Dossier: 1 Corinthiens
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La Première Épître aux Corinthiens : une lettre à débats

Corinthe au 1er siècle

La situation géographique de Corinthe

Corinthe est une ville située sur l’étroit isthme de terre qui sépare le Péloponnèse et l’Hellade, approximativement au centre de la Grèce actuelle. Deux ports en dépendaient : Cenchrée (Rom 16.1), à 6 km à l’est, sur le golfe d’Égine et Lechaion, à 3 km au nord, sur le golfe de Corinthe.
Corinthe était une ville très active, un centre commercial majeur, favorisé par sa situation géographique. Afin d’éviter un long contournement du Péloponnèse, les bateaux étaient transportés entre les deux golfes.
Corinthe était aussi renommée pour ses arts et ses techniques : plus industrieuse que sa voisine Athènes, elle ne comportait pas d’université de renom mais les habitants y partageaient néanmoins le goût des joutes verbales et des questions philosophiques.

La situation historique de Corinthe

Dans sa période grecque, Corinthe fut une ville florissante, la cité-mère de plusieurs colonies importantes, dont Syracuse. Elle fut l’alliée de Sparte contre Athènes pendant les guerres du Péloponnèse. À la suite d’un soulèvement, elle fut brûlée en –146 par les Romains.
Après un siècle, s’ouvrit la période romaine lorsque la cité fut rebâtie par Jules César en –44. Elle devint rapidement la cité grecque la plus prospère et la plus puissante, capitale de la province romaine de l’Achaïe, gouvernée par un proconsul ; avec environ 100 000 habitants, elle faisait partie des cinq plus grandes villes de l’Empire et, comme colonie romaine, elle disposait de liaisons fréquentes avec Rome1 .

La situation morale de Corinthe

Corinthe était réputée dans l’Antiquité pour être :
 Un haut lieu de l’immoralité : Le temple d’Aphrodite (la déesse de l’amour et de la fertilité, liée à l’Astarté ou Astaroth des Phéniciens), situé à 600 m au sommet de la colline dominant la ville, était dédié à un culte comportant des orgies impures et de la prostitution sacrée ; on dit que mille prêtresses y officiaient. La ville, comme beaucoup de ports, était réputée pour sa vie dissolue : les visiteurs y venaient comme dans une ville de plaisirs, où les tarifs étaient élevés. Tout cela s’inscrivait dans le contexte général de la Grèce antique : l’homosexualité y était fréquente et l’infidélité conjugale était considérée comme normale.
 Un haut lieu des loisirs : tous les deux ans, la ville était le siège des Jeux Isthmiques, les seconds en importance après les Jeux Olympiques.
Des parallèles sont faciles à tracer entre notre contexte culturel et celui des Corinthiens : développement économique, richesses, échanges faciles, sports et loisirs, licence morale…
L’actualité de cette Épître n’en est que plus grande.

L’enjeu de la contextualisation

Bien d’autres détails culturels pourraient être ajoutés : historiens et théologiens ont creusé et recreusé le contexte de l’Épître pour essayer d’expliquer les passages les plus délicats. Certainement, il est très utile de connaître l’arrière-plan des destinataires pour comprendre la lettre2  et de nouvelles découvertes apportent régulièrement des lumières sur telle portion jusque-là obscure.
Toutefois, il serait dommage de relativiser à outrance les enseignements de l’Épître en se retranchant derrière les spécificités de la situation des Corinthiens. Paul souligne d’entrée que la portée de sa lettre va au-delà de cette église locale pour concerner « tous ceux qui invoquent en quelque lieu que ce soit le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, leur Seigneur et le nôtre » (1.2). Au cours de l’Épître, il répétera sous diverses formes qu’il leur donne le même enseignement qu’aux autres églises locales (4.17 ; 7.17 ; 11.16 ; 14.33 ; 16.1).
Comme toutes les Épîtres du N.T., 1 Corinthiens nous présente donc des vérités générales « en situation », dans un contexte particulier. Il faudra garder l’équilibre entre la relativisation du message liée à la contextualisation et le maintien de son universalité.
Naturellement, plus nous trouverons dans d’autres Épîtres des échos d’un enseignement donné ici, plus son universalité sera évidente. Et si, sur tel texte délicat, nous n’avons pas toutes les précisions que nous souhaiterions, peut-être est-ce une indication pour être prudent afin de laisser suffisamment de flexibilité aux adaptations propres à chaque contexte, à chaque époque, à chaque lieu.

