Pédagogie
Socialisation ou individualisation de l’enseignement
Réglé et discipliné, à l’instar du bon militaire de jadis, le «hussard noir» de la République est aux ordres d’une idéologie. Donc, point de réflexion, point d’interrogation: il suffit d’appliquer les ordres.
Mes collègues français qui enseignent dans les collèges de 1’Hexagone ne se reconnaîtront guère dans ce portrait peu flatteur. Ils auront raison. Car un professeur, c’est avant tout une individualité qui réfléchit.
Mais la réflexion n’est qu’ une petite parcelle de la vocation qui anime tout véritable pédagogue. Car encore faut-il disposer des moyens qui permettront la mise en oeuvre d’actes pédagogiques. Souvent le professeur ne peut que philosopher sur la tâche qui lui est confiée. Les classes sont surchargées, les réunions pédagogiques peu suivies, les moeurs dissolues, les parents inexistants, l’administration trop impersonnelle, la politique trop envahissante, etc. Alors que faire? La majorité silencieuse avance bon gré mal gré jusqu’à l’âge de la retraite, d’autres militent dans le syndicalisme, d’autres encore commentent avec ironie la versatilité des divers ministères de l’ éducation nationale.
Les chercheurs qui «opèrent» dans les départements des sciences de l’éducation s’évertuent à nous faire comprendre qu’il existe une «potion magique» qui, à long terme, va répondre aux désirs des familles et des enseignants. Et l’on insiste sur l’idée que l’Ecole construit le citoyen de demain.
C’est pourquoi l’Etat doit non seulement surveiller les écoles, mais encore les orienter vers ses propres fins. Qu’il nous suffise ici de rappeler que cette philosophie de l’éducation se fonde sur la doctrine de Hegel, pour qui l’Etat est la réalisation la plus parfaite de l’Idée, soit sur les conceptions politiques d’un Platon ou même d’un Aristote. Ce qui constitue essentiellement ces philosophies, c’est la prévalence de la Société sur l’Individu et le droit de celle-là de disposer des destinées de celui-ci. Qu’il s’agisse d’une société passée dont on déplore la disparition, de la société présente que l’on veut conserver, ou de celle dont on prépare l’avènement, c’est toujours au nom de la collectivité que l’on décide d’imprimer une forme à la personne.
L’enseignant chrétien peut s’interroger sur le bien-fondé d’une telle philosophie de l’éducation. Nous répondrons à cette question en affirmant que l’individualisation ne peut exister que dans le rapport de l’individualité avec la société. En d’autres termes, la communication pédagogique implique l’existence avec autrui. La richesse de la communication réside précisément dans les différences individuelles, du moins dans celles qui répondent aux meilleures possibilités de l’individu. Ces différences donnent alors un sens et une efficacité à la réciprocité des pensées et des services. Un Etat qui veillerait sur le bon fonctionnement de l’Ecole en s’appuyant sur le droit naturel de l’individualité contribuerait forcément au bien-être des personnes et de la société. Par contre, l’Etat qui s’inspire de la théorie hégélienne détruit ses citoyens et ses institutions. L’exemple des pays de l’Est témoigne de cette triste réalité.
Maintenant nous pouvons mieux définir l’enseignant. Celui-ci, avant d’être un fonctionnaire noyé dans une vaste institution, est une individualité qui a appris à mettre au service des autres ses meilleures possibilités. Mais notre philosophie fait surgir une autre question: Existe-t-il un lieu académique qui sait faire travailler les possibilités de l’individualité?
L’immobilisme de la pensée occidentale dans la philosophie de l’individualisation explique pourquoi nous avons dû rester fermes dans la foi lors de nos études universitaires. Pour revenir à une conception saine du rôle de l’individualité, l’université devrait avoir atteint l’aube des temps modernes où des Lefèbvre d’EtapIe, des Erasme, des Luther, des Calvin et des Ramus osèrent braver la prétentieuse Sorbonne, en remontant à une source plus ancienne que la pensée grecque, à savoir la Parole de Dieu. Tout lecteur familier de la Bible est frappé par la place que l’Ecriture sainte fait à l’individualité. Mais il s’agit d’abord de la place de l’individu dans ses rapports avec Dieu. C’est pourquoi notre philosophie de l’éducation est exclusivement créationniste.
C’est donc avec raison que le professeur chrétien insistera sur l’individualisation dans l’enseignement. Nous restons persuadés que cette démarche pédagogique est réalisable, dans une certaine mesure, même dans le cadre de l’école publique. C’est pourquoi notre philosophie de l’éducation ne cherche pas à opposer l’école privée à l’école publique. Et nous n’oublions pas non plus que l’école publique française de Jules Ferry fut une réaction en grande partie légitime à l’intolérance pédagogique de l’Eglise romaine. Aujourd’hui, l’on voudrait nous faire oublier ce que cette Eglise fit aux écoles de la Réforme… Cette réécriture de l’histoire nous paraît bien artificielle.
Ainsi, notre discours pédagogique doit plutôt tendre à instrumenter l’enseignement. C’est ainsi que naîtra peut-être une nouvelle mentalité scolaire, mentalité qui doit d’abord naître dans les familles.Le concept de l’individualisation transforme le professeur en un véritable formateur et fait de l’élève une individualité à part entière. Sans entrer dans des considérations techniques, disons que les périodes de correction sont les plus propices à la pédagogie de l’individualisation. Cette pédagogie accorde une place importante aux méthodes actives, sans pour autant délaisser le mode traditionnel.
Le concept de l’individualisation s’inspire des Proverbes 2, verset 2: Mon fils, ( …) incline ton coeur à l’intelligence. L’instruction de la Bible s’adresse d’abord au coeur. Si nous méprisons la dimension affective, telle qu’elle est enseignée dans la Bible, notre école, qu’elle soit privée ou publique, deviendra en peu de temps un lieu de contestation et de faillite.