Dossier: Egaux mais différents
Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Faut-il continuer d’appeler Dieu : Père ?

Depuis plusieurs décennies, des évolutions marquantes se sont produites dans notre société occidentale concernant la place de la femme. Ces changements se sont répercutés dans l’Église, où l’on assiste à de plus en plus de débats sur tout ce qui concerne le sujet..

Ainsi le vocabulaire religieux connaît une certaine féminisation : on tend à remplacer « homme » par « personne », et le terme « frères » ne devrait plus être employé sans être suivi de « sœurs ». Quasi unanimement, les changements dans le vocabulaire sont applaudis tant qu’ils expriment la relation non discriminante entre homme et femme dont Paul parle en Galates 3.28. Le problème se pose lorsque les changements proposés se réfèrent à Dieu. Où doit s’arrêter la révision de notre vocabulaire chrétien ?

Dans ce contexte, la dernière proposition en date est d’appeler Dieu « Père et Mère ». C’est cette question qui va nous intéresser : faut-il continuer d’appeler Dieu « Père » ? Il ne s’agit pas d’une nouvelle bataille uniquement féministe ou libérale. Ceux et celles qui se posent une telle question se trouvent dans toutes les dénominations, et même chez les évangéliques. Cette controverse doit être prise au sérieux, car elle concerne des questions théologiques essentielles, comme la nature de Dieu et l’autorité des Écritures.

Nous rencontrons deux positions extrêmes dans ce débat: pour certains, Dieu est Père, car la Bible enseigne que le vrai Dieu est masculin1. Pour d’autres, Dieu peut être « Mère » ; il est juste de vénérer une divinité féminine.

Nous montrerons en quoi ces deux positions sont théologiquement erronées et pourquoi il faut continuer à appeler Dieu « Père ». Mais il faudra aussi comprendre ce qu’est réellement la paternité de Dieu et retrouver, dans son indubitable vérité, le visage de ce Père que les hommes défigurent si souvent.

I. UNE THESE EN VOGUE : IL NE FAUT PLUS APPELER DIEU « PERE »

A) Arguments des partisans de cette thèse

L’une des principales raisons motivant la mobilisation de plusieurs théologiens et fidèles pour ne plus appeler Dieu «

Père » est que cette appellation semble nuire à la place de la femme dans l’Église.

En effet, à partir de l’appellation Dieu le Père, on a souvent déduit que Dieu est masculin. Cette conceptualisation au masculin aboutit à affirmer l’infériorité et la soumission des femmes.

Il est vrai, comme le note Claudette Marquet2, que la figure bien biblique de Dieu comme Père a été utilisée à des fins douteuses : faire de la religion une affaire d’hommes.

Mais le débat au sujet de Dieu Père/Mère repose sur d’autres arguments que ceux qui s’appuient sur l’évolution de la société, car il vise surtout à dépasser le sexisme. Ces arguments, que nous allons brièvement mentionner, s’appuient sur l’Écriture, la tradition, l’herméneutique et la linguistique.

1. Dieu est aussi mère, maternel

Bien que surtout masculines, les références que la Bible contient pour parler de Dieu sont aussi maternelles. Même si le symbolisme maternel n’est pas dominant dans l’Écriture, l’Israël ancien a loué certaines qualités maternelles de Dieu3. Ainsi, notre Père céleste aime comme une mère. Dieu montre de la tendresse, il porte dans ses bras, il connaît les douleurs de l’enfantement…4

2. Langage paternel comme accommodation culturelle

Bien qu’inspiré par Dieu, le langage de l’Écriture est humain, lié à une culture et à un langage donnés. Si la Bible a surtout un langage masculin, ce serait par accommodation de Dieu à une culture patriarcale. Ce ne serait pas la vérité finale. De même, lorsque Dieu tolère l’esclavage et la polygamie : ce n’est pas qu’il approuve ces pratiques, mais il s’agit d’une accommodation.

3. La transcendance de Dieu

Cette doctrine théologique est au cœur du débat. Elle est utilisée par les partisans comme par les adversaires d’un Dieu uniquement Père. L’argument avancé est le suivant : à cause de la transcendance divine, aucun langage humain n’est adéquat pour le définir. Le mot Père ne se réfère pas plus directement à Dieu qu’un autre mot. Les références féminines sont tout aussi appropriées et valables que les références masculines pour parler de Dieu. Elles se complètent sans contradiction ? sinon, comment le même Dieu pourrait-il occuper à la fois la fonction de Père et celle d’Époux ?

