Révélation de Jésus-Christ (Apocalypse 1.1-8)
Révélation de Jésus-Christ (Apocalypse 1.1-8)
1. Révélation
Commençons au commencement. Le Petit Larousse définit le terme « révélation » comme une « action de Dieu faisant connaître aux hommes les vérités que leur raison ne saurait découvrir ». Le mot grec apocalypsîs signifie littéralement : l’enlèvement du voile qui cache un objet. Dieu met en lumière des vérités cachées appelées « mystères » dans l’Écriture. Mais la révélation est-elle possible ? La vérité absolue peut-elle être exprimée dans les termes relatifs du langage humain ? Bien que l’homme ne puisse trouver Dieu en le cherchant, Dieu, dans son amour et sa sagesse infinis, peut trouver un moyen de parler à l’homme. Par la Parole incarnée et écrite, il a daigné communiquer sa pensée à l’humanité.
Dans la Bible, la révélation est un fait historiquement saisissable : ses intermédiaires sont connus, et leurs paroles ont été conservées. Croire, pour un chrétien, c’est accueillir cette révélation qui parvient aux hommes portée par l’histoire.
Le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse de Jean est, par définition même, une révélation (v. 1). Non plus centrée sur la vie terrestre de Jésus, mais sur les conséquences de sa mort et de sa victoire, et orientée vers sa manifestation finale. Gardons en mémoire que ce mot révélation souligne l’origine divine, unique et sûre des textes que nous allons méditer : loin d’être le fruit de réflexions philosophiques humaines, de tâtonnements mystiques ou du développement naturel de la pensée religieuse selon un quelconque schéma évolutionniste, ces textes nous viennent de Dieu et sont, par conséquent, dignes de foi.
2. Dieu
Source de la Révélation, Dieu se laisse découvrir par le biais d’une liste de noms propres et de titres riches de signification.
• « Celui qui est, qui était, et qui vient » (1.4,8c) : L’expression est une anomalie grammaticale en grec : 1° la préposition apo (de la part de) est suivie d’un nominatif et non du génitif habituel ; 2° en l’absence d’un participe passé, l’imparfait én (était) est précédé d’un article. Fautes de l’auteur ? Il semble plutôt que celui-ci subordonne sciemment une « mauvaise » grammaire à une théologie majestueuse pour nous livrer une paraphrase du Nom ineffable (le tétragrammaton YHVH) par lequel Dieu s’était révélé à Moïse (Ex 3.14-15). L’expression se présente donc comme un titre qui exprime quelque chose au sujet du caractère de Dieu : celui qui existe éternellement en lui-même, sans début ni fin, et qui ne change pas. Ce titre fortifiera la foi de l’Église persécutée, en lui rappelant que Dieu, éternel et immuable, exerce un contrôle souverain sur le cours de l’histoire.
• « Je suis l’alpha et l’oméga » (1.8a) : Déjà les Hébreux avaient utilisé les lettres de l’alphabet comme chiffres, ou pour exprimer la totalité d’une idée ; d’où le commentaire rabbinique que « Adam avait transgressé la loi entière, d’aleph jusqu’à tau » (la première et la dernière lettres de l’alphabet hébreu). À leur tour, les Grecs et les Romains ont fait de même. Tout est en Dieu : primauté temporelle et causale du Dieu unique, suprême — vérités affirmées dans l’Ancien Testament et résumées par ce titre.
« Je suis le premier et je suis le dernier. Et hors de moi il n’y a point de Dieu. » (És 44.6) « C’est moi qui suis le premier, c’est aussi moi qui suis le dernier. Ma main a fondé la terre, et ma droite a étendu les cieux. » (És 48.12-13)
Il s’agit du Nom qui est au-dessus de tout autre nom où sont concentrées toute dignité, toute majesté et toute gloire en une Personne divine, unique et sublime, sans frontière géographique ni limitation historique. Détail remarquable : ce titre est attribué au début et à la fin du livre, d’abord à Dieu le Père (1.8 ; 21.6) mais aussi à Dieu le Fils (12.13 ; 21.13).
• « Le Seigneur Dieu » (1.8b) : Le titre grec kurios (maître ou seigneur), correspond à l’hébreu Adonaï : c’est le titre d’autorité suprême, attribué à Celui qui domine, qui règne sur la création, sur l’humanité et sur l’histoire. Source d’encouragement pour les Églises d’Asie exposées à la persécution. Notre réponse à nous ? Accepter sa seigneurie et nous y soumettre avec joie et sans réserve.
• « Le Tout-Puissant » (1.8d) : C’est la traduction donnée par la version des Septante de l’expression « l’Éternel des armées célestes » (en hébreu, YHVH Sebaot). Ce titre pourrait aussi correspondre à l’hébreu El Schaddaï : celui qui fortifie, enrichit, satisfait… et châtie son peuple. Ici l’allusion se rapporte moins à l’omnipotence divine qu’à la suprématie totale que Dieu exerce. Notons aussi que ce titre a une résonance messianique : le Fils qui nous est donné (És 9.5) est appelé, entre autres, « Dieu puissant ».