L’apôtre Paul et l’église de Corinthe

La fondation de l’église

C’est au cours de son second voyage missionnaire que Paul a fondé l’église de Corinthe (Act 18.1-18 ; cf. 4.14-15). Il est resté dix-huit mois (de fin 50 à début 52), œuvrant d’abord comme fabricant de tentes pour subvenir à ses besoins avant de travailler à plein temps pour évangéliser et enseigner. Après son départ, Apollos y a développé un ministère fécond (cf. 3.6).

La situation de l’église
Au travers des Actes et des deux lettres qui nous sont conservées, il est possible de donner quelques caractéristiques de l’église au moment où Paul lui écrit :
 Elle est grande : « un peuple nombreux » (Act 18.10).
 Elle est jeune : quand Paul rédige 1 Corinthiens, vraisemblablement mi-54, cela fait tout au plus 4 ans que les plus anciens se sont convertis.
 Elle est mixte : comme ailleurs, s’y côtoient des chrétiens d’origine juive et d’autres — majoritaires — d’origine païenne ; quelques chrétiens riches ainsi que beaucoup de pauvres et d’esclaves (cf. 1.26).
 Elle est immature : Paul leur reproche d’être restés des enfants (14.20 ; 3.1) et d’être encore charnels (3.2-3).
 Elle est orgueilleuse, fière de ses dons et de sa liberté (4.18 ; 5.2).
 Elle est divisée entre factions rivales (11.18-19 ; 1.10-13).

Lettres et visites : les relations ultérieures

Après son départ, Paul a continué à entretenir des liens avec l’église de Corinthe, alimentés par des visites et des lettres. Le tableau ci-dessous tente de résumer les interactions complexes entre eux :

DateNatureRéférence
visite50-521ère visite de Paul : fondation de l’église par PaulActes 18.1-21 52
lettre52Lettre de Paul aux Corinthiens : « 0 » CorinthiensJe vous ai écrit dans la lettre… (1 Cor 5.9)
lettre53Lettre des Corinthiens à PaulPour ce qui est des choses au sujet desquelles voum’avez écrit… (1 Cor 7.1)
visite54Visite de TimothéeJe vous ai envoyé Timothée… (1 Cor 4.17)
lettre54Lettre de Paul aux Corinthiens : 1 Corinthiens
visite54/552e visite de Paul, rapide : conflitCette 3° fois je suis prêt à aller auprès de vous… (2 Cor 12.14)
lettre55Lettre « sévère » : « 1,5 » CorinthiensJe vous ai écrit dans une grande affliction (2 Cor 2.4)
visite55/6Visite de TiteDieu nous a consolés par la venue de Tite (2 Cor 7.6)
lettre56Lettre de Paul aux Corinthiens : 2 Corinthiens
visite56/573e visite de Paul : finalisation de la collecteJe vais à Jérusalem, étant occupé au service des saints ; car la Macédoine et l’Achaïe ont trouvé bon de subvenir, par une contribution, aux besoins des pauvres d’entre les saints qui sont à Jérusalem (Rom 15.25-26)

Au total, cinq lettres ont été échangées, auxquelles s’ajoutent trois séjours de Paul et deux visites de ses associés. Lorsque Paul écrit sa Première Épître, il a déjà écrit une lettre aux Corinthiens et en a reçu une de leur part. De plus, il vient de leur envoyer Timothée pour essayer de régler certains points. Dieu n’a pas permis que ces deux lettres soient conservées, ce qui rend plus difficile la compréhension de certains points précis de l’Épître. En particulier, il semble que, à plusieurs reprises, Paul cite des extraits de la lettre des Corinthiens pour réfuter une partie de leur argumentation. 3