B) Les propositions de substitution

Pour toutes les raisons invoquées, des théologiens ne veulent plus appeler Dieu « Père ». Leurs propositions de remplacement sont diverses, mais soit elles sont hérétiques, soit elles créent encore plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.
Selon les partisans du langage inclusif, Dieu doit être appelé « Père » et « Mère » à la fois, ou « parent » au lieu de « Père ». Comme nous le verrons, cette solution ne respecte pas la transcendance de Dieu.

II. POURQUOI IL FAUT MAINTENIR LA PATERNITE DE DIEU

C. S. Lewis disait que Dieu lui-même a révélé comment nous devons lui parler. Le danger de renommer Dieu « Mère » ou autrement est de vouloir exercer une autorité sur Dieu. De plus, d’une nouvelle appellation de Dieu, on dérive vite vers une nouvelle compréhension de Dieu : le Dieu qui s’est révélé à nous dans la Bible est remplacé par un Dieu que nous inventons pour répondre à nos besoins.

Alors, oui, il faut continuer d’appeler Dieu « Père » ; mais qu’entend-on par cette appellation ?

A) La transcendance de Dieu : ni masculin ni féminin

Nous ne pouvons pas définir Dieu. Dieu, par définition, transcende l’expérience humaine et son langage. Il est le Tout Autre. Il est Esprit (Jean 4.24). Si l’homme et la femme ressemblent à Dieu (Gen 1), Dieu ne ressemble ni à l’homme ni à la femme. Si l’homme/père ressemble à Dieu le Père, Dieu le Père ne ressemble pas aux pères de cette terre. Il s’agit de « notre Père qui est aux cieux » et non pas d’un père humain. L’A.T. prend souvent la peine d’ajouter un « comme » quand il s’agit de comparer Dieu à des personnages humains, ou sous-entend un « à plus forte raison Dieu… »5

Dieu transcende les métaphores : en Osée 11.1-11, certains voient la preuve de la masculinité de Dieu ; or, le v. 9 dit bien : « Mais je suis Dieu, pas un homme. » L’imagerie biblique reste indirecte. L’emploi de mots théologiques masculins pour Dieu n’indique pas plus la masculinité de Dieu que l’emploi d’images féminines sur Dieu n’indique sa féminité.

C’est pourquoi, citer les références où Dieu est lié à des connotations féminines apporte peu : ce n’est pas parce qu’un mot pour parler de Dieu est féminin que c’est une preuve de sa féminité. De même, la terminologie masculine seule est un argument insuffisant pour prouver théologiquement la masculinité de Dieu. D’ailleurs, Dieu est parfois comparé à un rocher, à une lumière… c’est-à-dire à des éléments neutres. Le vrai problème vient de l’équation faite entre Dieu comme père et Dieu masculin. Si un père est un homme, pour Dieu, être Père n’est pas du tout être masculin. Dieu n’est ni masculin ni féminin. Dieu a introduit la différenciation sexuelle dans la création, il a créé la sexualité. Il n’est pas lui-même sexué. De même qu’il a créé le temps, mais n’est pas temporel. Peut-être nous faut-il ici nous rappeler le premier commandement.

En bref, la Bible ne dit pas que Dieu est masculin, elle dit qu’il est Père, de même que le Royaume de Dieu n’est pas un grain de moutarde. Attention à « l’hérésie anthropomorphique » ! Définir Dieu comme masculin ou féminin, catégories finies, est une erreur théologique, incompatible avec sa nature infinie, absolue et transcendante. Les raisons de sa paternité sont à chercher ailleurs.

B) Le primat de la théologie paternelle d’adoption sur la théologie maternelle

Avoir un Dieu Père, c’est rappeler que l’homme est créé et non engendré. Il y a une rupture nécessaire de substance entre l’homme et Dieu, aucun lien naturel entre les deux. En effet, si la maternité est naturelle, la paternité est culturelle. Un père a besoin de devenir le père de son enfant, de le reconnaître. Ce qui qualifie la paternité, c’est l’adoption de l’enfant, tandis que la mère sait par nature que son enfant est d’elle-même, qu’il est la suite d’elle-même.

