Dossier: Décrypter l’actualité
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Prêchons à partir de l’actualité

Un contexte saturé par l’actualité

Selon le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel1, un Français âgé de plus de 4 ans regarde en moyenne la télévision quotidiennement pendant 3h46 et écoute la radio pendant 2h56 ; les heures de fréquentation les plus élevées correspondent souvent aux journaux ou aux flashs d’actualité. S’y ajoute la presse : le quotidien est plutôt en perte de vitesse, mais elle est revitalisée par les journaux gratuits dans les grandes villes ; les hebdomadaires d’information générale ou thématiques continuent à être largement diffusés. Et depuis la démocratisation des smartphones, chacun peut consulter à tout moment des applications d’information qui lui permettent d’être informé en temps réel des événements du monde — sans parler des fils d’actualité sur Facebook, Twitter, etc. La conclusion est évidente : l’homme du début du xxie siècle est environné par l’actualité, saturé de news, abreuvé d’informations de toute part.

Ces informations revêtent deux aspects :

– l’actualité, qui décrit et décrypte ce qui se passe dans le monde, les événements politiques, sociaux, économiques, sportifs, de société, etc. ;

– l’information « indirecte », dans laquelle transparaît l’état d’esprit du monde qui nous entoure. Par exemple, lorsqu’un journal féminin traite d’un dossier de mode ou fait un reportage sur les relations professionnelles, sa façon de présenter le thème communique implicitement une vision de la société, du rôle et de la place de la femme.

Le croyant, qu’il le veuille ou non, est baigné dans cette atmosphère. Il est donc absolument nécessaire qu’il ait une vision chrétienne sur les sujets traités sinon c’est la vision séculière du monde qui prendra la place ! Or certains ne sont pas (ou pas encore) armés pour analyser, décoder ou critiquer les informations directes ou indirectes qu’ils reçoivent. C’est donc la responsabilité particulière de ceux qui ont reçu du Seigneur la charge d’enseigner le peuple de Dieu de veiller à transmettre la norme biblique — et souvent aussi de fournir l’antidote aux idées contraires à la pensée divine véhiculées par les médias. Prêchons donc à partir de l’actualité ! Et servons-nous aussi de l’actualité comme « point d’accroche » intéressant pour les auditeurs, pour introduire un sujet plus directement biblique.

Comment prêcher à partir de l’actualité

Quelle(s) actualité(s) choisir ?

Face à la montagne d’informations qui arrivent à tout moment, il est important de faire un tri et de retenir les actualités les plus pertinentes et les plus structurantes :

– les grands événements dans le monde : une catastrophe naturelle, le décès d’une personnalité marquante, une victoire sportive, un mariage princier, un événement économique, etc. : par exemple, une catastrophe aérienne pourra conduire à un appel à la conversion et la nécessité de se mettre en règle avec Dieu sans attendre, car la mort peut nous surprendre à tout âge ;

– ce qui se passe dans l’Église au sens large : par exemple, l’élection d’un nouveau pape sera l’occasion d’indiquer avec sobriété, tact et douceur pourquoi les évangéliques ne reconnaissent pas son autorité et quelles sont les sources d’autorité dans l’Église selon la Bible ;

– les grands débats d’idées : c’est sans doute l’information la plus difficile à décrypter, car elle n’est pas toujours explicite, mais c’est également la plus nécessaire ; par exemple, les magazines féminins titrent souvent sur « se réaliser soi-même », « moi d’abord », « je prends du temps pour moi » ; pour apporter le contrepoint, on pourra apporter une réflexion sur ce que signifie : prendre sa croix, mourir à soi-même, réussir vraiment sa vie selon Dieu.

Comment insérer des éléments d’actualité dans les prédications ?

– L’actualité peut constituer le thème de la prédication : par exemple, le dimanche qui suit la gay pride2 peut être l’occasion d’aborder le thème délicat de l’homosexualité et de la vision biblique des relations sexuelles.

– D’autres fois, l’actualité fournira l’accroche de la prédication : par exemple, une victoire de l’équipe nationale de football permettra d’introduire un message sur les « vainqueurs » dans le livre de l’Apocalypse, qui montrera quelle est la vraie victoire qui compte pour Dieu.