La structure de la lettre

La double occasion de la lettre

Paul a deux raisons pour écrire sa lettre :
 Il a reçu des visites de chrétiens de Corinthe : les « gens de Chloé » sont venus avec des nouvelles alarmantes (1.11), qui corroboraient celles colportées par la rumeur publique (5.1 ; 11.18). D’autres frères de Corinthe sont également venus vers Paul (16.17). L’apôtre veut donc répondre à ces nouvelles inquiétantes (ch. 1 à 6).
 Paul a aussi reçu une lettre de la part des Corinthiens et répond à leurs   questions : « Pour ce qui concerne les choses au sujet desquelles vous m’avez écrit… » (7.1) La même expression « pour ce qui concerne » se retrouve litt. en 7.1,25 ; 8.1,4 ; 12.1 ; 16.1,12. Les ch. 7 à 16 sont consacrés à ces réponses.
Ainsi l’Épître se divise très simplement en deux grandes parties :

Introduction et action de grâces  1.1-9 
A. Les problèmes à régler dans l’église à Corinthe1.10-6.20
     1. Le problème des divisions dans l’égliseimmoralité intellectuelle 1.10-4.21
     2. Le problème de l’incesteimmoralité sexuelle 5.1-13
     3. Le problème des procès entre frèresimmoralité relationnelle 6.1-11
     4. Le problème du laxisme moralimmoralité corporelle 6.12-20
B. Les questions posées par l’église à Corinthe  7.1-16.18 
     1. Les questions sur le mariage et le célibatdésordre moral7.1-40
     2. La question sur la liberté chrétiennedésordre comportemental8.1-11.1
     3. Les questions (implicites) sur l’ordre dans l’églisedésordre liturgique11.2-34
     4. La question sur les manifestations spirituellesdésordre charismatique12.1-14.40
     5. La question (non formulée) de la résurrectiondésordre doctrinal15.1-58 16.1-18
     6. Les questions sur les prochaines visites à Corinthe désordre relationneldésordre relationnel16,1-18
Conclusion et salutations  16.19-24 

Notons que Paul commence par le sujet des divisions dans l’église et il y consacre plus de 80 versets. Si nous avions dû écrire à une assemblée où plusieurs niaient la résurrection, où un cas d’inceste avéré était toléré, où les fidèles se faisaient des procès, où le repas du Seigneur était bafoué, etc., aurions-nous commencé par ce thème ? Sans doute pas ! C’est dire à quel point pour Paul ce problème était important. Nous considérons parfois avec légèreté les divisions dans l’église et déguisons des questions de personnes derrière des prétextes doctrinaux ; sachons, comme l’apôtre, les aborder de front. Le plan de l’Épître nous enseigne !

Le thème général de la lettre

1 Corinthiens est une Épître riche de sujets très variés ; elle se résume mal dans une formule lapidaire et l’on peine à y discerner un thème fédérateur unique. Les nouvelles reçues étaient diverses et les questions également ; aussi Paul est-il conduit à traiter de nombreux thèmes.
Néanmoins deux grandes lignes parcourent toute l’Épître et unifient les deux grandes parties :
 Les conflits internes : ils se marquent par les divisions (1-4), les procès (6), les comportements lors du repas du Seigneur (11), les opinions sur les dons spirituels (12) et les carences de leadership (16), etc.
 Les compromis culturels : les Corinthiens avaient beaucoup de peine à rompre avec leur arrière-plan, tant moral qu’intellectuel, que ce soit par rapport à la sagesse (1), à l’immoralité (6), au mariage (7), aux repas dans les temples (10), à la conduite des femmes (11), à la résurrection (15), etc.