On voit ici se dessiner deux théologies différentes :
– la théologie maternelle, où la nature est reine et même déesse (terre et mère se confondent), avec la prépondérance de l’immanence, voire un panthéisme qu’on retrouve dans les religions anciennes, en particulier dans celles dont Israël a dû se démarquer ;

– la théologie paternelle, où père et ciel se confondent, et où il y a nécessairement distance entre le père et le fils ; il y a donc adoption et même élection du fils par le père qui garde toujours une certaine transcendance par rapport à ses enfants, et à ses fils en particulier.

Ainsi, toute l’histoire d’Israël est celle d’un fils aîné, élu, et d’un père dont la paternité n’est jamais considérée comme naturelle, allant de soi : Israël refuse constamment de vivre en fils soumis, ce qui contraint sans cesse Dieu à le « réadopter ». Dans cette optique, la paternité est le type de relation qui caractérise le mieux la relation entre Israël et Dieu.

C) La rupture avec les cultes de la fertilité

Ce n’est pas par antiféminisme qu’Israël devait rejeter toute idée de déesse et accepter la paternité de Dieu. Israël devait comprendre que son Dieu n’était pas comme les déesses de la fertilité, qu’il était au-dessus de toute sexualité : il n’est pas un Dieu masculin avec une femelle consort. C’est par sa seule volonté qu’il a créé le monde et non par une union sexuelle avec une déesse.

Dans les religions où les dieux sont sexués, ils ont des besoins sexuels qu’il faut satisfaire pour obtenir fécondité et prospérité. Les rites religieux incluaient donc souvent du libertinage spirituel. Chez les Hébreux, pas de divinisation du sexe, pas de possibilité d’amadouer Dieu par des rites sexuels. Il ne faut pas y voir une preuve d’antiféminisme, ni une victoire d’un Dieu mâle sur une déesse, mais une attitude en accord avec le culte de l’Éternel. C’est pourquoi toute projection sexuelle humaine sur Dieu était proscrite.

D) Paternité et Trinité

La compréhension chrétienne de la paternité divine est, selon Matt 11.27, que Dieu le Père est d’abord le Père de son Fils Jésus. Cette paternité est définie par sa relation exclusive avec son Fils Jésus : Dieu le Père est ainsi nommé à cause de ses liens avec le Fils.

D’ailleurs, jamais Paul n’appelle Dieu « notre » Père sans parler du Christ dans le contexte. De même, les premiers chrétiens vont invoquer Dieu comme Père — mais comme Père de Jésus-Christ. Cette paternité traduit une autorité et une confiance. C’est donc dans un sens trinitaire et non patriarcal qu’il faut comprendre le terme Père.

E) La « paternité maternelle » de Dieu

La pensée trinitaire permet de dépasser le patriarcalisme théologique pour une autre raison : le Père de Jésus est le Père maternel. Le concept de paternité pour Dieu doit être compris comme concept de « génitorité » : il est celui qui engendre le Fils et sa paternité est très maternelle.

F) La paternité de Dieu, sceau de mon adoption

Dans l’A.T., la paternité de Dieu était limitée à Israël. Le terme Père indiquait l’origine de la nation, mais aussi une relation personnelle avec elle. Dans le N.T., Dieu se révèle, non plus comme Père de la nation, mais comme le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, et aussi le Père des chrétiens. La paternité de Dieu et l’adoption de l’homme sont le plus grand miracle, synonyme de justification. Le nom de Père accolé à Dieu ne me dit rien sur la masculinité de Dieu ; il me dit la qualité d’enfant qui est la mienne. En disant « notre Père » nous savons que notre relation filiale est très réelle. Quand on dit paternité, on dit adoption : la Bible parle plus de Dieu comme notre Père que de nous les croyants comme ses enfants. Mais l’un implique l’autre.

G) Abba, Père

L’usage du terme Abba, tel qu’il se présente dans la prière du Christ, constitue un emploi unique. En effet, ce mot araméen n’était employé que pour désigner le père au sens naturel ou adoptif. Il n’était jamais employé par un juif comme invocation à Dieu dans une prière.

