A l’école de la souffrance
Entretien avec Pierre BIGLER-ANDRES
C’est à l’âge de 20 ans que ses premiers problèmes de santé sont survenus. Un grave accident au terme de son école de recrue entraîna par la suite une gastrectomie, qui lui valut pendant toute sa vie de nombreuses complications très handicapantes de la digestion. Il souffrit aussi d’une fracture du crâne qui eut pour conséquence la perte totale et définitive des sens du goût et de l’odorat. A deux reprises, il faillit perdre la vie, notamment après l’ablation partielle du palais à l’âge de 34 ans, et à la suite d’une obstruction de l’osophage par un angiome à l’âge de 47 ans. Il a été hospitalisé 32 fois jusqu’à ce jour, totalisant 36 mois de séjour en établissements, et a dû subir 5 interventions chirurgicales.
Bigler, né en 1921, a grandi à la campagne dans une famille chrétienne très pauvre. Avec ses six autres frères et sours, il prit part, durant son enfance et son adolescence, aux durs travaux de la ferme. Grâce à l’aide d’un riche industriel, il put par la suite accéder à des études commerciales. En 1947, il unit sa vie à Maria Andres (1918-1998), de laquelle il aura 4 enfants. S’étant, au cours des années, perfectionné dans le domaine de l’expertise comptable et fiscale, il a été appelé à la difficile fonction d’Inspecteur cantonal des impôts du Canton de Vaud, en Suisse.
Ø Monsieur Bigler, vous avez un long parcours de souffrances derrière vous. Quelle pensée vous vient à l’esprit en y repensant ?
« J’ai appris à être content dans l’état où je me trouve »2, comme disait l’apôtre Paul ! Je n’ai, dans ce sens, pas de sentiment de regret. Je crois que Jésus-Christ n’est venu ni pour supprimer, ni pour expliquer la souffrance. Il est venu pour la remplir de sa présence. La destinée de Joseph3, par exemple, n’a-t-elle pas été dramatique pendant plusieurs années ? A-t-il au terme de son existence regretté les difficultés qu’il a dû endurer ? Non, au contraire ! C’est dans l’épreuve qu’il a découvert l’immensité de l’amour et de la fidélité de notre Dieu.
Ø Percevez-vous vos maladies comme des sortes de tests ?
Il est vrai que la maladie peut être une occasion pour Satan de nous tenter et de nous faire tomber. De son côté, Dieu permet certains concours de circonstances pour voir si nous lui restons fidèles. Se trouver à l’école de la souffrance représente bien un apprentissage qui ne se fait pas en un jour ! A la suite de mon accident militaire, j’ai dû subir une gastrectomie. Sans estomac, l’intestin grêle doit prendre en charge toute la digestion des aliments, ce qui nécessite une grande irrigation en sang. Après chaque repas, je dois m’étendre un moment pour ménager le système circulatoire, sans quoi je m’évanouis (Dumping Syndrome). Ce problème a été un réel handicap durant toute ma vie. Lorsque je travaillais en tant qu’inspecteur fiscal et que j’avais beaucoup d’obligations, il ne m’était pas toujours possible de me coucher après le dîner. Il m’arrivait alors quelques fois de perdre connaissance dans des endroits où parfois, sans l’intervention miraculeuse de Dieu, j’aurais pu perdre la vie. Une fois, par exemple, j’ai de peu manqué de tomber d’un mur dans une eau de plus de 10 mètres de profondeur ! A une autre occasion, j’ai chuté contre le bord d’un trottoir, et mon crâne s’est fracturé. Les nerfs de l’odorat ont été sectionnés net, et voilà que depuis l’âge de 41 ans, non seulement je ne sens plus rien, mais j’ai aussi totalement perdu le sens du goût. Il va sans dire que les plaisirs de la table ont en même temps pris fin pour moi.
Mais le chrétien apprend que les diverses épreuves que Dieu permet ne sont que temporaires, « pour un peu de temps » seulement, comme le disait l’apôtre Pierre4. C’est rassurant de découvrir que rien n’est accidentel, mais que Dieu sait toujours ce qu’Il fait. D’ailleurs, Il n’a aucun compte à nous rendre ; il n’est pas homme pour se justifier s’il permet l’épreuve. Je me réjouis cependant de ce qu’un jour, là-haut, je comprendrai le « pourquoi » de tous ces tests !
Ø Vous êtes-vous peut-être identifié plus particulièrement à un personnage de la Bible comme Job ?
