Cherchez d’abord le royaume de Dieu
« Cherchez premièrement le royaume [de Dieu] et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par-dessus. » (Matthieu 6.33)
1. « Premièrement » : quelles sont mes priorités ?
L’homme passe sa vie à s’inquiéter « premièrement » pour ses besoins propres. En Matthieu 6.25-34, Jésus l’illustre dans nos rapports aux besoins vitaux (nourriture) et sociaux (l’apparence) — ce qui, selon ce monde, définit vie intérieure et extérieure. La pyramide de Maslow des besoins de l’homme enseigne à peu près ceci : occupe-toi d’abord de ta survie et de ta sécurité, puis de l’image que tu renvoies en société, et en toute fin (si tu en as encore le temps), de ton accomplissement (y compris spirituel). Mais Jésus, comme à son habitude, renverse les priorités : premièrement le spirituel, le reste des besoins suivra. Principe pour le moins subversif, mais en continuité avec l’A.T. : « Craignez l’Éternel, vous ses saints ! Car rien ne manque à ceux qui le craignent. » (Ps 34.10)
De manière générale, les renversements de Jésus font surgir la question fondamentale : qui est mon dieu ? Sera-ce mon petit ego, le « qu’en dira-t-on » ou bien le Dieu tout-suffisant ? Notre passage décline cette question générale ainsi : à qui fais-tu confiance pour tes besoins ? Autrement dit : qui pourvoit ? Bien des païens se sont convertis parce qu’ils ont observé comment leurs voisins chrétiens confiaient tous leurs soucis au Dieu qui pourvoyait à leur besoins quotidiens et le remerciaient (Phil 4.6-7).
Ces choses, comme la nourriture ou le vêtement, sont bonnes. Mais sont-elles dignes d’angoisse ? L’inquiétude que nous ajoutons aux activités éphémères de ce monde nous fait dévier1 de l’objectif premier. Combien de temps, d’argent et d’énergie avons-nous dépensé dans notre vie et qui ont « mangé » des objectifs plus précieux et éternels ?
Dans un monde toujours plus affamé de tout et son contraire, l’enjeu de la providence est donc de taille. De quoi avons-nous faim ? Qu’est-ce qui mérite que l’on s’en préoccupe ?
2. « Cherchez » : quelle est la vraie préoccupation du chrétien ?
Un chrétien doit-il négliger de faire les courses pour manger ou peut-il porter des habits déchirés sous prétexte qu’il serait « plus spirituel » qu’un autre ? Certes pas. Un chrétien s’occupe des choses terrestres sans toutefois se préoccuper à cause d’elles. Nous apprenons progressivement que tout n’est pas prioritaire.
Si d’un côté le chrétien s’occupe sans s’en préoccuper des choses auxquelles Dieu pourvoira, d’un autre côté, il doit s’affairer, “se creuser les méninges” pour la « seule chose […] nécessaire ». Jésus prend cette recherche du royaume avec un tel sérieux qu’il l’a inscrite dans le modèle de prière qu’il nous a laissé : « Que ton règne vienne. » (Mat 6.10) Ce n’est pas un hasard si notre passage se trouve seulement quelques versets plus loin. Paul relaiera cette exhortation vibrante à rechercher « les choses d’en haut » afin de s’y attacher fermement (Col 3.1,3).
Exhortation sérieuse et vibrante, car « chercher », c’est se démener au point de laisser tomber ce que l’on possède afin d’obtenir ce que l’on ne possède pas (ou ce que l’on a perdu). Pensez au berger qui ne se préoccupe plus des 99 brebis afin d’aller « chercher » celle qui s’est perdue (Mat 18.12).
Chercher le royaume, c’est se donner du mal comme ce marchand qui « cherche » (Mat 13.45-46) la plus belle des perles, la trouve et la considère si précieuse qu’il estime avantageux de se dépouiller de tout le reste. Dans notre course quotidienne, demandons-nous : le royaume éternel de Dieu vaut-il la peine que je lâche prise sur les choses passagères et la mentalité de ce monde ? Même si la promesse de satisfaction de ce dernier m’attire, brille-t-elle du même éclat que la perle du royaume ?
3. « le royaume… » : qu’est-ce que « chercher le royaume » ?
Le royaume, voilà l’un des thèmes les plus vastes de la Bible ! Rappelons seulement que le terme grec basileia signifie royaume ou règne. Il indique donc soit un royaume visible (comme la manifestation future du royaume de Christ : 1 Thes 2.12 ; 1 Tim 6.15 ; Jac 2.15, etc.) soit le règne spirituel et présent d’un homme ou d’une tendance dans les cœurs (Rom 5.21 ; 1 Cor 15.25 ; Col 1.13 ; etc.).
C’est pour cela qu’il est possible, dans le même chapitre 6 de Matthieu, de prier « que ton règne [visible et futur] vienne » (v. 10) et en même temps de « chercher le royaume [présent et spirituel] » (v. 33). Entre le « déjà là » et le « pas encore », chercher le royaume, ce serait donc se nourrir de l’espérance « que [son] règne vienne » et participer à l’exaucement de cette prière en se préoccupant avec le plus grand sérieux de n’avoir pour seul roi que Dieu le Père tous les jours de sa vie, dans son être intérieur et dans sa vie publique, en attendant le retour visible du Roi des rois.
