Dossier: L'église locale noyau vital
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La discipline ecclésiastique : un sujet tabou ?

Olivier Favre a fait ses études de théologie à l’Institut Biblique Européen de Lamorlaye ainsi qu’à la Faculté Libre de Théologie Réformée d’Aix-en-Provence. Il a été pasteur de l’Église Réformée Baptiste de Lausanne pendant 14 ans. Depuis juillet 2005, il partage son ministère entre deux petites églises réformées baptistes à Payerne et Neuchâtel. Il est marié et père de trois fils.

La discipline ecclésiastique a-t-elle encore sa place à l’aube du XXIe siècle ? La question se pose d’autant plus que ce terme ne se trouve nulle part dans la Parole de Dieu. Il nous vient des Réformateurs. Toutefois, comme nous allons le voir, la discipline ecclésiastique est un enseignement biblique clair. Au sens le plus large, elle peut être définie comme « le moyen par lequel le pécheur sauvé par grâce est amené à se séparer de son péché ».

Elle couvre donc un champ extrêmement large qui inclut :

– La discipline formative et préventive qui consiste à prévenir les situations de crises en dispensant régulièrement un enseignement biblique solide et appliqué aux situations éthiques et morales auxquelles l’église et les chrétiens doivent faire face. Dans la large majorité des cas, c’est par ce moyen-là que le but général de la discipline sera atteint dans la vie des chrétiens. D’où l’importance, pour les responsables, d’attacher à l’enseignement qu’ils dispensent tout le soin qu’il mérite.

– La discipline corrective ou médicinale qui consiste à reprendre, selon une procédure précise, 1es péchés évidents, visibles, prouvés (soit une désobéissance à un commandement explicite de la Parole de Dieu, soit une erreur doctrinale qui détruit l’intégrité de l’Évangile, soit l’entêtement dans le péché qui entraîne des divisions). Elle ne doit en aucun cas s’appliquer dans les questions de liberté chrétienne ou pour les péchés intérieurs et secrets.

En général, c’est à cette seconde que nous pensons quand nous parlons de « discipline ecclésiastique ».

I. L’importance de la discipline ecclésiastique

– Elle se pratiquait déjà au sein du peuple d’Israël par la réprimande, l’exclusion et la peine de mort sur les pécheurs notoires (cf. en particulier Kuen, p. 37-40 ).

« Tu auras soin de reprendre ton compatriote. » (Lév 19.17)

« Car tous ceux qui commettront une quelconque de ces horreurs seront retranchés du milieu de leur peuple. » (Lév 18.29)

– Elle a été instituée par Christ pour son Eglise avec une structure bien définie (Mat 18.12-21 ; cf. Kuen, p. 41-66).

– Le Christ l’a lui-même pratiquée au sein de son Eglise (Apoc 1 – 3).

– Elle a été pratiquée dans l’Eglise primitive à plusieurs reprises (cf. Kuen p. 67-91). Réprimandes et exhortations privées ou publiques, suspension, excommunication et rétablissement y sont tous mentionnés.

La pratique de la discipline ecclésiastique est donc un fait incontestable de l’enseignement biblique.

II. Les trois buts de la discipline

– Ramener le croyant errant en lui faisant prendre conscience de son péché et en l’amenant à la repentance.

– Protéger l’église contre la gangrène en « retranchant » le membre dont les péchés connus ou l’enseignement erroné pourraient en inciter d’autres à suivre son exemple.

– Préserver l’honneur de Dieu et la pureté du sacrement en évitant que des personnes dont les péchés connus (parfois même du monde qui en est outré) ne s’identifie à l’église de Dieu en prenant le repas du Seigneur.