– Parfois, l’actualité ne sera abordée que par des illustrations ou des exemples au cours de la prédication, qui permettront de mieux faire le lien entre le texte biblique et l’application concrète dans la vie de chacun : par exemple, lors d’un message sur le prophète Amos et sa dénonciation de l’injustice sociale, on pourra évoquer l’étonnant succès de librairie du livre de l’économiste français Thomas Piketty3 qui démontre la montée des inégalités de revenus dans le monde.

– Enfin, l’actualité donnera aussi des analogies : par exemple, un déraillement ferroviaire sera évoqué pour avertir sur les différentes façons de « dérailler » dans sa vie chrétienne.

Quand parler de l’actualité ?

Le prédicateur pourra s’inspirer du calendrier laïc ou religieux : si Noël ou Pâques sont généralement des moments forts de la vie ecclésiale, d’autres fêtes moins marquées fourniront l’opportunité pour aborder certains thèmes :

– un dimanche aux alentours de la Toussaint conduira à évoquer le sujet de la mort (mort du chrétien, comment « bien » mourir, ce qu’il y a après la mort) ;

– un dimanche autour du 14 juillet4 sera utilisé pour faire ressortir comment le chrétien peut vivre d’une certaine manière le ferment révolutionnaire de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, par exemple à partir de l’Épître aux Galates5.

À qui parler de l’actualité ?

Les réflexions sur et à partir de l’actualité ne se limitent pas à la prédication ex cathedra du dimanche ! Elles ont également toute leur place dans des groupes de jeunes, dans les écoles du dimanche, dans les rencontres du groupe de sœurs, lors de partages autour de la Bible entre amis, lors du culte familial quotidien6, etc.

D’une manière générale, ces réflexions sont d’autant plus nécessaires que les personnes ont peu de connaissance ou d’expérience. Les chrétiens plus matures, eux, ont « le jugement exercé par l’usage à discerner ce qui est bien et ce qui est mal » (Héb 5.14). L’important est chaque fois de faire ressortir les principes bibliques intangibles face aux principes du monde, mouvants et si souvent opposés à la pensée de Dieu.

Des exemples bibliques

Les écrivains bibliques nous encouragent à utiliser l’actualité : eux-mêmes l’ont fait ! Prenons deux exemples :

– Le prophète Joël introduit son message par une réflexion très vivante sur une invasion de sauterelles. Cette catastrophe naturelle avait dévasté le pays et il en tire des enseignements à la fois prophétiques — elle annonce une invasion guerrière future — et moraux — le renouvellement spirituel qui peut suivre, si l’on retourne vers Dieu qui alors remplacera « les années qu’ont dévorées la sauterelle, le jélek, le hasil et le gazam » (Joël 2.25).

– En Luc 13, « quelques personnes qui se trouvaient là racontaient à Jésus ce qui était arrivé à des Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices ». Jésus en profita pour donner un principe théologique majeur (« Croyez-vous que ces Galiléens aient été de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, parce qu’ils ont souffert de la sorte ? » — dans un monde marqué par la généralité du péché, il ne faut pas chercher systématiquement des relations de cause à effet7) et faire un appel vibrant (« Mais si vous ne vous repentez, vous périrez tous également »), tout en citant une autre actualité, celle de la tour de Siloé qui était tombée sur 18 personnes (il était au courant du nombre exact !).

Dangers et limites

Pour autant, l’actualité ne saurait constituer le centre de la prédication ! La matière première (dans tous les sens du terme) du message est la Bible et celui qu’elle présente, Jésus Christ — pas le flot continuel des informations du monde. Il est donc utile de donner quelques précautions :

Ne cherchons pas à projeter nos propres idées ou notre propre culture

Cherchons à bien distinguer le principe divin intangible, valable en tout temps et en tout lieu, de sa mise en œuvre ici et maintenant dont les modalités peuvent varier. Un exemple classique est celui de la tenue des femmes : si, à l’époque des apôtres Paul ou Pierre, avoir les cheveux tressés était un signe de sophistication ostentatoire et prétentieuse (1 Tim 2 ; 1 Pi 3), porter deux tresses est aujourd’hui en France une coiffure particulièrement modeste. Nous serons d’autant plus crédibles que nous serons très attentifs à ne pas mettre sur le même plan les enseignements positifs de la Bible et nos opinions personnelles. Cela est très important lorsque nous enseignons des personnes plus jeunes ou moins affermies, qui risqueraient vite de suivre non l’enseignement biblique, mais nos propres idées ou façons de faire.

