le message coranique. Ceci est une réalité et nous ne cherchons pas à la sous-estimer. Nous affirmons simplement que dans beaucoup de cas, cette confrontation est due à notre méconnaissance ou à une forme de « prétention culturelle ». Faisons le maximum pour ne pas dresser des obstacles qui ne se justifient pas.
Chaque culture a en elle des aspects :
– en accord avec les valeurs bibliques,
– en désaccord avec les valeurs bibliques,
– neutres.
Viser le coeur du message
Jésus s’est « limité » à prêcher le Royaume de Dieu. En aucun cas, ses propos ne se sont basés sur la transmission de principes culturels ou sur des manières de faire propres au peuple juif.
Le Royaume de Dieu est clairement défini par Christ comme un royaume céleste. Trop souvent nous sommes tentés de défendre et d’enseigner des valeurs qui nous sont propres et finalement secondaires. Elles n’ont rien à voir avec le cœur du message du salut.
Voici quelques questions que nous pouvons nous poser :
Notre manière de vivre un culte est-elle la référence ? Notre manière occidentale de fêter la naissance de Jésus est-elle la norme ? Ne pourrions-nous pas envisager la cérémonie du mariage de façon différente dans une autre culture ?
Confrontations
Il n’est pas acceptable de parler de « culture biblique » ; on préférera parler de « valeurs bibliques ».
Del Tarr est prêt à dire que la culture dans laquelle baigne le chrétien n’est pas, a priori, plus biblique que celle du musulman. Jésus lui-même n’a pas hésité à prendre comme exemple un ennemi des Juifs, un Samaritain, pour donner aux Juifs une leçon de bonté (le « bon Samaritain »).
De ce constat, nous pouvons tirer deux enseignements :
– Tous les hommes sont pécheurs, quelles que soient leur religion ou leur culture ;
– D’autres sociétés ou ethnies peuvent avoir des valeurs aussi bibliques que les nôtres.
Ainsi, par exemple, l’étranger de passage dans certains pays musulmans recevra un accueil bien plus chaleureux qu’un étranger débarquant en Europe. Sur ce point, laquelle de ces deux cultures reflète-t-elle le plus les valeurs du Royaume ?
Processus de compréhension culturelle
Voici 3 principes ; les pratiquer, c’est acquérir l’avantage d’une meilleure compréhension de l’autre et le bénéfice d’une communication authentique :
1) Confronter sa propre culture au message biblique
Avant de parler de la confrontation de notre société avec celle du musulman, il est important de commencer par prendre de la distance face à notre propre culture. C’est notre première responsabilité : interpréter le message biblique sans l’influence de notre culture de référence.
Pour nous y aider, nous pouvons nous poser trois questions. Quels traits de ma culture sont :
– en accord avec le message biblique ?
– en désaccord avec le message biblique ?
– neutres, c’est-à-dire ni bibliques, ni anti-bibliques ?
2) Connaître la culture étrangère
Découvrir l’autre culture, c’est commencer par vivre et développer des amitiés. L’objectif ici n’est pas d’entrer dans le témoignage verbal. L’occasion peut bien sûr se présenter, mais le but immédiat est :
– de passer du temps avec notre interlocuteur,
– de lui poser des questions sur ses croyances et sa religion,
– de rendre et de recevoir des visites,
– en toute amitié, de participer aux fêtes familiales (mariage, naissance, etc.).
Un évangéliste disait souvent :
« Prêche la Parole en tout temps, et si nécessaire, utilise des mots. »
3) Traduire le message de manière convaincante et significative dans la nouvelle culture
Non seulement nous faisons une démarche pour mieux comprendre les musulmans, mais aussi des efforts pour qu’ils nous comprennent.
Nous entrons alors dans la communication verbale, celle-ci vient étayer le témoignage non verbal du point précédent (l’amour, la compréhension, l’entraide, etc).
Certaines de mes actions peuvent-être neutres dans ma société, mais avoir une connotation fortement négative dans la communauté musulmane. Prenons quelques exemples classiques : poser le Bible par terre ou souligner des versets au stylo est interprété par les musulmans comme un manque de respect au livre révélé et donc à Dieu. Autre exemple, refuser systématiquement le thé offert exprime clairement un désintérêt, voire un dénigrement de la personne ou de la famille qui vous invite. Ce dernier exemple peut facilement être compris par quelqu’un issu d’une culture africaine, où nombreuses sont les valeurs analogues à celles du Moyen-Orient.
Réalisant que dans l’islam il y a des valeurs en accord avec celles de la Bible, il m’est possible de construire ma communication sur les priorités que Dieu a mises dans leur conscience (respect des anciens, de la famille, importance de la piété, de la dévotion, de la justice).
Il faut également savoir que certains mots utilisés par les chrétiens n’ont pas le même sens en islam. Par exemple, le paradis (le Coran le définit comme un lieu de plaisir), la prière (la prière musulmane est ritualisée, elle se fait cinq fois par jour), le péché (le Coran dit que l’homme est bon à sa naissance, que c’est son entourage qui le corrompt).
Les musulmans sont souvent issus de cultures orales. Nos développements logiques basés sur la raison sont souvent en porte-à-faux avec leur perception et leur mode de communication. Il est plus approprié de développer un sujet sur la base d’une histoire ou d’un témoignage personnel.
Après la conversion
Notre but n’est pas seulement de gagner quelques âmes à Christ, mais de faire grandir une église dans des milieux où trop souvent il n’y a aucun témoignage de chrétiens fidèles. Pour atteindre ce but, les nouveaux convertis ne devraient pas être enlevés de leur contexte social et culturel. Comme nous l’avons vu, donner sa vie à Jésus ne signifie pas changer de culture pour en adopter une autre.
Il est vrai que dans une grande partie des cas, le converti est exclu de sa communauté et les conséquences de son choix peuvent être graves, voire dramatiques. Il est pourtant nécessaire de comprendre qu’un déracinement culturel pourrait être la cause d’une chute à plus long terme.
Si cela est possible, il faut encourager le nouveau converti à persévérer malgré les outrages. Il sera un exemple extraordinaire de témoignage vivant de Christ dans sa communauté. La persécution fait partie de la vie chrétienne et participe à la révélation de Christ dans nos vies. L’Église occidentale semble l’avoir oublié…
Comprenons maintenant qu’il pourrait être difficile à la personne issue de l’islam de s’intégrer à une église de culture occidentale. Le pasteur que vous êtes peut-être ne pourra que mieux l’accompagner s’il connaît son arrière plan culturel. Une réflexion est à mener, un accompagnement et un enseignement personnalisés semblent indispensables.
Un frère en la foi, syrien, aimait dire : « Si tu regardes quelqu’un comme ton ennemi, tu fais de lui ton ennemi ». Jésus notre prophète et notre ami a pris le chemin de l’Amour avant nous. Imitons-le, ne prenons pas la voie de la médiocrité. Restons une « bonne nouvelle » pour le monde musulman, que les hommes puissent « voir Christ » à travers l’amour qui se dégage de nos vies.
Références bibliographiques :
– Ben Naja, Moussa Sy, Bénir les enfants d’Ismaël, édition Frontiers, Bienne, 2009
– Rothenberger Hans, Initiation à l’anthropologie culturelle, dossier, cours EMF, 2003
– Paul-Gordon Chandler, Pilgrims of Christ on the Muslim Road, Cowley Publications, 2007