La nouvelle naissance précède-t-elle la foi ?
Cet article a été initialement publié par la revue La Bonne Nouvelle (n° 2/2005, p. 567-569) dans une forme légèrement différente.
Paul-André Dubois, aujourd’hui à la retraite, a exercé des fonctions pastorales au Portugal et en Suisse. Il a également assumé des tâches d’enseignement et de direction à l’Ecole biblique de Genève (actuellement Institut Biblique de Genève). Il est encore actif dans l’enseignement de l’écriture et dans des tâches rédactionnelles (revue La Bonne Nouvelle).
Certains théologiens, mus par le désir louable de ne pas attribuer le moindre mérite à l’homme dans l’obtention du salut, et d’exclure toute espèce de contribution humaine qui porterait atteinte à la gloire de Dieu, placent la foi après la régénération (ou « nouvelle naissance »). Pour eux, dans l’ordre logique, le pécheur doit être régénéré par l’Esprit de Dieu pour croire. La foi ne précéderait pas la régénération ; elle la suivrait, au contraire, comme l’effet suit la cause. Mais cette thèse nous mène dans un chemin sans issue et confine à l’absurde.
A. Deux impasses
La position ci-dessus se heurte à deux difficultés majeures.
1. La foi n’a plus de fonction claire dans l’expérience du salut
Selon l’Écriture, un homme régénéré ou né de nouveau est par définition « un homme sauvé », au plein sens du terme, de façon tout à fait effective. Il est passé de la mort à la vie : « II nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous aurions faites, mais selon sa miséricorde, par le bain de la régénération et le renouvellement du Saint-Esprit, qu’il a répandu sur nous avec abondance par Jésus-Christ notre Sauveur, afin que, justifiés par sa grâce, nous devenions, en espérance, héritiers de la vie éternelle. » (Tite 3.5-7)
Le salut effectif évoqué par Paul inclut, outre la régénération, la justification gratuite (« justifiés par sa grâce ») et la résurrection finale du corps du racheté au retour en gloire de Jésus-Christ (« héritiers en espérance de la vie éternelle », cf. Rom 8.23-24). Cela fait partie de l’héritage de celui qui est devenu une nouvelle créature en Jésus-Christ.
Si l’on affirme que la foi suit la régénération comme son fruit, quel peut donc être son rôle dans le processus du salut ? Où est sa place, quel est son sens, si l’on peut être régénéré — et donc sauvé — sans elle ? En quoi est-elle encore nécessaire ?
2. Les affirmations de l’Écriture sur le rôle de la foi dans le processus du salut deviennent caduques
La foi occupe une place déterminante dans les préalables au salut. Qu’il suffise de rappeler ici quelques textes fondateurs sur ce point.
* Un message sans équivoque
– Jean 3.16 : « … afin que quiconque croit en lui […] ait la vie éternelle. »
– Jean 3.36 : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle … »
– Jean 5.24 : « Celui qui écoute ma parole, et qui croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ». Séquence : « parole » ? « foi » ? « vie éternelle »
– Act 15.9 : (Pierre à propos des païens) Dieu a « purifié leurs cœurs par la foi. »
– Act 16.31 : « Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé … »
– Rom 5.1 : « Étant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu. »
– Rom 10.9 : « Si tu confesses de ta bouche le Seigneur Jésus, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. » (Remarquez le futur « tu seras sauvé » : sans la foi, personne n’est sauvé. Son rôle est « premier », primordial.)
* Un passage-clé
– Éph 2.8,9 : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi, et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. ».
Ce passage est crucial sur le plan de la doctrine, car l’apôtre définit et articule nettement le rôle de la foi par rapport au salut. Il est clair que, dans la pensée de Paul, la grâce — et elle seule — est la source, la cause, et le fondement du salut. Nous ne devons donc pas attribuer à la foi ce que l’Écriture ne lui attribue pas. Mais il est tout aussi évident que c’est « à travers » la foi que nous sommes sauvés. Il s’agit d’un passage obligé. Pas de salut pour qui que ce soit sans la foi. Elle est le moyen voulu de Dieu, et désigné par lui, pour atteindre le salut. On ne peut donc postuler une « régénération » qui précéderait la foi, qui l’escamoterait, et qui — pour comble — en serait la cause !