Malgré la connotation souvent très négative que revêt l’idée de discipline ecclésiastique aujourd’hui, il est important de constater dans ses trois buts, que l’amour est le principe moteur qui l’anime — un amour qui change d’objet en fonction de la réaction du pécheur à la discipline. D’abord il s’exerce envers le prochain. Ensuite, envers l’église de Jésus-Christ afin de ne pas la laisser être contaminée par l’erreur. Et enfin, cet amour s’exerce envers Dieu dont la gloire et l’honneur ne doivent pas être souillés au sein de son peuple par un pécheur rebelle.

Ces trois buts nous rappellent clairement que le pécheur qui fait l’objet de la discipline ne doit pas être le seul bénéficiaire de notre amour. C’est ce que Pierre Viret montre de façon admirable dans la citation du dialogue qui suit :

« Pierre : – Te semble-t-il qu’il fallut tenir pour miséricorde, si après qu’un loup aurait mangé des brebis, on avait pitié et compassion de lui, qu’on l’épargnait pour lui en laisser encore manger d’autres ?

Nathanaël : – Il me semble que ce serait plutôt grande cruauté. Car ce serait meurtrir les brebis pour épargner les loups et abuser envers eux de la miséricorde de laquelle il convient d’user envers les brebis.

Pierre : […] – Il y en a plusieurs qui usent en matière de justice, d’une telle charité et miséricorde, en supportant les méchants qui méritent punition, et laissant fouler les justes et les innocents, au lieu de leur faire raison comme il appartient. Le semblable advient aussi souventes fois en l’Église, quand on y supporte par trop les scandaleux, et qu’on n’a pas regard au grand dommage qu’ils apportent à toute l’Eglise. »
(P. Viret, Instruction chrestienne. vol. II, p. 577-578)

III. Les 6 étapes de la discipline corrective (y compris le rétablissement)

Selon le schéma qu’Alfred Kuen (p.31) a emprunté à Jay Adams, les différentes étapes de la discipline corrective telles que le Seigneur les a enseignées, sont les suivantes, selon Mat 18.15-16 :

1) L’autodiscipline : En Gal 5.22, elle est mentionnée comme un fruit de l’Esprit. C’est la façon habituelle par laquelle le chrétien progresse dans la foi et apprend à se séparer du péché.

2) La répréhension privée : Elle entre en jeu quand un état « d’irréconciliation » est advenu entre deux frères à cause du péché de l’un d’eux. L’initiative de la démarche repose, non sur le pécheur, mais sur l’offensé. C’est une initiative strictement privée et dont le cadre et les propos ne devraient jamais dépasser le « seul à seul ».

Par la grâce de Dieu, la plupart des cas se règlent à cette étape. Encourager les frères et sœurs de l’église à agir ainsi, plutôt qu’à médire ou à vouloir régler les problèmes à leur place, c’est travailler à créer des liens fraternels forts au sein de l’église.

3) La répréhension avec deux ou trois témoins : Elle n’entre en compte que s’il n’y a eu aucune résolution possible à l’étape précédente. Dans ce cas, la personne qui a entrepris la démarche ira trouver l’offenseur, accompagnée de deux ou trois témoins. Le choix des témoins est important, car ils auront à essayer, avec impartialité, de régler le contentieux et, en cas d’échec, à témoigner de l’endurcissement du pécheur devant les responsables de l’église ou devant celle-ci réunie.

4) Devant l’église : Pour le Seigneur, l’église locale est la dernière instance en matière de discipline ecclésiastique. C’est en son sein que devra être prise la décision de « suspendre » ou « d’excommunier » une personne. Toutefois, afin d’éviter de répandre plus qu’il ne le faut les faits, qui méritent souvent la plus grande discrétion, il est en général prudent que le collège d’anciens représente l’église auprès du pécheur impénitent, avant que l’église rassemblée ne statue sur son cas (cette dernière comprenant aussi de jeunes chrétiens qui pourraient être déstabilisés).

Notez aussi qu’il ne faut pas confondre l’église rassemblée avec le culte du dimanche matin, dans lequel il peut y avoir des incroyants ou des personnes de passage, qui ne doivent pas avoir accès à ces informations.