Non, jamais ! Je pense qu’à part l’agonie de Jésus-Christ à la Croix, personne dans toute la Bible n’a été éprouvé par des souffrances aussi pénibles que celles de Job. Par contre, je dirai plutôt humblement avec Job ce verset où il déclare : « Seigneur, je reconnais que tu peux tout et que rien ne s’oppose à tes pensées. Maintenant mon oil t’a vu. C’est pourquoi je me condamne et me repens »5.
Ø Vos problèmes de santé ont-ils contribué à une croissance spirituelle particulière ?
Oui, certainement. Il a fallu bien des combats pour acquérir la conviction que la confiance en Dieu en toutes circonstances est l’attitude la plus raisonnable. La tempête, au lieu d’abattre le croyant, devrait le fortifier dans son espérance et le pousser à devenir toujours plus dépendant de son Sauveur. Je suis un passionné de géologie et j’ai toujours aimé la leçon que nous pouvons tirer du diamant : il se crée sous des conditions thermiques et atmosphériques tellement extrêmes qu’il devient inaltérable. C’est d’ailleurs ce qui en fait sa valeur, sa dureté et sa longévité. De même une vie éprouvée tend toujours plus vers une forme de stabilité spirituelle. Elle prend aussi de la valeur aux yeux du Seigneur qui nous dira un jour : « C’est bien, bon et fidèle serviteur ; tu as été fidèle en peu de choses., entre dans la joie de ton maître »6.
Ø Dans quelle mesure votre approche de la maladie a-t-elle changé au cours de toutes ces années passées ?
A l’âge de 20 ans, j’étais plein d’enthousiasme et j’avais confiance en la vie. Lorsque j’ai eu pour la première fois un accident grave au service militaire, je me disais : « Pierre, tu es jeune et costaud, tu vas guérir ! » On nous avait poussés à l’extrême limite de la résistance humaine, par d’interminables marches forcées à des températures glaciales et par une nourriture extrêmement rationnée. Un soir, affamés, nous nous sommes permis de piocher dans un quartier de fromage, tant et si bien qu’avec l’eau froide, un énorme pavé s’est formé dans mon estomac et a bloqué toute la digestion. Avec des douleurs indescriptibles, j’ai encore marché plusieurs heures avant de recevoir des soins médicaux. Après trois mois d’hospitalisation sans aucun résultat concluant, un médecin est venu vers moi et m’a annoncé : « Monsieur Bigler, vous êtes un cas difficilement guérissable. Vous pouvez rentrer à la maison.» Je me suis fâché et lui ai répondu qu’il ne pouvait pas me laisser aller dans cet état-là ! Il a alors pris mes deux mains dans les siennes, m’a regardé avec un regard de profonde compassion que je n’oublierai jamais, et il m’a répété : « Ayez confiance en Dieu et rentrez à la maison. » Je savais alors que c’était la réponse de Dieu à mes prières : avoir confiance ! Par la suite, ma vie a été la découverte d’un long chemin vers l’amour de Dieu. Si à 20 ans j’étais sûr que je guérirais, la dure réalité de la vie m’a appris à accepter la souffrance et à dépendre toujours plus de Dieu dans les grandes comme dans les petites choses. C’est une grâce que je ne me sois jamais révolté contre sa volonté. Bien que j’aie passé par des moments de découragement, je n’ai pas eu un seul jour de dépression dans ma vie ! « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. »7 J’ai pu expérimenter ce verset à tellement de reprises !
Ø Lors de vos nombreuses hospitalisations, le personnel médical ou les autres patients ont-t-ils été interpellés par votre témoignage et par votre espérance ?
Cela fut en effet plusieurs fois le cas. Tout d’abord ä l’hôpital militaire de Wengen (BE) en 1941-1942. Nous pouvions, avec un camarade capitaine de l’Armée du Salut, aller chanter librement auprès des autres soldats malades. Sinon, c’est surtout à mon médecin traitant, chez lequel je suis allé pendant 25 ans, que j’ai le plus pu témoigner du salut en Jésus-Christ. Que de fois ne m’a-t-il pas dit : « Monsieur Bigler, vous êtes un miraculé permanent ! » Quant à la possibilité de parler avec le personnel soignant, cela a plutôt été difficile. A cause de continuelles réductions d’effectifs, les infirmières manquaient souvent de temps pour parler avec les patients. J’ai alors compris qu’un malade reconnaissant, souriant et sans exigences témoignait tout autant par son attitude que par ses paroles.
Ø Avec le recul des années, pouvez-vous dire que vos souffrances ont été accompagnées de bénédictions pour vous et pour votre entourage ?
