L’Eglise selon le Nouveau Testament
T. Ernest Wilson1 a écrit : « Le but de toute œuvre missionnaire des assemblées est de planter des églises néotestamentaires sur sol indigène, totalement autonomes, sans aucune domination étrangère, et dépendant du Saint-Esprit pour leur direction et progrès. Tandis qu’on poursuit des activités médicales, éducatives et sociales, l’objet principal n’en reste pas moins l’établissement de l’église indigène ».
Cette déclaration soulève un certain nombre de questions : Qu’entend-on par églises néo-testamentaires ? Quels principes le N.T. nous donne-t-il pour l’établissement de l’Église ? Ces principes fonctionnent-ils aujourd’hui ?
A. Principes directeurs
Qu’est-ce que l’Église ?
Trois mots grecs nous aideront à comprendre la signification de ce mot.
1. Ekklésia
Ce mot vient du verbe ekkaléô, qui signifie littéralement « appeler en dehors de ». Il désignait le gouvernement municipal d’Athènes, où des représentants de différents groupes dans la société étaient appelés pour, en quelque sorte, « sortir de leurs groupes » et se réunir, se trouver ensemble dans un but précis. Ainsi, l’Église n’est ni un bâtiment ni une institution mais un rassemblement de personnes qui ont quelque chose de très important en commun : elles ont répondu à l’Évangile, la Bonne Nouvelle du Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui est venu dans le monde, a souffert et est mort pour leurs péchés, puis est ressuscité. Elles se sont repenties de leurs péchés, ont mis leur confiance en Jésus, reconnaissant en lui leur Sauveur et leur Seigneur. Pardonnées et adoptées dans la famille de Dieu, elles sont rassemblées pour des raisons que nous évoquerons plus loin.
Le mot ekklésia est utilisé dans deux sens :
• Dans un sens universel, unissant tous les croyants partout et en tout temps en une seule grande famille spirituelle. Le Seigneur, par exemple, dit à Pierre « Je bâtirai mon Église » (Mat 16.18). Paul écrit que par l’Église « la sagesse de Dieu doit être connue » (Éph 3.10).
• Dans un sens local, faisant allusion aux croyants qui se réunissent à une époque et dans un lieu particuliers, où ils agissent comme une congrégation visible, tangible. Ainsi, notre Seigneur donne des instructions à l’église locale sur la manière d’exercer la discipline (Mat 18.15-20). De nombreuses fois, les apôtres adressent leurs lettres à des églises locales. Notre étude ici sera consacrée à cette utilisation du mot.
2. Koinônia
Koinônia vient de koinos : « commun ». Le mot parle de la communauté et de l’unité. Un exemple merveilleux nous est donné dans Actes 2.41-47, où les premiers chrétiens avaient tout en commun, tandis qu’ils se consacraient à l’enseignement des apôtres, à la communion fraternelle, à la fraction du pain et à la prière.
Cette communion dans l’unité s’exprime de plusieurs manières :
• la louange et l’adoration,
• la prière,
• l’évangélisation des non-convertis,
• l’édification des croyants,
• les conseils pastoraux,
• les services sociaux.
Notre Seigneur a donné à ses disciples un exemple de ce ministère « holistique » en enseignant, prêchant, nourrissant les affamés et guérissant les malades (Mat 9.35) ; puis il les a envoyés faire la même chose (Mat 10.1s).
3. Kuriakê
Kuriakê dérive de kurios : « Seigneur ». Il nous rappelle que l’Église appartient au Seigneur ! C’est lui qui l’a fondée, qui la bâtit et qui la dirige par l’intermédiaire de la Parole et du Saint-Esprit. Il n’a pas dit à Pierre : « Je bâtirai ton Église », pas plus que : « Tu bâtiras mon Église » ni même : « Vous bâtirez votre Église ». Non ! Il a dit : « Je bâtirai mon Église ! »
Autonomie de l’église locale
Alors que les apôtres missionnaires voyageaient et prêchaient l’Évangile, ils fondaient des églises locales, les laissaient sous la direction d’anciens, et les confiaient au Seigneur (Act 14.21-23). Les premiers chapitres de l’Apocalypse contiennent des lettres adressées par le Christ individuellement à sept églises différentes, chacune de celles-ci étant responsable directement envers lui.
Une église autonome, par définition, se gouverne elle-même. Elle n’est soumise à aucun synode, conseil ou hiérarchie, soit religieux soit politique. L’Histoire dénonce la tendance vers la centralisation d’autorité qui a marqué l’évolution malsaine, non-biblique, de l’Église au travers des siècles.
