Dossier: Ces crises qui nous harcèlent…
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Noté CCC

Depuis le début de la crise financière mondiale, les agences de notation sont sur le devant de la scène. Ce sont des organismes privés qui donnent une note sur la solidité financière d’une entreprise, d’un pays ou d’une organisation présente sur les marchés financiers. Leur importance s’est considérablement accrue depuis une quinzaine d’années car la réglementation de nombreux acteurs financiers (banques, assurances, fonds de pension, sociétés de gestion, etc.) oblige ces acteurs à se référer aux notes de ces agences pour estimer les risques qu’ils prennent sur leurs investissements. Les notes s’étagent de AAA (la meilleure note : l’organisme ainsi noté est censé avoir une probabilité infime d’être en faillite) à D (l’émetteur est « en défaut » avéré, c’est-à-dire incapable de rembourser tout ou partie de sa dette).1 La note précédant D est CCC, qui dénote un risque de défaut très important, avec peu d’espoir d’amélioration.

Un événement important s’est produit le 5 août 2011 : l’agence Standard & Poor’s a dégradé la note de l’État américain, la faisant passer de AAA à AA+ (un cran en dessous), en raison de l’augmentation croissante du déficit public des États-Unis. En janvier 2012, plusieurs pays européens (dont la France) ont également « perdu leur AAA ».

L’objet de cet article n’est pas de donner un cours sur les agences, ni de chercher à retracer les tenants et aboutissants ô combien complexes de la crise que nous connaissons depuis juillet 2007. Nous chercherons plutôt à voir quelles en sont les racines morales. Au risque de caricaturer, il est possible de la résumer par un « CCC » : cupidité, court terme et crise de la confiance. En dépit de son arrière-plan historique chrétien, notre monde occidental reçoit une note morale tout proche du défaut. Pour chacun de ces trois « C », nous regarderons ce que la Bible nous enseigne et quelle doit être notre attitude de chrétien.

La cupidité

L’origine

La crise a commencé en 2007 aux États-Unis, par une crise immobilière et financière. Des officines peu scrupuleuses, insuffisamment régulées, se sont mises à offrir des crédits immobiliers à des taux très intéressants. Les vendeurs étaient commissionnés en fonction du nombre de prêts placés et n’hésitaient pas à surévaluer sciemment les revenus des emprunteurs pour faire accepter le dossier par les banques. Ces dernières fermaient les yeux, car les crédits sortaient aussitôt de leur bilan pour être cédés à des investisseurs, rassurés à tort par des notes favorables données par les fameuses agences de notation. Tout le monde semblait gagner largement à ce système, sans prendre de grands risques : le vendeur augmentait ses commissions, le banquier ses marges, l’investisseur son rendement. La machine s’est peu à peu emballée et dès que les acheteurs n’ont plus pu rembourser, elle s’est enrayée.

La vision biblique

On est étonné de voir la sévérité avec laquelle Paul parle de la cupidité : « Sachez-le bien, aucun cupide, c’est-à-dire idolâtre, n’a d’héritage dans le royaume de Christ et de Dieu. » (Éph 5.5) Pour lui, ce péché est aussi grave que l’adultère et il l’assimile à de l’idolâtrie ! Jésus, déjà, avertissait du danger de Mammon, la personnification de l’argent, dieu rival dont le service nous éloigne de celui de notre Père céleste (Mat 6.25). Notre christianisme a été tellement influencé par notre civilisation matérialiste que l’amour de l’argent est maintenant plus que toléré : il est minimisé, excusé, justifié.

L’exemple de Christ

Et pourtant, le « chrétien » (celui qui suit Christ) connaît celui qui « pour nous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin que par sa pauvreté nous soyons enrichis. » (2 Cor 8.9) Lui seul n’a jamais montré le moindre soupçon d’amour des richesses.

L’attitude qui tranche

Comment résister à la cupidité ambiante ? En devenant pauvre ? Peut-être, si Dieu nous le montre. En tout cas, en cultivant :

–  le contentement — qui nous évite de convoiter toujours plus d’argent ou de biens matériels et qui nous fait apprécier tout ce que nous avons déjà ;

le don de soi — qui nous ouvre à l’autre à la suite de notre Seigneur et combat notre égoïsme).