Jésus, en choisissant Abba, montre ainsi sa relation unique au Père, et il prépare les disciples à la révélation du mystère filial du Père avec eux. De plus, Jésus met l’accent, non sur les traits masculins et patriarcaux, mais sur la proximité. Jésus ne veut pas évoquer un sexe particulier ni une autorité, mais indiquer la relation intime que nous avons avec le Père qui prend soin de nous: on est aimés, protégés, chéris, nourris. Jésus nous invite à entrer dans cette relation avec l’Abba, relation où il voit chacun de nos mouvements, se soucie de chacune de nos larmes. C’est une profonde intimité, une relation paternelle et maternelle.

C’est également un terme qui révèle un état de détresse. C’est dans la solitude et la détresse de Gethsémané que Jésus a appelé Abba. Ce disant, il montre que son Dieu est si proche qu’il se laisse nommer même dans la détresse.

CONCLUSION

Face aux questions suscitées par le symbole du Dieu Père, deux précautions sont utiles :
– La prise en compte, dans toute la Bible, des images féminines parlant de Dieu, afin de trouver un langage religieux moins sexiste, exprimant mieux la transcendance de Dieu, car il est bien vrai que Dieu est un père maternel. Selon les actes ou les sentiments de Dieu auxquels on se réfère, on utilisera un vocabulaire tantôt féminin, tantôt masculin.
– L’analyse rigoureuse du concept de paternité attribué à Dieu, car le symbole du Dieu Père a été souvent mal compris, assimilé à une masculinité de Dieu.
Ainsi, nous nous garderons de deux erreurs :
– En arriver à appeler Dieu « Père et Mère ». Le faire revient à oublier que Dieu est transcendant ; c’est encourager l’attribution erronée d’une « sexuation » en Dieu au lieu de l’abolir. Or, toute attribution à Dieu d’une sexualité est un retour au paganisme.
– Utiliser la paternité de Dieu pour justifier la suprématie mâle, ce qui est une aberration.

Ces égarements ne doivent pas nous faire perdre de vue que Dieu s’est révélé à nous comme Père et qu’il veut qu’on le prie ainsi. Si l’on peut avancer plusieurs raisons théologiques pour éclairer ce choix de la paternité, nous restons en présence d’un mystère qui nous dépasse, et nous rappelle notre finitude face à l’Être infini. Toutefois, la venue du Christ est la manifestation suprême de la paternité de Dieu. Christ appelle Dieu Abba, indiquant par là que cette paternité est synonyme de filiation, d’adoption, et de tendresse. Dieu comme Père n’est pas un argument dans la guerre des sexes, mais une vérité théologique, un article de foi et un sujet de louange.

Avec confiance, réapprenons à dire : « Je crois en Dieu le Père. »

1Remarquons qu’en réfléchissant à la paternité de Dieu, on s’inscrit dans une réflexion plus large : le Dieu de la Bible est-il une divinité masculine ? Certains auteurs soulignent que la Bible présente, en effet, Dieu avec des attributs et des fonctions très masculins. Il dirige une armée, exerce le jugement, est comme un mari, un père, un roi, il a des noms masculins et les pronoms pour parler de lui sont masculins. De plus, il s’incarne en un homme, Jésus.
2Claudette Marquet, Femme et homme il les créa…, Les Bergers et les Mages, Paris, 1984, p. 181.
3Quelques références bibliques (directes ou indirectes) : Gen 3.21 ; Nom 11.12 ; Deut 32.18b ; Néh 9.21 ; Osée 11.1-4 ; És 1.2 ; 42.14 ; 46.3 ; 49.14-15 ; 66.11,13 ; Ps 91.4 ; 131.2 ; Luc 15.8-10.
4Relevons le terme rahamim, qui signifie « tendresse », souvent celle de Dieu pour son peuple ; c’est le pluriel de « sein maternel, uterus » : ce terme confère à la bienveillance de Dieu un caractère de tendresse quasi charnelle.
5Voir Ps 103.13; Luc 11.11-13.

Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page
Dossier : Egaux mais différents
 

Duval-Poujol Valérie
Valérie Duval-Poujol est baptiste, femme de pasteur, doctorante en histoire des religions à la Sorbonne et en théologie à l'Institut catholique de Paris, professeur de grec biblique (à l'Institut catholique de Paris). Elle est l’auteur de Les 10 Clés pour comprendre la Bible, éditions Empreinte Temps présent. Cet article est le résumé d’un texte initialement publié dans la Revue Réformée, n° 217, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la revue. Le lecteur intéressé par le sujet y trouvera des compléments et de nombreuses notes et références bibliographiques.