3. Jésus-Christ
Jean intitule son ouvrage « Révélation de Jésus-Christ ». Le petit mot « de » peut signifier :
– soit la possession : la Révélation appartient à Jésus-Christ, car « Dieu la lui a donnée » ;
– soit le thème central du livre : la Révélation est « au sujet de Jésus-Christ », elle le concerne en premier lieu ;
– soit que Jésus-Christ est l’agent de la Révélation, chargé de la transmettre, comme dit la suite du texte : « pour montrer à ses serviteurs […] et qu’il [Jésus-Christ] a fait connaître, par l’envoi de son ange, à son serviteur Jean. »
L’un de ces sens n’exclut pas les autres, car la proclamation est de Christ : il la possède et en assume l’entière responsabilité. De plus, elle le concerne, elle est centrée sur lui : la clé de la compréhension de l’Apocalypse est donc une lecture « christologique ». Mais le sens direct ici est peut-être le troisième : le Père confie au Fils la tâche de transmettre le message, comme le disent clairement les deux premiers versets, d’en être le « Révélateur », ce qu’il réalise en envoyant son ange à Jean. Jésus seul est digne de dicter les lettres aux sept Églises d’Asie (ch. 2-3), d’ouvrir le livre (ch. 5) et d’en dévoiler le contenu (ch. 6-8).
La désignation complète « Jésus-Christ » est utilisée trois fois dans les cinq premiers versets, et nulle part ailleurs dans la suite du livre ! Cet usage correspond au style solennel de l’entrée en matière :
• « Jésus » est tiré du grec Iésous, provenant de l’hébreu Yeshua : l’Éternel est salut. « Tu lui donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » (Mat 1.21)
• Le titre « Christ », juxtaposé au nom personnel Jésus, vient du grec Christos (oint), traduit de l’hébreu Mâshîah (oint, messie).
Le Christ, l’Oint par excellence, réunit en sa seule personne les trois offices dans lesquels, au temps de l’ancienne alliance, on entrait par une onction d’huile : prophète, sacrificateur et roi. Ces trois offices sont évoqués au v. 5 :
• « Le témoin fidèle » rappelle son onction prophétique. Jésus est le prophète définitif, le dernier et le plus grand des prophètes qui nous transmet, dans l’Apocalypse, la Révélation dernière de Dieu.
• « Le premier-né d’entre les morts » : Jésus est le souverain sacrificateur qui, par le sacrifice de lui-même, nous a acquis le salut et ouvert la voie jusqu’au Père et qui, par sa résurrection, devient le garant de notre propre résurrection.
• « Le souverain des rois de la terre » fait clairement allusion à son onction royale. Fils de David, Jésus est le « Roi des rois et le Seigneur des seigneurs », qui reviendra bientôt établir son règne sur toute la terre. Quel autre descendant de David, depuis la destruction des archives généalogiques à Jérusalem en l’an 70, pourrait prétendre à ce trône ?
• « Celui qui vient » : Le verset 7 mériterait à lui seul un article entier ! Il cite deux prophéties messianiques de l’A.T. : « Et voici que sur les nuées du ciel arriva comme un fils d’homme » (Dan 7.13) ; « Ils tourneront les regards vers moi, celui qu’ils ont transpercé. Et ils porteront son deuil. » (Zach 12.10)
Ce verset fait du retour de Jésus Christ le thème central de l’Apocalypse, et affirme son universalité : ce retour sera glorieux, visible pour tous les hommes sans limitation du temps ou de l’espace. Celui qui est — et qui nous aime — qui était — et qui nous a rachetés — celui-là même vient !1
Ainsi, l’Apocalypse fait du cœur de l’enseignement prophétique de l’Ancien Testament le centre de ses visions. Le point culminant, le seul, grand événement universel qui réunit tous les endroits, époques, races et attentes, est le retour du Seigneur, avec ses conséquences pour les croyants et les incrédules.
4. Heureux (1.3)
Voici la première des sept béatitudes distribuées à travers le livre2. Jean déclare heureux — c’est-à-dire objet de la faveur et de la bénédiction de Dieu — celui qui lit les paroles de la prophétie ; heureux aussi sont ceux qui en écoutent la lecture et la mettent en pratique. Cette béatitude reproduit presque mot pour mot celle que Jésus avait prononcée : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » (Luc 11.28) Remarquons que Jean place son ouvrage sur le même niveau que la littérature prophétique de l’Ancien Testament, et lui reconnaît une autorité morale qui appelle le lecteur croyant à une lecture et une écoute attentive, puis à un engagement dans une obéissance fidèle. Puissions-nous entendre d’emblée cette recommandation !
1 Un commentateur suggère que l’expression « avec les nuées » laisse entendre qu’il sera accompagné par les rachetés, cf. Apoc 19.14,19.
2 Pour les 6 autres, voir 14.13 ; 16.15 ; 19.9 ; 20.6 ; 22.7,14. Cf. l’article de Scott McCarty dans ce même numéro.