Dossier: 1 Corinthiens
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Paul, communicant hors pair

Couper momentanément le son d’un discours télévisé permet de se concentrer sur le langage non-verbal de l’orateur. Ce langage muet a en effet autant d’impact sur l’auditeur que le langage audible. 

Couper momentanément le son d’un discours télévisé permet de se concentrer sur le langage non-verbal de l’orateur. Ce langage muet a en effet autant d’impact sur l’auditeur que le langage audible. Couper « le son théologique » de la lettre de Paul (juste le temps d’un article) nous permettra de nous concentrer sur son auteur, son attitude, sa relation avec ses lecteurs, sa pédagogie, ses émotions.

La communication de Paul est un message en soi !

Une communication fondée sur une relation bien établie

Les croyants de Corinthe connaissent bien celui qui leur adresse cette lettre. C’est celui qui leur a apporté l’évangile et a séjourné chez eux 18 mois (Act 18.1-17). La plupart d’entre eux gardent le souvenir d’un homme sans prétention, assez humble pour exercer un travail manuel, qui s’effaçait pour faire ressortir uniquement la sagesse et la puissance de Dieu (2.1-5). Il leur a écrit (5.9), puis a envoyé Timothée (4.17) pour prendre des nouvelles d’eux. À leur tour, ils lui ont écrit pour lui poser des questions.
Cette lettre s’inscrit ainsi dans une relation personnelle bien établie. Paul peut leur rappeler son autorité d’apôtre sans être accusé d’ingérence autoritaire ou méprisante. Il agit comme un père envers ses enfants bien-aimés (4.14-15) : il les aime, donc il veut le meilleur pour eux.
C’est donc tout naturellement que Paul s’identifie souvent à ses destinataires : il emploie le « nous » une cinquantaine de fois.

Une communication fondée dans la bienveillance

La bienveillance apparaît sous au moins trois formes :
 L’amour : Il agit comme un père envers ses enfants bien-aimés (4.14-15). Mais il les appelle aussi « frères », pour ne pas se mettre au-dessus d’eux.
 La reconnaissance : Il loue Dieu continuellement pour ce qu’il fait en leur faveur (1.4) et continuera de faire (1.8) jusqu’à les rendre irréprochables. Les Corinthiens ne sont pas « son projet » mais celui de Dieu ; et Dieu est fidèle. Son but n’est pas moins que les amener à « la communion de son Fils » (1.9).
 La confiance : savoir que Dieu agit, remplit Paul de confiance, sans l’empêcher de constater les erreurs de ses « enfants bien-aimés ». Il garde ainsi une haute appréciation de leur appel et de leur potentiel (1.5-7).
Paul a entendu des nouvelles attristantes et inquiétantes : des divisions apparaîtraient dans l’église (11.18). Sa bienveillance ne l’amène pas au déni mais à la prudence : « Je le crois en partie ». Il prend soin de citer discrètement sa source (1.11) : pas de dénonciation anonyme !

Une communication fondée sur le respect et l’exemplarité

Paul exprime plusieurs fois son respect envers ses interlocuteurs et leurs capacités :
 « En lui vous avez été comblés de toutes les richesses qui concernent la parole et la connaissance. » (1.5)
 « Nous savons que nous avons tous la connaissance. » (8.1)
 « Je parle comme à des hommes intelligents ; jugez vous-mêmes de ce que je dis. » (10.15 ; cf. 11.13 ; 14.20)
Paul a utilisé le même mot mais de façon ironique (« vous êtes sages/intelligents en Christ », 4.10). Ainsi il rejette l’intelligence qui prétend se justifier elle-même, mais il fait appel à l’intelligence des Corinthiens pour comprendre et juger son argumentation. Il donne des critères de décision (8.9-13) mais respecte leur liberté de décider au cas par cas (10.27).
En contrepartie Paul veille à être crédible en maintenant une exemplarité sans faille, toujours conscient de la grâce de Dieu envers lui (10.8-10).

Une communication fondée sur une pédagogie participative

Paul ne donne pas un cours magistral. Il prend à témoin ses interlocuteurs, s’appuie sur leurs acquis, les fait réfléchir. La lettre est ainsi parsemée de presqu’une centaine de questions, pour que les réponses viennent d’eux et non pas de lui. Certaines sont particulièrement fortes (10.22).
Une expression revient une dizaine de fois : « ne savez-vous pas que… ? » Il fait appel à leur savoir « spirituel » (3.16 ; 6.2-19) ; mais aussi à leur savoir très terre-à-terre concernant les propriétés du levain (5.6) ou le règlement des compétitions sportives (9.24).

Une communication ancrée dans la réalité

Paul n’est pas dans la théorie abstraite. Il traite de situations réelles, répond à des questions précises. Il cite des noms (1.12), mentionne des cas probablement identifiables (5.1), fait allusion au contexte religieux (10.19-20), parle de shopping (10.25-26) et de vie sociale (10.27-28). Il décrit en détail leur manière de prendre le repas du Seigneur. Il montre ainsi aux Corinthiens qu’il les a écoutés et compris mais aussi qu’il est bien au courant de leur vie d’église ; il leur répond d’une façon spirituelle mais pertinente par rapport à leurs préoccupations. Quand il leur parle de l’idolâtrie, il leur fait « visualiser » deux tables qu’ils connaissent bien : celle du repas du Seigneur et celle du repas des idoles-démons : l’incompatibilité de ces deux situations opposées devient évidente. Il utilise des exemples de la vie courante : planter-arroser, construire une maison, participer à une compétition sportive, etc.