 Le court terme

L’origine

Un autre élément caractéristique de la crise actuelle est la focalisation sur le court terme. L’augmentation des prix de l’immobilier aux États-Unis a mis en branle un mécanisme pervers : il était possible d’augmenter son emprunt immobilier en fonction de la revalorisation de la valeur de sa maison et d’utiliser cet argent pour acheter des biens de consommation. C’est ainsi que le taux d’épargne des ménages américains est devenu négatif : ils dépensaient plus qu’ils ne gagnaient ! Cela permettait d’avoir tout immédiatement, sans être obligé d’épargner. De même, les banques et les investisseurs finaux ont privilégié le profit à court terme, gage de valorisation boursière immédiate, aux dépens d’une juste appréciation des risques à long terme.

Ce qui est vrai au niveau individuel l’est aussi sur le plan national : depuis des décennies, les budgets nationaux sont en déficit structurel. Les États dépensent plus qu’ils ne gagnent et s’endettent au détriment des générations futures. Cela permet d’assurer un niveau de vie plus élevé à court terme aux actifs et aux retraités (qui sont des votants…) et ceux-ci laissent aux générations futures (les enfants qui ne votent pas !) le fardeau de rembourser le monceau de dettes ainsi accumulé2.

La vision biblique

L’impatience conduit facilement à de mauvaises décisions, parfois lourdes de conséquences. C’est parce qu’il n’a pas su attendre le temps requis que Saül a perdu le royaume (1 Sam 15). Les décisions que nous devons prendre sont à mettre en perspective avec le résultat à long terme, avec le fruit éternel qui sera vu lors du retour du Seigneur. La Bible encourage à « voir loin » (cf. 2 Pi 1.9, qui met en garde contre la myopie spirituelle).

Sur le plan collectif, un bon exemple est celui de la gestion du cycle de prospérité et de sécheresse par Joseph : il a conseillé opportunément au Pharaon de mettre de côté 20 % des récoltes abondantes pour préparer les années difficiles qu’il avait vues dans le rêve du monarque. Face au déficit croissant de nos systèmes de retraite et à l’évolution démographique pénalisante de beaucoup de pays européens, nos gouvernants se trouveraient bien de s’inspirer d’une telle sagesse…3

L’exemple de Christ

Quand Lazare était malade, Christ a su attendre son heure pour accomplir son œuvre ; il a regardé aux fruits à long terme de ses souffrances (Héb 12.2). Il montre cette même patience aujourd’hui dans l’attente de ses noces célestes (2 Thes 3.5).

L’attitude qui tranche

Notre esprit n’est pas naturellement patient ou enclin à voir à long terme. Réfléchissons à divers exemples bibliques qui nous encouragent à voir plus loin que le besoin immédiat : le juste est comparé au cèdre, dont la croissance est lente mais qui porte du fruit jusqu’à la vieillesse (Ps 92.13-16) ; Moïse a préféré la « rémunération » future aux joies immédiates et impures de l’Égypte (Héb 11.26) ; l’épreuve actuelle produit « plus tard » le fruit paisible de la justice (Héb 12.11) ; Jacques donne en exemple le laboureur qui doit attendre que le grain semé lève, etc. Remettons donc nos décisions et nos désirs dans la perspective de l’éternité.

La crise de la confiance

L’origine

Le dernier « C » qui explique la crise économique actuelle est lié à la confiance. Dès que la crise s’est propagée à l’ensemble du système financier, la confiance a disparu. Depuis plus de 4 ans, dès que les tensions s’accroissent, les banques arrêtent presque de se prêter les unes aux autres, entraînant la paralysie des échanges interbancaires, cruciaux pour assurer la fluidité de l’économie. Elles n’acceptent de prêter qu’aux banques centrales, seules dignes de confiance car directement liées aux États. La faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers en septembre 2008 a entraîné un traumatisme durable.