J’aime bien la traduction de Romains 8.28 selon J.N. Darby qui dit : « Toutes choses travaillent ensemble pour le bien de ceux qui aiment Dieu. » Pour moi, c’est une certitude absolue ! Cette affirmation de Paul a entretenu ma confiance dans les déceptions et les difficultés de la vie. Mais attention, il y a une exigence dans ce verset : il faut être enfant de Dieu pour jouir de cette promesse. Pour l’homme né de nouveau, Dieu dit que toute circonstance se transforme en bénédiction. Le cour de celui qui aime Dieu, reconnaît que ce dernier est à l’ouvre, même dans les situations les plus douloureuses de la vie. « Ce que je fais, tu ne peux le comprendre maintenant, tu le comprendras plus tard »8, disait Jésus à son disciple Pierre. J’ai dû apprendre à attendre. Les expériences de la vie, envisagées séparément, peuvent paraître désastreuses. Mais il faut se rappeler que toutes choses travaillent ensemble. Les événements sont donc toujours en corrélation les uns avec les autres. Ensemble, ils forment le plan que Dieu a minutieusement préparé pour chacun de nous.
Ø Vous avez à plusieurs reprises frôlé la mort. Quel a été votre sentiment intérieur ?
J’ai deux fois failli perdre la vie, à l’âge de 34 et de 47 ans. Dieu m’a rempli d’une force toute particulière au moment où je croyais m’en aller. Savoir que le meilleur restait à venir était une puissante espérance et tout à la fois un soulagement. Pourtant, avec mon épouse, c’est en pleurant qu’on s’est mis tous les deux à genoux devant le Seigneur pour implorer sa présence et son aide face à cette possible séparation. Ce n’était pas facile pour moi d’accepter cette perspective : j’aimais tellement la vie, les beautés de la création, mon épouse, mes enfants, le travail et toutes les joies de la vie chrétienne ! Mais Dieu m’a fait la grâce d’être prêt à accepter les deux choses : « Tout est à vous., soit la vie, soit la mort, soit les choses présentes, soit les choses à venir. »9 En 1968, suite à un angiome de la grosseur d’un poing qui obstruait mon oesophage, j’ai dû subir une grave intervention. A cause de la grande fragilité de mon cour, je n’ai pu recevoir après l’opération ni morphine ni aucun autre traitement antalgique. Pendant 7 jours et 7 nuits, j’ai été dans l’impossibilité totale de fermer l’oil une seconde, tellement ma souffrance était intense. Si j’ouvrais la bouche, c’était pour crier de douleur ! Le deuxième jour post-opératoire, soudain, arrêt cardiaque : je sens la vie, et les terribles souffrances de ces instants, me quitter. et j’en étais heureux ! Cependant, Dieu avait décidé que ce n’était pas encore le moment pour moi. Les médecins m’ont réanimé et j’ai finalement survécu.
Ø Quels conseils donneriez-vous au lecteur qui vit en ce moment une situation similaire ?
Cher ami, si Jésus-Christ est votre Sauveur personnel et que vous avez mis en lui toute votre confiance, je vous dirai sans hésiter que le meilleur est devant vous. Le croyant qui arrive victorieusement au port a gagné la bataille. Quel chrétien, sur le point de s’envoler vers son Dieu, préférerait recommencer toute sa course ici-bas ? De toute manière, le croyant n’affronte jamais seul le dernier passage : « Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ta houlette et ton bâton me rassurent. »10
Cher ami, si vous n’avez pas cette assurance que Jésus donne à tous ceux qui se repentent et qui croient en son pardon, je vous supplie de prêter la plus grande attention à cet appel : « Prépare-toi à la rencontre de ton Dieu.»11
Si en ce moment, la maladie, la souffrance et l’inquiétude vous oppressent, ne refermez pas cette revue sans avoir pris avec vous cette promesse que j’avais accrochée dans ma chambre d’hôpital quand j’ai appris à 47 ans que j’étais condamné : « C’est dans le calme et la confiance que sera votre force ! »12
1 Anita Pfenniger est étudiante en médecine et engagée dans la foi chrétienne. Nous la remercions de sa contribution appréciée.
Références bibliques
2 Phil 4.11b
3 Gen 37-50
4 1 Pi 1.6
5 Job 42.1, 6
6 Mat 25.23
7 2 Cor 12.9
8 Jean 13.7
9 1 Cor 3.21
10 Ps 23.4
11 Amos 4.12b
12 Es 30.15b