Dossier: Création en crise - Revue de livre
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La pollution et la mort de l’homme : un point de vue chrétien sur l’écologie

Pourquoi parler d’un livre sur l’écologie, édité pour la première fois en 1971 et réédité fin 2015, au moment où la COP 21 se déroulait à Paris, en France ?

Ce sont les éditions BLF qui ont réédité1 La pollution et la mort de l’homme : un point de vue chrétien sur l’écologie, de Francis Schaeffer, philosophe et théologien évangélique (1912-1984). Leur directeur s’en explique : « Nous apprécions beaucoup l’auteur et le sujet abordé était on ne peut plus actuel. C’est pour cela qu’on l’a pris dans notre catalogue à la veille de la COP21. Entre les climato sceptiques et ceux qui ont une vision très humaniste de la création, il nous semblait pertinent de porter une voix évangélique qui présente une vision biblique de la création. Elle se résume très bien dans la citation de Francis Schaeffer : “Nier la valeur de la création revient à insulter le Créateur.” »

Écrit au moment des premières prises de conscience sur les enjeux écologiques2, La Pollution et la mort de l’homme reste toujours aussi actuel sur un sujet qui n’a jamais cessé de l’être (plus de 40 ans plus tard, les premières alertes se sont malheureusement avérées !), et le relire aujourd’hui se justifie pour ses multiples intérêts : historique, sociologique, philosophique et théologique. Il est également révélateur de l’intérêt des protestants évangéliques aux questions environnementales, et ce, depuis quarante ans, contrairement à ce qu’une vision caricaturale pourrait laisser entendre.

Le titre est explicite : il s’agit d’une question de vie ou de mort ! Car, prévient Francis Schaeffer, « si l’homme est incapable de résoudre ses problèmes écologiques, ses ressources vont disparaître » et même « il n’aura plus tout l’oxygène nécessaire à sa respiration si l’équilibre des océans est trop dérangé » (p. 11).

Or, tout le monde (ou presque) s’en moque : Francis Schaeffer rappelle avec pertinence qu’ « à l’approche de sa mort, Darwin reconnut à plusieurs reprises dans ses écrits que deux choses auraient perdu de leur intérêt à mesure qu’il vieillissait : les plaisirs de l’art et de la nature ». Et Francis Schaeffer déclare être convaincu « que ce qui affecte aujourd’hui toute notre culture n’est rien d’autre que ce que Darwin avait vécu en son temps » (p. 10)3. Les protestants évangéliques, pourtant « attachés à la saine doctrine », ne montrent pas « le bon exemple aux incroyants » en ne se préoccupant pas de nature et de culture.

Dans le même ordre d’idée, Francis Schaeffer soulève, pour mieux la réfuter, une erreur d’interprétation relative au mandat créationnel de l’homme, commise depuis l’universitaire Lynn White en 1967. Le commandement donné par Dieu à l’homme en Genèse 1 de « dominer » signifie-t-il « permis d’exploiter sans mesure » des ressources susceptibles d’être « infinies » ? Le christianisme serait-il responsable de la pollution et de la crise écologique ? S’appuyant sur les Écritures, Francis Schaeffer répond « non » : au contraire même, la foi chrétienne bibliquement fondée, bien comprise et vécue avec authenticité, conduit à garder (protéger) la terre et non à la détruire.

Cette vision juste, bonne et sage de la création reste le meilleur antidote, selon Schaeffer, aux impasses d’autres philosophies et visions du monde non bibliques de la nature ; ces visions ne sauraient être de meilleures solutions pour résoudre les problèmes écologiques. Pas plus qu’un pseudo-christianisme médiocre, désincarné et déconnecté des réalités ne saurait être une vision fidèle à la pensée biblique sur la création.

À l’inverse, selon Francis Schaeffer, « individuellement et collectivement », les chrétiens devraient être de ceux qui s’appliquent dans leur vie pratique à être, par la grâce de Dieu, un facteur de rédemption, de guérison et de réconciliation « entre Dieu et l’homme, entre l’homme et lui-même, entre l’homme et son prochain, entre l’homme et la nature et au sein de la nature elle-même » (p. 77-78). Le chrétien qui connaît et aime le Dieu qui est amour et créateur, est censé agir avec amour, intégrité et respect envers ce que Dieu a créé.