Une argumentation fondée sur les Écritures

Sur la question des viandes sacrifiées aux idoles, Paul aurait pu répondre par quelques versets bien choisis de l’A.T. sur les images taillées ou les idoles, et rappeler l’injonction du « concile de Jérusalem » (Act 15.20,29). En ajoutant quelques mots d’avertissement, il aurait apporté une réponse simple et catégorique. Pourquoi prend-il la peine d’écrire trois chapitres entiers sur ce point, pour finalement ne pas répondre clairement par OUI ou par NON ? Voici quelques éléments de réponse possibles.
 On pose une question à Paul ; il répond de façon personnelle et personnalisée.
 La question est posée dans un certain contexte ; sa réponse tient compte de ce contexte.
 Il reconnaît la difficulté des problèmes posés, comprend les arguments des uns et des autres même s’il ne partage pas leurs conclusions.
 Il tient à développer les différents enjeux sous-jacents de la question de ces viandes provenant de sacrifices à des idoles : l’impact sur les frères, l’arbitrage entre liberté individuelle et la responsabilité collective, l’incohérence d’une double loyauté affichée même si non réelle, et surtout le manque de respect outrageant envers le Seigneur. Ainsi la réponse n’est pas un avis « ex cathedra » de Paul mais une démonstration argumentée et convaincante.
 Il se réfère à l’A.T. mais pas en citant un commandement. Il rappelle deux épisodes tragiques de l’histoire du peuple israélite (Ex 32 et Nom 25). Ce peuple recevait de Dieu un aliment et un breuvage spirituels. Il a voulu aussi s’asseoir pour manger et pour boire autre chose. La suite : il s’est levé pour se divertir (dans l’immoralité sexuelle) et est tombé dans l’idolâtrie. Cela a provoqué l’indignation de Dieu et entraîné un terrible châtiment. Paul ne se contente pas de réaffirmer un commandement ; il décrit les conséquences d’une désobéissance sur ce point. Des personnes intelligentes comme les Corinthiens ne peuvent que souscrire à la conclusion : « fuyez l’idolâtrie ».
Pour l’immoralité, Paul ne dit pas que c’est interdit. Il rappelle que « votre corps est le temple du Saint-Esprit » (6.19). De même pour la question des procès entre chrétiens, il met en avant le fait que les saints jugeront le monde (6.2). Aux corinthiens d’en tirer les conclusions.
Ainsi Paul cite les Écritures mais sans être légaliste, il fait réfléchir mais sans tomber dans une philosophie dénuée de fondement solide. Il ne donne pas une réponse sèche et autoritaire : il mobilise les capacités intellectuelles et spirituelles de ses frères. Ils vont le suivre dans ses conclusions par conviction personnelle et pas seulement par soumission.

Une communication qui utilise l’émotionnel… sans en abuser

Paul est apôtre et théologien, mais il a un cœur de père, il est animé par un fort sentiment de la grandeur de Dieu. On le sent tour à tour passionné (6.19-20), enthousiaste (15.51), ému (10.20-22), affectionné (4.14), triste (3.1) indigné (5.1-5).
Paul est ainsi transparent dans ses émotions mais il reste dans une démarche spirituelle. Il veut convaincre et pas séduire ou manipuler.
Sa description de l’amour (13.1-7) est très touchante. Mais sa priorité n’est pas d’éviter à tout prix les « émotions négatives » : la priorité est une juste appréciation de la réalité et de la vérité. C’est parfois un moment difficile mais indispensable pour progresser. Si nécessaire, il « appelle un chat un chat » (3.1-3 ; 6.9-11) et il pousse à une douloureuse prise de conscience : la honte (au sens de confusion momentanée ; 6.5 ; 15.34) qui permet de sortir d’une impasse1.

Conclusion

Fermeté et clarté, mais avec amour, respect et empathie : ces mots évoquent quelques aspects de la communication de Paul dans cette lettre.
Cette attitude provient avant tout des motivations profondes du communicant : amour pour Dieu, amour pour les destinataires, humilité. Mais elle se perfectionne avec l’expérience. Un message est pertinent et recevable seulement s’il est émis par une personne crédible et bienveillante, avec une vraie ouverture et de cœur et d’esprit envers les destinataires.
Cette attitude est particulièrement nécessaire en cas de décalage générationnel, culturel ou spirituel : communiquer avec des gens différents demande toujours de la bienveillance, de l’humilité, une écoute attentive, une capacité à percevoir le contexte de l’autre. La méthode interactive a un énorme avantage : le destinataire participe à l’élaboration du message, il se l’approprie plus facilement.
« Nous en parlons, non avec des discours qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu’enseigne l’Esprit, employant un langage spirituel pour les choses spirituelles. » (2.13)

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  1. NB : Cela est bien différent de la honte imposée par un tiers, qui enferme une personne dans le mépris, lui dénie toute valeur (11.22).
Lacombe Jean
Jean Lacombe a été pendant de nombreuses années missionnaire en République Démocratique du Congo, puis au Burkina-Faso. Il est depuis quelques années en Suisse, où il a rejoint une équipe qui coordonne l’activité de centres bibliques dans divers pays d’Afrique. Il est marié et père de quatre fils. Il est ancien de son église locale et s’implique également dans l’enseignement biblique.