Égaux dans la foi
« Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ ; vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. » (Galates 3.26-28)
Au milieu d’un majestueux développement, Paul insère cette triple affirmation sur l’égalité des croyants : « ni Juif ni Grec, ni esclave ni libre, ni homme ni femme ». Pour certains, il s’agit d’une déclaration capitale, à laquelle doivent se soumettre d’autres textes jugés plus obscurs ou plus gênants ; pour d’autres, elle n’est qu’une incidente dans un exposé qui traite d’un autre sujet que celui de l’égalité. Aussi vaut-il la peine d’examiner plus attentivement sa portée.
Le contexte
L’Épître aux Galates1 est un vigoureux plaidoyer pour la vie dans la foi, à partir de la conversion et pour toute la marche chrétienne. Après un rappel historique (ch. 1 et 2), l’apôtre Paul poursuit par un développement doctrinal (ch. 3 et 4).
Les Galates avaient reçu l’Esprit par la foi (3.1-5), tout comme Abraham avait été justifié par la foi (3.6-9). Tout retour à la loi aurait donc signifié se placer sous sa malédiction, alors que cette dernière avait déjà été portée par Christ à la croix (3.10-14). Les promesses reçues par Abraham n’ont pas été annulées plus tard par la loi, mais trouvent leur plein accomplissement en Christ (3.15-18). Entretemps, la loi a montré que tous étaient pécheurs (3.19-22) et elle a joué son rôle pour nous conduire à Christ (3.23-25).
Ainsi, les promesses de bénédiction faites il y a si longtemps à Abraham deviennent désormais la possession de ceux qui, par la foi, s’attachent à Christ. Paul décrit ce changement par trois verbes : « être baptisé en Christ », « avoir revêtu Christ » (3.27) et « être à Christ » (3.29). À ceux-ci, plusieurs titres glorieux sont donnés :
– ils sont fils de Dieu (3.26),
– ils sont un en Jésus Christ (3.28),
– ils sont héritiers selon la promesse (3.29).
L’égalité devant le salut par la foi
Le rapide survol du contexte montre à l’évidence que le propos de Paul est premièrement la relation entre la loi et la foi, et non pas, à proprement parler, les relations entre chrétiens. Il souligne essentiellement que le salut par la foi, l’accès à la position de fils de Dieu et le statut d’héritier de la promesse, sont ouverts à tous.
1. Au Grec comme au Juif : Sous l’ancienne alliance, les païens (symbolisés ici par les Grecs) étaient « sans Christ, privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde » (Éph 2.12). Les privilèges de l’accès direct à Dieu étaient réservés au peuple élu ¬— la descendance physique d’Abraham. Désormais, le salut est ouvert à tous, indépendamment de toute considération de race (Act 10.28,34-35). L’Église de Jésus Christ est une entité nouvelle et distincte, composée d’ex-Juifs et d’ex-païens (1 Cor 10.32.)
2. À l’esclave comme à l’homme libre : Même s’il était protégé dans la loi de Moïse, le statut de l’esclave dans le monde antique gréco-romain le ravalait au rang d’objet, qu’on pouvait acheter ou vendre et dont on pouvait disposer au même titre qu’une pièce de mobilier. Paul reconnaît implicitement la valeur universelle de l’être humain, en gommant la différence sociale. Le salut s’adresse au maître comme au serviteur. La controverse de Valladolid 2 montre qu’on a continué à s’interroger pendant des siècles sur la possibilité de salut d’êtres considérés inférieurs !
3. À la femme comme à l’homme : Sous l’ancienne alliance, les femmes n’avaient pas un accès direct au sanctuaire : les sacrificateurs étaient tous des hommes ; le signe visible de l’alliance, la circoncision, ne s’appliquait qu’aux mâles. Dans le monde antique, le statut de la femme n’était guère enviable : elle était trop souvent exploitée et méprisée. Désormais, l’Esprit est répandu sur tous, « fils et filles » (Act 2.17), ses dons s’étendent à tous, le signe du baptême concerne les hommes comme les femmes.
Ainsi le salut est-il accordé sans considération de race, de statut social ou de sexe. Comme l’annonçait autrefois Ésaïe, il est véritablement pour « toute chair » (És 40.5 ; Luc 3.6) et il crée cette glorieuse unité en Jésus Christ (Gal 3.28) : une seule famille, un seul peuple, une seule Église, un seul corps.
Des différences qui subsistent
Toutefois cette égalité fondamentale n’annihile pas les distinctions évoquées par Paul. Chaque croyant par la foi garde sa race, son statut social, son sexe. Ces distinctions ne sont pas un obstacle à son accès au salut, pas plus qu’à sa marche par la foi.