Une lettre de sujets « chauds »

Une lettre actuelle

1 Corinthiens est une lettre de contestation… et une lettre contestée ! Nous y trouvons nombre de questions « chaudes », au 1er siècle comme au 21e ! Il est frappant que cette Épître, qui commence par une critique virulente de Paul contre les divisions, traite des sujets qui ont été le plus fréquemment la cause de divisions au cours de l’histoire de l’Église. Qu’il suffise de citer : la cène, le baptême de l’Esprit, le parler en langues, le rôle des femmes dans l’Église, l’excommunication, le don de prophétie, les relations sexuelles, le divorce, le célibat, etc.
Pour les traiter, Paul s’adresse à notre être entier : à l’intelligence (10.15), à la conscience (8.12) et au cœur (14.1).
1 Corinthiens est aussi l’Épître des « demi-versets ». Nous y trouvons des expressions qu’il est facile de sortir de leur contexte pour confirmer des idées a priori :
– « Celui qui ne se marie pas fait mieux » (7.38, Darby) pour imposer le célibat ;
– « Tout m’est permis » (6.12) pour justifier tout comportement ;
– « Je désire que vous parliez tous en langues » (14.5) pour faire de ce don le plus recherché et le plus universel ;
– « Tous revivront en Christ » (15.22) pour prouver l’universalisme, etc.
Il est ainsi possible de faire dire à Paul le contraire de sa pensée ! Bien souvent, les divisions dans l’Église sur les thèmes de notre lettre ont été le fait de groupes qui se sont focalisés sur un aspect de la vérité en l’érigeant en absolu au détriment d’une vision équilibrée de l’ensemble de la vérité chrétienne. En remettant ces « demi-versets » dans leur contexte, nous saisissons au contraire ce que l’Esprit veut nous communiquer.
L’étude de 1 Corinthiens nécessite donc une exégèse soigneuse basée sur une herméneutique solide. Et si des conclusions différentes des nôtres sur des points secondaires sont tirées par des chrétiens rigoureux, attachés à l’inerrance et à la toute-suffisance de l’Écriture, écoutons-les et gardons-nous de nous diviser sur ces sujets.

Une lettre christologique

Toutes les questions traitées dans 1 Corinthiens ne sont pas toutes réglées ni solubles simplement. Ne nous laissons cependant pas envahir par elles. Car, par-dessus tout, la lettre est centrée sur une personne : Jésus-Christ, crucifié (2.2) au début et ressuscité (15.20) à la fin. Il est présent à chaque page : il n’est pas divisé (1.13) ; il est notre pâque (5.7) et nous encourage à vivre dans la pureté car il nous a acheté à grand prix (6.20). Il est celui qui est mort pour mon frère (8.11), nous prenons la cène en mémoire de lui (11.24) et il est présent dans chaque membre de son corps (12.12,27).
Et Paul de conclure « christologiquement » : « Maranatha ! [Notre Seigneur, viens !] Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec vous !

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  1. D’où la longue liste de noms de Romains 16 (lettre écrite depuis Corinthe).
  2. En particulier sur les sujets concernant l’esclavage, la relation patron-client, la place des femmes, les coutumes idolâtres, etc. Pour une approche compétente, voir le commentaire d’un spécialiste, Ben Witherington III, Conflict and Community in Corinth: A Socio-Rhetorical Commentary on 1 and 2 Corinthians, Eerdmans, 1995.
  3. Les commentateurs ne s’accordent pas sur le nombre et l’étendue des citations. Parmi les plus sûres, citons : « Il est bon pour l’homme de ne pas toucher de femme » (7.1b), « Tout m’est permis » (6.12) ou « Nous avons tous la connaissance » (8.1b).
Prohin Joël
Joël Prohin est marié et père de deux filles. Il travaille dans la finance en région parisienne, tout en s'impliquant activement dans l’enseignement biblique, dans son église locale, par internet, dans des conférences ou à travers des revues chrétiennes.