Mais alors, que devient la gloire de Dieu ? Il est vrai que ceux qui soutiennent la thèse d’une régénération antérieure à la foi sont désireux de tout attribuer à Dieu : ils défendent et chérissent avec jalousie sa gloire. Mais l’apôtre tout autant, sinon davantage ! Et il le montre en précisant au verset 8, après avoir désigné la foi comme moyen de salut : « et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. » Et, pour qu’il n’y ait aucune équivoque, il précise : « Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. »
J’aimerais affirmer que ceux qui placent la foi avant la régénération, convaincus que c’est là l’enseignement de l’Écriture, sont tout aussi soucieux de la gloire de Dieu. Ils n’attribuent rien à l’homme, mais tout à la seule grâce de Dieu (v. 8). Pour eux, personne ne peut croire en Jésus-Christ de façon salvatrice sans l’action prévenante et efficace de la grâce, selon la déclaration sans appel du Seigneur : « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire. » (Jean 6.44) Mais cette action souveraine du Père par l’Esprit Saint, ce labourage de la conscience, de l’intelligence et du cœur de l’homme, n’équivaut pas à la régénération et ne doit pas lui être assimilée. Elle laisse intacte la responsabilité de l’homme dans le fait de croire à l’Évangile et en Jésus-Christ (cf. Marc 1.15).
* Le salut, une œuvre de Dieu dans sa totalité
Cet « acte de foi », inconcevable sans l’intervention de la grâce, ne correspond en rien à une œuvre dont la créature pourrait se prévaloir. Au contraire, nous devons tout notre salut à Dieu seul, et la foi en fait partie. Elle est « le germe » du salut suite à l’action de la semence de Dieu dans le cœur : « La semence, c’est la parole de Dieu. » (Luc 8.11 ; cf. 1 Pi 1.22-25 ; Rom 10.17)
Ce passage d’Éphésiens 2 est lumineux, car, après avoir montré l’absolue nécessité de l’œuvre de Dieu dans nos cœurs, il en dévoile l’aboutissement concret, visible : « Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d’avance, afin que nous les pratiquions. » (v. 10) Nous sommes « son ouvrage » en vertu d’une « nouvelle création » opérée en Christ, en qui nous sommes et qui est en nous par la foi. La boucle est donc bouclée.
B. Confirmation : les étapes de la nouvelle naissance selon Jean
L’apôtre Jean, dans le prologue de son Évangile (1.1-13), rappelle aussi avec clarté les phases et les conditions de cette « gestation spirituelle ». Ce passage est explicite quant aux étapes qui mènent à la nouvelle naissance spirituelle. Pour bien les comprendre, il faut d’abord se pencher sur les réalités résumées dans les versets 1 à 11. Jean y parle de la Parole divine (le Logos), égale à Dieu et préexistant auprès de lui de toute éternité, nommée aussi « la Lumière » avant et après l’événement extraordinaire de l’Incarnation. L’évangéliste fait ensuite remarquer que la nation d’Israël n’a pas voulu recevoir son Messie-Sauveur, la Parole incarnée :
« Elle est venue chez les siens, et les siens ne l’ont point reçue. » (v. 11)
Voilà pour l’attitude d’Israël en tant que nation : rejet, fin de non recevoir. Mettons ce verset en contraste avec le v. 12 : « Mais à tous ceux qui l’ont reçue [on dépasse ici les limites de la nation juive], à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés, non du sang, ni la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. »
Voici la séquence établie par ce texte :
a) Accueil de la Parole incarnée en la personne historique de Jésus-Christ
Cette Parole, qui n’a pas été connue par le monde (pourtant fait par elle, cf. v. 10), qui a été rejetée par les siens, les Juifs (à qui cependant elle était destinée en priorité), trouve finalement un accueil auprès d’une multitude d’individus juifs et païens auxquels elle s’est révélée à travers l’Évangile. Tous ceux-ci ont perçu sa nature, son caractère, les traits distinctifs de sa Personne, et ont mis définitivement leur confiance en elle : « …à ceux qui croient en son nom ». Le nom renferme la totalité des attributs de Celui en qui l’on se repose pour le temps et l’éternité.