Avant l’excommunication, une autre démarche peut parfois être envisagée à la lumière de 2 Thes 3.6-15 : il s’agit de la suspension. Paul l’a employée envers un frère qui vivait dans le désordre afin de lui montrer la gravité de sa situation. Dans ce cas, il s’agit de priver ce frère de toute relation sociale naturelle, de la cène et de toute responsabilité dans l’église afin qu’il ait honte de son comportement.

5) Devant le monde (« comme un païen et un péager ») : Si après l’étape précédente, le pécheur demeure impénitent, l’excommunication doit être prononcée par l’église : c’est-à-dire qu’elle rend au monde et à Satan celui dont l’attitude, les paroles ou les actes laissent à penser qu’il n’appartient pas au Seigneur, à moins qu’il se repente.
Suite à cette démarche, l’excommunié doit être considéré comme un non-chrétien et recevoir toute l’attention que nous accordons à de telles personnes pour leur annoncer l’Évangile.

6) Le rétablissement : En pratiquant la discipline ecclésiastique, il ne faut jamais perdre de vue son but final qui est le rétablissement du pécheur et la joie qui l’accompagne (Mat 18.13-14).
C’est ce but qui nous aidera à l’exercer avec compassion, amour et patience. Il nous permettra de rétablir avec joie au sein de l’église le pécheur repentant, aussitôt sa repentance formulée (Luc 17.4). Comme Satan peut être dur, il arrivera souvent que la personne qui revient après une excommunication, ait besoin d’une assistance particulière de l’église.
Comme le montre le cas de « l’incestueux de Corinthe » (1 Cor 5.1-8), toutes ces étapes ne doivent pas forcément être suivies les unes après les autres. Les premières peuvent être sautées en fonction du caractère connu et contagieux du péché.

IV. Quelques remarques

Notez qu’il peut arriver qu’une démarche de discipline ecclésiastique doive être entreprise suite à la « confidence » qu’un chrétien vient vous faire dans un entretien pastoral. Il est donc important de ne jamais promettre une confidentialité absolue lors d’un tel entretien avant de savoir de quoi la personne va vous parler. Sans quoi vous risquez parfois de vous trouver dans l’impossibilité d’agir au niveau de la discipline ecclésiastique, étant liés par votre promesse.

Il existe un lien étroit entre notre théologie et notre pratique de la discipline ecclésiastique. Celle-ci nécessite une vue claire du ministère pastoral et de l’autorité, déléguée de Dieu, qui l’accompagne. La pratique de la discipline est impossible sans une bonne compréhension de la grandeur de Dieu, de sa souveraineté, de sa justice et de sa sainteté, qui sont inséparables de son amour. C’est pourquoi les responsables de l’église doivent avoir horreur du péché et désirer de tout leur cœur une église sainte. C’est motivés par la foi en Dieu et la compassion du Christ qu’ils appliquent les moyens établis par Dieu, en ayant confiance qu’il les emploiera toujours pour sa gloire et le plus grand bien de ses enfants.

Références bibliographiques

Adams J.E., Handbook of Church Discipline, Zondervan, Grand Rapids, 1986, 120 p.
Favre Olivier, Pierre Viret et la discipline ecclésiastique, Revue Réformée, n° 199. 3/1998. Aix-en Provence, p. 55-75.
Kuen A., Si ton frère a péché, la discipline dans l’église, Emmaüs, St Légier, 1997, 127 p.
Lauzet S, Discipline ecclésiastique, Ichthus, n° 137, 6/1986, Marseille, p. 27-34.
Olyott S., Les uns les autres, Kerygma, Aix-en-Provence, 1988, 39 p.

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Favre Olivier
Olivier Favre-Bulle exerce un ministère pastoral depuis de nombreuses années au sein d’églises réformées baptistes tout d’abord à Lausanne, puis à Payerne et actuellement à Mulhouse. Il est l’auteur du livre « Le bon fondement » aux Éditions Repères.