1. Les auteurs du N.T. soulignent volontiers l’origine ou la race des personnes qu’ils évoquent.
2. Des exhortations adaptées sont adressées aux maîtres comme aux esclaves, établissant la pérennité des distinctions sociales et la nécessité de les vivre différemment comme chrétiens. Le communautarisme temporaire du début de l’Église à Jérusalem n’a pas été érigé en norme et le christianisme n’a pas révolutionné l’ordre social antique, même s’il a introduit les germes d’un changement profond.
3. Les rôles de l’homme et de la femme, en particulier dans le cadre du mariage, sont précisés, ainsi que la conduite mutuelle. Pierre, par exemple, exhorte les maris à tenir compte de la féminité de leurs épouses (1 Pi 3.7).
Il serait donc hasardeux de se baser sur ce seul passage pour récuser toute différence entre les chrétiens : ce serait changer la magnifique diversité de la création de Dieu (l’ancienne comme la nouvelle) en un égalitarisme trompeur. Le changement fondamental est que ces différences ne sont plus un obstacle pour vivre ensemble la foi. Au contraire, ceux qui avaient autrefois un avantage se trouvent souvent devancés par ceux qui n’en avaient pas : les païens ont vite été plus nombreux dans l’Église, l’Évangile touche plus facilement les pauvres que les riches (1 Cor 1.26 ; Matt 11.5 ; 19.23) et les femmes ne sont-elles pas majoritaires dans nos diverses communautés ?
Une évolution progressive au cours des siècles
Il nous est difficile aujourd’hui de concevoir à quel point l’affirmation de Paul était révolutionnaire dans un Empire romain où toutes ces distinctions créaient des barrières quasi infranchissables. Un rapide survol des vingt siècles qui ont suivi montre à quel point les directives de l’apôtre ont été difficiles à mettre en œuvre, y compris dans les pays les plus influencés par la foi chrétienne.
1. Il a fallu au moins une génération pour que la distinction entre Juifs et Grecs s’estompe dans l’Église. En dépit de la vision de Pierre (Act 10-11), des discours et des lettres de Paul, le clivage a perduré entre les judéo-chrétiens et les pagano-chrétiens, comme le montre la fin du troisième voyage missionnaire de Paul (Act 21). Il faudra attendre la destruction du temple de Jérusalem en l’an 70 pour que « ce qui est ancien » et qui avait bien vieilli disparaisse enfin (Héb 8.13). Au cours des siècles qui suivirent, il est honteux de noter que les pays christianisés ont souvent fait montre d’un racisme plus ou moins apparent, en particulier vis-à-vis des Juifs, bafouant ainsi dans les faits (et même parfois dans les dogmes) la déclaration de l’apôtre.
2. Il a fallu près de 18 siècles pour que l’esclavage soit enfin reconnu comme ce qu’il est : un asservissement intolérable de l’homme par l’homme. Il appartient à un chrétien anglais, William Wilberforce, d’avoir tracé la voie3 que d’autres, en différents pays, emprunteront à sa suite pour abolir cette pratique inhumaine. On ne peut qu’être étonné d’apprendre que des chrétiens convaincus et fidèles ne voyaient aucun obstacle à utiliser des esclaves dans leurs plantations, leurs fabriques ou leurs maisons.
3. Il a fallu près de 20 siècles pour que l’égalité entre les hommes et les femmes devienne enfin une réalité sociale. Rappelons que le droit de vote des femmes date en France de 1945 ! Et ce n’est sans doute pas un hasard si la plupart des pays occidentaux où la Bible était plus largement répandue ont précédé l’Hexagone en la matière. L’Église s’est parfois demandé si les femmes avaient une âme… Dans ce domaine, il reste sans doute bien des obstacles à une pleine mise en pratique de la position biblique, mais ces réticences sont plus souvent dues à la culture et à la peur du changement qu’à une saine compréhension des textes. Les excès du féminisme ne doivent pas servir de prétexte à un conservatisme frileux…
Une mise en pratique à revisiter sans cesse
Il est facile de stigmatiser les excès d’autrefois. La question s’adresse cependant à chacun de nous et à chacune de nos églises : comment vivons-nous aujourd’hui ce « un » en Christ dans lequel nous sommes introduits ?
1. La tentation du repli communautaire sommeille en chacun de nous. Il est plus facile de louer Dieu avec ceux qui pensent comme nous, ont été élevés comme nous, vivent comme nous. Le développement des églises dites « ethniques » en Occident en témoigne. Or nous sommes appelés à vivre avec des frères et sœurs d’arrière-plan culturel (on n’ose plus dire racial…) différent. La mondialisation et les mouvements de population qui en résultent sont une opportunité pour enrichir nos églises de la diversité du peuple de Dieu à travers toute la terre.