L’église locale doit-elle pour autant « se débrouiller seule », indépendamment de toute relation extérieure ? Pas du tout. Les églises locales ont besoin les unes des autres pour la communion fraternelle, la communication, la collaboration et la consultation. Le peuple de Dieu est appelé à former une famille spirituelle de frères et sœurs dans la foi qui donnent, reçoivent exhortation et encouragement spirituels. En conséquence, l’église, l’assemblée locale, apprend à être responsable directement envers le Seigneur, développe la force nécessaire pour repousser toute attaque hostile, et reste assez souple pour s’adapter à la culture locale. N’ayant pas d’autorité centralisée qui pouvait être directement visée, les assemblées en Allemagne pendant l’ère nazie ont été protégées de l’interférence par ce régime dictatorial. Il y a plus de 40 ans T. E. Wilson écrivit à ce propos : « À travers la brousse et dans pratiquement toutes les villes [de l’Angola], on peut trouver des rassemblements de chrétiens africains, complètement indigènes, qui se réunissent de la manière la plus simple, voire primitive, et cherchent à répandre l’Évangile parmi les leurs. Leur seule littérature est la Bible ou le Nouveau Testament traduit dans leur propre langue, un recueil de cantiques qu’ils aiment – car ils sont un peuple musical qui aime chanter – et peut-être un ou deux traités sur le baptême et l’ordre ecclésiastique […]. Il y a littéralement des centaines de tels groupes en Angola aujourd’hui, qui se multiplient constamment en nombre malgré les difficultés qui viennent de sources diverses 2 ».
En plus de son autonomie, l’église locale veille à son indépendance financière et à sa multiplication par l’évangélisation.
B. Gouvernement collégial
1. Anciens
Selon un texte déjà évoqué (Act 14.23), Paul et Barnabas « firent nommer » des anciens dans chaque église locale. Nous ne sommes pas renseignés sur la manière exacte dont il l’ont fait. Ils ont probablement respecté la coutume des synagogues juives. Paul écrit à « tous les saints en Christ-Jésus qui sont à Philippes, aux évêques et aux diacres » (Phil 1.1). Il exhorte les Thessaloniciens à « avoir de la considération pour ceux qui travaillent parmi vous, qui vous dirigent dans le Seigneur et qui vous avertissent » (1 Thes 5.12 ; Héb 13.17). Les anciens portent deux appellations :
• Presbuteros (litt. plus âgé) : indique la maturité de l’expérience spirituelle, et la sagesse ;
• Episkopos (du verbe episkopéô, veiller sur) : indique la nature de leur ministère de surveillants, capables de diriger l’assemblée.
Deux passages soulignent leurs qualités morales et spirituelles (1 Tim 3.1-7 ; Tite 1.5-9). La manière de les choisir est moins importante que la nécessité qu’ils soient reconnus par l’assemblée en vertu de leur caractère et de leur engagement actif dans la vie et le bien-être de l’église. Une pluralité d’anciens protège contre le danger de domination par un seul homme.
2. Diacres
Le mot diakonos est souvent utilisé à travers le Nouveau Testament, généralement dans le sens de « serviteur ». Paul reconnaît toutefois un groupe officiel d’hommes, à côté des anciens, qu’il appelle « diacres » (Phil 1.1). Leur origine remonte probablement au moment où les apôtres demandent à l’Église de choisir des hommes pleins de foi, du Saint-Esprit et de sagesse, qui les libéreraient de considérations pratiques, leur permettant de se consacrer à la prière et au ministère de la Parole (Act 6.1-7). L’expression « servir aux tables » semble indiquer qu’ils auraient le rôle d’être des aides, des serviteurs en choses pratiques3. Nous ignorons si la femme Phoebé était simplement une « servante » de l’église à Cenchrées, ou si elle avait le titre officiel de « diaconesse » (Rom 16.1-2).
C. Ministères multiples
Le ministère d’un seul homme ne peut jamais couvrir tous les besoins d’une église locale, car aucun homme ne possède toutes les qualifications indispensables. C’est la raison pour laquelle divers membres ont diverses « manifestations » du Saint-Esprit sous la forme d’un ou de plusieurs dons spirituels (charismes). Ce sujet mériterait une étude complète en soi, mais nous devons nous contenter ici d’un bref survol. Paul consacre plusieurs passages d’enseignement à ce propos 4 . Le but principal des ministères multiples est d’édifier les saints, de les conduire vers une unité plus grande, vers la maturité et la stabilité, de les exhorter, de les consoler, afin que, par la qualité de leur vie, ils confessent que « Jésus est le Seigneur ».
Le Saint-Esprit est souverain, et libre de distribuer les dons spirituels comme bon lui semble. Paul nous encourage à « aspirer aux dons les meilleurs » (1 Cor 12.31). Les dons d’importance primordiale, toujours valables, sont ceux qui équipent les évangélistes, les pasteurs-enseignants, les aides, les administrateurs, et qui permettent le discernement des esprits. Sans l’amour ces dons restent inutiles. Les croyants – anciens en particulier – devraient encourager les membres à s’engager activement dans la vie de l’église, montrant de cette manière qui possède l’aptitude pour quel ministère.