Ce manque de confiance s’est encore accru lorsque, fin 2008, le financier Bernard Madoff a révélé son système pyramidal frauduleux : fort de la confiance que suscitait son passé prestigieux de président d’une des principales bourses américaines, il récoltait sans cesse de nouveaux fonds avec lesquels il remboursait les fonds précédents — jusqu’au moment où trop d’investisseurs ont voulu retirer leur argent en même temps : il n’a plus pu payer, ce qui a provoqué un trou estimé à 50 milliards de dollars.

Depuis, l’absence de confiance a gagné par contagion jusqu’aux États. Venus au secours des banques et de l’économie pour juguler quelque peu la crise qui a suivi la faillite de Lehman Brothers, leur endettement a augmenté de façon vertigineuse. À l’heure où cet article est rédigé, plusieurs pays (dont la Grèce, le Portugal ou l’Irlande) n’ont plus d’accès aux sources de refinancement habituels et doivent être soutenus par des instances internationales. L’« indignation » dans ces pays s’accroît, en même temps que diminue la confiance dans les gouvernements pour juguler la crise.

La vision biblique

La confiance est une vertu chrétienne majeure, mais elle n’exclut pas la prudence : si l’amour « croit tout », le Seigneur a averti les siens : « Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents. » (Mat 10.16)

Bernard Madoff était vu comme un « dieu » des affaires, capable de générer un rendement élevé chaque année, mais « mieux vaut mettre sa confiance en l’Éternel que de se confier dans les grands. » (Ps 118.9)

L’exemple de Christ

Qui mieux que lui a été l’homme qui se confiait en Dieu (Ps 16.1 ; 22.9) ? Il a su témoigner la même confiance en envoyant ses disciples ; mais, en même temps, il savait ne pas se fier aveuglément à des signes extérieurs de piété (Jean 2.24).

L’attitude qui tranche

L’auteur de l’Épître aux Hébreux nous encourage : « Ne vous livrez pas à l’amour de l’argent ; contentez-vous de ce que vous avez ; car Dieu lui-même a dit : Je ne te délaisserai point, et je ne t’abandonnerai point. C’est donc avec assurance que nous pouvons dire : Le Seigneur est mon aide, je ne craindrai rien ; que peut me faire un homme ? » (Héb 13.5-6) Ce verset relie de façon instructive le refus de la cupidité (notre premier « C ») avec la confiance (notre troisième « C »). Dans la mesure où nous nous appuierons sans réserve sur Dieu, nous pourrons accepter de faire confiance aux autres, quitte à être parfois déçus…

La crise que traverse le monde économique (et en premier lieu les États qui ont le plus été infusés par le christianisme) est sévère. Elle préfigure la crise généralisée qui précèdera le retour de Jésus-Christ sur terre (cf. Apoc 18). Mais en attendant sa venue prochaine, nous pouvons refuser le « CCC ». Décidons de :

– vivre dans la sobriété en refusant la cupidité,

–  voir notre Dieu comme le maître de l’histoire en refusant de tout sacrifier au court terme,

refuser la crise de confiance. Confions-nous plutôt pleinement en Celui qui prendra soin de nous chaque jour.

1 Les trois principales sont Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch. D’autres agences tentent de se développer, mais elles ont un rayonnement et une importance moindres. Elles adoptent peu ou prou le même système de notation, sauf que Moody’s remplace les 2e et 3e lettres par un « a » au lieu de doubler ou tripler la 1re. Par exemple, « BBB » sera traduit « Baa » chez Moody’s. — Par ailleurs, « CCC » se lit « triple C ».
2 La théorie économique est partagée sur la pertinence d’autoriser ou non un déficit. Mais les économistes sont désormais unanimes pour reconnaître qu’il existe un niveau au-delà duquel la dette n’est plus « soutenable ». C’est d’autant plus vrai pour les pays qui ont une dynamique démographique négative à terme (moins de naissances que de décès).
3 Au contraire, en France, le Fonds de Réserve des Retraites, prévu à l’origine pour atténuer l’impact du choc démographique sur le régime de retraite de la Sécurité sociale, a vu son montant ne jamais être abondé comme prévu initialement et même être réduit récemment.

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Prohin Joël
Joël Prohin est marié et père de deux filles. Il travaille dans la finance en région parisienne, tout en s'impliquant activement dans l’enseignement biblique, dans son église locale, par internet, dans des conférences ou à travers des revues chrétiennes.