2. Même si c’est moins le cas qu’autrefois, la condition sociale, la profession, l’éducation continuent à ségréguer les hommes. L’Église devrait être le lieu par excellence de la mixité sociale que nos gouvernants recherchent. Relisons Jacques 2 et sachons accueillir le pauvre aussi bien que le riche, sans favoritisme. Ainsi sera démontrée (même imparfaitement) notre égalité de position devant Dieu (2 Cor 8.15).
3. La troisième égalité (entre homme et femme) est certainement la plus délicate à vivre dans nos églises, et l’on se gardera donc d’apporter des réponses universelles. Il appartient à chaque communauté de rechercher dans la prière et l’écoute mutuelle comment la vivre au quotidien, en conciliant des textes qui paraissent parfois contradictoires (1 Tim 2 ; 1 Cor 11 ; 1 Cor 14, pour ne citer que ceux-là) et en tenant compte de son propre contexte culturel, social, historique. Il me semble que les différences d’interprétation, qui tiennent largement à l’ordre dans lequel ces textes sont considérés, ont été voulues par Dieu pour éviter d’imposer un schéma unique, et pour permettre de vivre en fonction du contexte propre à chaque époque et à chaque pays, dans le respect des principes intemporels et universels de la Parole de Dieu. Évitons à tout prix, sur ces sujets sensibles, de nous « mordre » et de nous « dévorer » les uns les autres (5.15). Qui nierait que ces sujets ont trop souvent été l’occasion du déploiement des « œuvres de la chair » (« querelles, jalousies, animosités, disputes, divisions ») ? Sachons les aborder, au contraire, en recherchant le fruit de l’Esprit (« paix, bienveillance, douceur, patience »). Au sein de nos foyers, vivons dans la pensée de cette égalité devant Dieu du mari et de la femme. Cette égalité pourra se montrer tout autant dans un meilleur partage des tâches ménagères que dans la juste considération de la pleine place de « sœur » qu’un mari reconnaîtra à son épouse chrétienne.
Au final, l’enjeu se situe au niveau de notre regard sur l’autre. L’appréciation de mon frère (ou de ma sœur) tient-elle à la couleur de sa peau, à sa profession, à son sexe ? Ou bien est-il « celui pour lequel Christ est mort » (1 Cor 8. 9), aimé de Dieu exactement du même amour, sauvé par le même sang de Jésus, destiné à la même gloire éternelle ? Laissons de côté nos préjugés et nos échelles de valeur si influencées par les normes du monde pour entrer dans l’égalité des enfants de Dieu.
L’unité finale et parfaite
Si magnifique que soit la déclaration de Paul, notre réalisation actuelle sur terre se heurtera toujours à notre faiblesse et à nos fautes. Nous attendons la gloire céleste de la présence de Dieu où Jésus va nous introduire pour vivre pleinement et définitivement ces égalités.
1. Autour du trône de l’Agneau, la louange s’élèvera du cœur de croyants de « toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de toute nation » (Apoc 5.9), tous également rois et sacrificateurs. Les anciens clivages de race auront disparus et l’habitation de Dieu sera avec tous les hommes, indistinctement.
2. Le repos du ciel se conciliera avec l’activité des esclaves de l’Agneau (Apoc 22.3). Les hiérarchies terrestres temporelles auront disparu et la seule seigneurie sera celle de celui dont le nom sera sur le front des élus.
3. Les distinctions sexuelles seront vécues différemment (Matt 22.31)4 et ne seront plus jamais l’occasion d’une domination pécheresse (Gen 3.17).
Alors nous serons à toujours et parfaitement « un en Jésus Christ ».
1 Voir Promesses, n° 162, Galates ou la passion de l’Évangile, pour un traitement plus approfondi de cette épître.
2 En 1550, un débat fut organisé à Valladolid (Espagne) entre le dominicain Las Casas et le philosophe Sepulveda sur la question suivante : les Indiens ont-ils une âme ? Le contexte était celui de la conquête de l’Amérique par les Espagnols et de l’esclavage des Indiens qui s’est ensuivie. Si les Indiens étaient reconnus pour avoir une âme, ils devaient être considérés comme des êtres humains à part entière, les Conquistadors devaient renoncer à leurs pratiques et les Indiens devaient être évangélisés pacifiquement. La question fut tranchée positivement, ce qui n’empêcha pas l’esclavage d’être pratiqué, ni l’évangile d’être imposé par la force.
3Voir Promesses, n° 160, William Wilberforce, p. 20-21.
4 La réponse de Jésus aux questions concernant notre identité dans le monde à venir ne permet pas de déterminer si nous conserverons une différenciation sexuelle. Le fait que notre identité sexuelle soit une part fondamentale de notre identité personnelle, qui demeurera éternellement dans sa singularité (1 Cor 15.41-42), incline plutôt à répondre positivement.