D. Sacerdoce universel des croyants
S. Ridout5 souligne que dans l’Ancien Testament le service religieux était centré sur l’adoration : le sanctuaire, la prêtrise, les sacrifices, les temps prescrits et les fêtes. Mais tout cela, dit-il, était provisoire et incomplet. Le Christ est venu, le voile a été déchiré, et nous avons maintenant la hardiesse d’entrer dans le lieu très saint par le sang de Jésus. « L’adoration chrétienne a sa source dans une œuvre de rédemption accomplie : son objet est Dieu le Père et le Fils ; sa place est la présence de Dieu ; sa puissance est le Saint-Esprit ; sa matière sont les vérités pleinement révélées dans la Parole de Dieu ; et sa durée est l’éternité ». Tous les croyants sont sacrificateurs (1 Pi 2.5,9) et seuls les croyants le sont ! Ridout de continuer : « La grande occasion pour adorer est quand les croyants sont réunis le premier jour de la semaine pour rompre le pain. La louange, sans être limitée à ce moment là, s’y exprime de la façon la plus complète […]. Le Seigneur est au milieu de nous pour conduire nos accents de louange (Héb 2.12). Le Saint-Esprit est présent pour guider, selon la Parole (1 Cor 14.25) ; et les symboles qui rappellent l’amour du Sauveur manifesté dans sa mort sont là pour être partagés. » Les sacrifices de l’Ancien Testament ont cédé la place à des « sacrifices spirituels » de louange dans le chant, la prière, la lecture et la méditation de la Parole, et la participation au pain et à la coupe.
E. Deux ordonnancs
Le Seigneur a institué le baptême d’eau (Mat 24.19) et le repas du Seigneur (Mat 26.17s). Le baptême du croyant par immersion, accordé à ceux qui le demandent comme une confession publique de leur foi en Christ et leur engagement envers lui, est un acte simple d’initiation, normalement administré par un ancien. Le repas du Seigneur est, dans les mots de S. Ridout, « une fête commémorative […] où le peuple du Seigneur, réuni auprès de lui, se souvient de son amour plus fort que la mort6 ».
F. Ces principes fonctionnent-ils aujord’hui ?
En 1975, une guerre civile qui devait durer 27 ans a éclaté en Angola. Parmi les missionnaires qui devaient quitter le pays figuraient mes parents, qui avaient consacré plus de 50 ans à une œuvre paisible centrée sur Kavungu, à l’extrême est du pays dans la région du haut Zambèze. Ils ont mis deux valises dans leur voiture et sont partis vers le sud jusqu’en Zambie, laissant derrière eux toutes leurs possessions personnelles. Ils ont aussi laissé deux assemblées, des anciens formés et préparés pour l’épreuve, un dispensaire médical, une école primaire, et la Bible traduite dans la langue Luvale.
Ils se sont retirés, âgés de 75 ans, aux États-Unis, où ma mère est décédée en 1979, et mon père l’a rejointe 17 ans plus tard, âgé de 95 ans. La dernière fois que je l’ai vu, quelques mois avant son départ, il se demandait tristement s’il restait quoi que se soit de leurs labeurs. Il se pouvait que tous les croyants soient morts… J’ai écrit à une missionnaire de ma connaissance à Chavuma, juste de l’autre côté de la frontière en Zambie, lui demandant si elle avait des nouvelles. J’ai pu transmettre sa réponse stupéfiante à mon père, pour le consoler, juste avant son départ pour la gloire.
Alors que le pays était encore fermé aux blancs, des croyants africains avaient fait le voyage vers le nord, et étaient revenus pour dire que les réfugiés rentraient au pays afin de reconstruire à partir de zéro, et que des anciens des assemblées organisaient des retraites pour enseigner l’Écriture, en utilisant la Bible traduite en Luvale par mon père. Au milieu de toute cette souffrance atroce et du dénuement absolu, des maisons détruites et des champs dévastés, les églises se sont multipliées pour atteindre près de 70 congrégations en 2007. Aujourd’hui, vous représentez 500 000 croyants réunis dans 2 000 communautés locales à travers 15 des 18 provinces de l’Angola !
« C’est de l’Eternel que cela est venu : c’est un miracle à nos yeux. C’est ici la journée que l’Eternel a faite : à cause d’elle, soyons dans l’allégresse et la joie ! » Ps 118.23-24
1 Angola Beloved, Loiseaux Brothers, 1967, p. 15. T. Ernest Wilson fut un des missionnaires pionniers des Assemblées de Frères qui ont commencé une œuvre en Angola dès 1884.
2 In Angola Beloved, Loiseaux Brothers, 1967, p. 16.
3 Voir les qualités nécessaires décrites en 1 Tim 3.8-13.
4 Voir 1 Cor 12 à 14 ; Rom 12.3-8 ; Éph 4.1-16.
5 VThe Church and its Order According to Scripture, Loiseaux Brothers, 1915, pp. 42ss.
6 Op. cit. p. 36.