4. « …et la justice » : comment s’articulent royaume et justice ?
Quel lien Jésus fait-il entre le royaume et sa justice ? Peut-on considérer ces termes sur un même plan ?
Rappelons que ces paroles de Jésus s’inscrivent en plein cœur de son Sermon sur la montagne qui énonce les règles du royaume selon les plus hautes exigences de la « justice » : « Si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. » (Mat 5.20 ; cf. 6.1)
Le verset semble indiquer un objectif (le royaume), puis le chemin à prendre pour l’atteindre (la justice). Ce rapport est explicité quelques chapitres plus loin, lorsqu’il est question d’entrer « dans le royaume » en suivant « la voie de la justice » (Mat 21.31-32). Ce passage du chap. 21 oppose deux justices : celle de nos efforts religieux ou moraux, à celle de l’œuvre parfaite et substitutive de Christ. Un disciple de Jésus cherche à être justifié non par ses propres œuvres, mais en suivant le chemin de foi ouvert par Jésus. Son ardente recherche du royaume le fera rejeter tout ce qui, selon sa justice propre, paraît un « gain » dans cette vie. Comme Paul le dit, il le considérera comme une « perte », « afin d’être trouvé en lui, non avec [sa] justice, celle qui vient de la loi, mais avec celle qui s’obtient par la foi en Christ, la justice qui vient de Dieu par la foi » (Phil 3.9 ; cf. Rom 1.17).
Mais, à moins de « théologiser » dans le vide, cette justice-réconciliation (Rom 5.1-3) ne peut être dissociée d’une justice pratique (illustrée par le Sermon sur la montagne). La justice céleste (garantie par l’expiation) a pour fruit une justice pratique dans ma relation avec mon prochain. C’est un fruit de l’Esprit2 que le chercheur du royaume souhaite donc porter.
5. « et toutes ces choses vous seront données par-dessus » : comment comprendre cette promesse ?
La crainte matérielle du lendemain est un tueur de justice, de joie et de paix, tandis que le chrétien qui renonce chaque jour à lui-même et s’occupe sans se préoccuper des priorités matérielles incarne dans sa vie quotidienne l’espérance qu’il mentionne dans sa prière chaque jour : « Que ton règne vienne. » Il laisse l’Esprit de Dieu en lui porter un fruit de justice, de joie et de paix ; ce chrétien entre dans une promesse à nulle autre pareille pour un habitant de la terre : « tout le reste vous sera donné de surcroît ». Une application peut se lire en 2 Chroniques 1.11-12, lorsque Dieu offre à Salomon non seulement la sagesse qu’il a demandée, mais, de surcroît, les richesses qu’il avait considérées comme secondaires.
Le chrétien attaché au royaume et à la justice est-il assuré de ne jamais mourir de faim ? Il n’est pas improbable, à la lumière des autres promesses de l’Évangile, que « tout le reste » signifie aussi des épreuves qu’il n’aurait pas demandées, comme lorsque Jésus répond à Pierre qui a tout quitté pour lui. Ne lui promet-il pas des mères et des frères au centuple, « avec des persécutions » ? Ou encore lorsque Paul exalte ce que possède le chrétien en Christ : « […] soit la vie, soit la mort […]. Tout est à vous. » (1 Cor 3.22)
Celui dont le Dieu est El-Jireh (le Dieu qui pourvoit) a rétabli ses priorités. Le royaume de Dieu et sa justice sont devenus les seules choses dignes de préoccupation. Abaissant le regard sur ses besoins terrestres, il apprend à dire, comme Paul : « J’ai appris à être content dans l’état où je me trouve. Je sais vivre dans l’humiliation, et je sais vivre dans l’abondance. En tout et partout j’ai appris à être rassasié et à avoir faim, à être dans l’abondance et à être dans la disette. » (Phil 4.11-12) Et : « C’est, en effet, une grande source de gain que la piété avec le contentement. » (1 Tim. 6.6)
Conclusion : la provocation tranquille du chrétien
Le « chercheur du royaume » peut s’approprier cette belle promesse, quelques versets plus loin : « Cherchez, et vous trouverez. » (Mat 7.7) Résumons le principe comme suit : celui qui cherche à se soumettre au Roi des rois dans sa vie intérieure en suivant la voie de la justification par la foi, et qui le manifeste dans sa vie publique par des relations justes, d’une justice supérieure à celle de la morale religieuse, dans le but que le règne de Dieu vienne, celui-là, qu’il vive ou qu’il meure, voit déjà ses besoins essentiels comblés ici-bas.
Le chrétien humble et confiant, s’appuyant sur la providence divine en toutes choses, pourra exprimer avec douceur le verset qui provoque le plus notre société consumériste insatiable : « L’Éternel est mon berger, je ne manquerai de rien. » (Ps 23.1)
1 En grec, le verbe « s’inquiéter » (merimnáô) signifie aussi : distraire.
2 Ce point est développé par l’article de John Piper sur Romains 14.17.