Ne prenons pas parti dans des querelles inutiles pour les chrétiens

Le croyant n’a pas forcément à se mêler de tous les débats de son siècle. « Comme celui qui saisit un chien par les oreilles, ainsi est un passant qui s’irrite pour une querelle où il n’a que faire », avertit le livre des Proverbes (Prov 26.17). Par exemple, se positionner sur l’opportunité du retour en politique de tel gouvernant battu aux précédentes élections n’est ni utile ni nécessaire.

Ne pensons pas trouver systématiquement dans la Bible un texte qui s’applique directement à la situation historique

Depuis le début de l’histoire de l’Église, des commentateurs ont cru trouver dans la Bible des textes correspondant exactement à l’actualité du moment. Des prophètes et plus encore l’Apocalypse ont souvent été lus comme s’ils décrivaient les événements en train de se produire. Certains textes écrits au cours des deux Guerres mondiales ou, plus près de nous, lors de l’apogée de l’Empire soviétique ou de la guerre du Golfe, montrent a posteriori à quels errements cela peut conduire. Le temps de la prophétie n’est pas le temps des médias ! S’il y a sans doute un jour à venir où certains textes bibliques prendront une signification directe, soyons très prudents actuellement et cherchons avant tout à voir quels sont les principes sous-jacents qui sont en œuvre et sur lesquels la Parole de Dieu jette une lumière intemporelle.

Ne limitons pas nos prédications aux seuls sujets pouvant avoir un lien avec l’actualité

Certains sujets théologiques ne sont jamais d’actualité et ne le seront jamais ! Par exemple, il est fondamental de présenter régulièrement en église le déploiement magistral du plan de Dieu en Éphésiens 1.3-14, qui transcende les petits événements du monde pour embrasser le projet divin d’une éternité à l’autre.

1 Le CSA est l’instance régulatrice de la télévision et de la radio en France. Tiré des Chiffres clés de l’audiovisuel, 1 er semestre 2014.
2 La gay pride est une manifestation organisée chaque année dans plusieurs grandes villes occidentales pour revendiquer les droits des homosexuels, bisexuels et transsexuels.
3 Son livre, Le Capital au XXIe siècle, un pavé de 960 pages paru en 2013, a été diffusé à plus de 600 000 exemplaires (chiffre à fin 2014), dont 450 000 en anglais.
4 Jour de la fête nationale française. La devise de la France est « liberté, égalité, fraternité ».
5 On peut répartir les 6 chapitres de l’Épître aux Galates ainsi : la liberté nouvelle du chrétien, avec l’exemple de Paul (ch. 1 et 2), l’égalité de tous les croyants en Christ (ch. 3 et 4) et la fraternité des croyants, invités à s’aimer, se servir et porter les charges les uns des autres (ch. 5 et 6).
6 Relire l’encouragement à cette pratique, qui tombe hélas en désuétude, dans l’article d’André Adoul, «  Le culte de famille  », Promesses 188, qui évoque d’ailleurs l’utilisation de l’actualité.
7Ce travers n’a malheureusement pas été évité lors du tremblement de terre en Haïti du 12 janvier 2010 et les commentaires peu appropriés de certains leaders évangéliques ont porté du discrédit à la foi chrétienne.

 

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Prohin Joël
Joël Prohin est marié et père de deux filles. Il travaille dans la finance en région parisienne, tout en s'impliquant activement dans l’enseignement biblique, dans son église locale, par internet, dans des conférences ou à travers des revues chrétiennes.