Et à l’heure où le principe de précaution est sans cesse remis en question, quand il n’est pas dénigré4, sous prétexte qu’il serait « un frein à l’innovation », le plaidoyer de Francis Schaeffer prend tout son sens et toute sa pertinence pour notre génération : le chrétien devrait être celui qui accepte de s’autolimiter, c’est-à-dire de « ne pas faire tout ce qu’il peut », pour en tirer un maximum de bénéfices. En toute cohérence, il saura dire « non » ou « stop » à tout abus de la terre, si pure, si belle, comme à toute tentative de traiter un homme « en objet de consommation, destiné à rapporter le plus de bénéfices possibles » (p. 83-85).

Son devoir sera « de refuser aux hommes le droit de violer notre terre », comme il leur est refusé « de violer nos femmes » (p. 80). Loin de toute crainte de perdre, ce choix éthique, inspiré par une vision biblique, permettra au contraire à l’homme de recevoir « bien plus que cela », sur le long terme et de façon durable : l’amour et des relations authentiques, libératrices et porteuses de sens.

En conclusion, j’ai trouvé ce livre stimulant, fluide et facile à lire, quoique parfois répétitif. Mais cela reste un « défaut » mineur. Ceci dit, il me paraît tout à fait recommandable pour qui souhaite, avec « un cœur honnête (loyal) et bon » (Luc 8.15), examiner les bonnes raisons bibliques de se sentir concerné par l’écologie. D’autant plus que l’écologie, c’est la « bonne gestion » responsable et respectueuse de « notre maison commune », non pour notre seul intérêt mais aussi pour le bien des autres, avec le souci de « servir » la terre comme nous servirions ou rendrions un culte à notre

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  1. La version anglaise fut publiée en 1971 et traduite en français en 1974 : Francis Schaeffer, La pollution et la mort de l’homme, Guebwiller, LLB, 1974. Réédition BLF, 2015.

  2. Nous pouvons dater le premier avertissement de la crise écologique, et peut-être le premier déclencheur du mouvement environnemental, en 1962, année marquée par la sortie du livre de la biologiste Rachel Carson, Le Printemps silencieux.  C’est à ce moment que sont nés les mouvements comme « les Verts » et que s’est développée une conscience écologique.
  3. Bien avant lui, Hannah Arendt faisait ce même rapprochement troublant entre la nature et la culture : le mot « culture », d’origine romaine, vient de « cultiver », « demeurer », « prendre soin », « entretenir », « préserver », dans le sens « de culture et d’entretien de la nature en vue de la rendre propre à l’habitation humaine » (La crise de la culture, Folio essais, 2014, p. 271). Mais alors que « les Romains tendaient à considérer l’art comme une espèce d’agriculture, de culture de la nature, les Grecs tendaient à considérer même l’agriculture comme un élément de fabrication, comme appartenant aux artifices techniques ingénieux et adroits, par lesquels l’homme, plus effrayant que tout ce qui est, domestique et domine la nature ». Les Grecs comprenaient l’activité de labourer la terre-« ce que nous considérons comme la plus naturelle et la plus paisible des activités humaines »-comme « une entreprise audacieuse, violente dans laquelle, année après année, la terre, inépuisable et infatigable, est dérangée et violée. Les Grecs ne savaient pas ce qu’est la culture parce qu’ils ne cultivaient pas la nature mais plutôt arrachaient aux entrailles de la terre les fruits que les dieux avaient caché aux hommes » (op. cit., p. 272-273).
  4. Le principe de précaution a été intégré dans la Constitution française en 2005, par Jacques Chirac alors que la droite était majoritaire au Parlement. Il y a bientôt vingt ans, le Conseil d’État s’appuyait sur le principe de précaution pour empêcher la culture de maïs transgénique en France. Depuis, le principe de précaution est invoqué pour tenter de freiner la banalisation de produits toxiques, des pesticides aux perturbateurs endocriniens, en passant par les nanoparticules.
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