La foi, qui est l’expression même de l’accueil favorable1 réservé à Jésus-Christ, la Parole incarnée, est une vraie et complète adhésion à la personne et à l’œuvre du Messie prédit et révélé par la Parole écrite (cf. És 42.1 ; 49.1-7; 52.13 ; 53.10,11).
On peut même franchir un pas de plus et dire que la foi mène à une vraie union avec le Seigneur ressuscité, car par elle s’établit un lien de vie2 entre le croyant et Jésus-Christ, l’objet de la foi (cf. 1 Cor 6.17).
b) Régénération (nouvelle naissance)
« …elle [la Parole faite chair] leur a donné le pouvoir3 de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. » (v. 12b et 13)
En raccourci, voici le commentaire du grand exégète F. Godet (xixe siècle) sur ce passage : « Jean se plaît à faire éclater les conséquences salutaires et glorieuses de l’accueil fait à la Parole par les individus croyants de tous les peuples. Cet hôte divin a conféré à ceux qui l’ont reçu des privilèges dignes de lui. L’apôtre en indique deux, dont l’un est la condition pour obtenir l’autre : une nouvelle position vis-à-vis de Dieu, et, dans cette position nouvelle, la participation à sa vie parfaite. » Dans le temps, ces deux faveurs sont accordées simultanément.
La position nouvelle est « celle de réconcilié ou de justifié, en vertu de laquelle il (le croyant) peut recevoir le pneuma, l’Esprit de Dieu, qui est chez lui le principe d’une vie divine. Par la possession de cette vie, il devient teknon Theou, enfant de Dieu. Cette expression renferme plus que l’idée de l’adoption (huiothesia, chez Paul), qui correspondrait plutôt à l’état de justifié … Le terme teknon, du verbe tiktein, engendrer, implique la communication réelle de la vie de Dieu, tandis que le mot huios, fils, ne dépasse pas nécessairement l’idée de l’adoption. » […]
Quant à la foi de l’homme, « qui rend apte à être engendré de Dieu », voici ce que Godet en dit : « Ce n’est pas en elle-même qu’est le secret de sa puissance ; car elle n’est que simple réceptivité ; c’est dans son objet. »4 Godet n’exalte pas la foi elle-même, mais le Christ glorieux qu’elle contemple et qui la suscite (cf. Héb 12.2).
C. Conclusion
La promesse de Dieu est pleinement digne d’être reçue : « Si tu confesses de ta bouche le Seigneur Jésus, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé. Car en croyant du cœur on parvient à la justice, et en confessant de la bouche on parvient au salut, selon ce que dit l’Écriture : Quiconque croit en lui ne sera pas confus. » (Rom 10.9-11)
1Bien des prédicateurs et théologiens n’ont aucune sympathie pour la formule « accepter Jésus-Christ », qu’ils jugent offensante en regard de la majesté de sa Personne à qui, par ce langage, l’on semble « faire une faveur ». Ils soulignent à juste titre que c’est lui qui nous reçoit en sa communion : « Je ne mettrai pas dehors celui qui vient à moi. » (Jean 6.37) Toutefois le verbe « recevoir » (prendre, saisir) est biblique !
2La justification gratuite obtenue par la foi (cf. Rom 5.1), est une « justification de vie » (texte grec de Rom 5.18). Segond traduit : « … qui donne la vie ».
3« le pouvoir », c’est-à-dire le droit, le privilège.
4F. Godet, L’Évangile de Saint Jean, 2e édition, 1877.