Dossier: Pauvreté et richesse
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La responsabilité des chrétiens face à la grande pauvreté

La grande misère est un scandale. Si nous n’en sommes pas tous directement témoins, les médias et les associations nous en présentent des images volontairement choquantes, dans l’objectif de toucher le cœur et si possible le porte-monnaie de personnes comme vous et moi, potentiels donateurs. On peut avoir des réticences sur la méthode, des doutes sur l’usage qui est fait des dons, il n’en reste pas moins que la grande misère est une réalité, un scandale au sein de l’humanité depuis l’origine des sociétés. C’est un fléau mortel, car les pauvres meurent plus jeunes, de faim, de maladie, de multiples complications de leur détresse sociale.
Nous nous habituons tous aux manifestations du mal, tant qu’il ne frappe pas trop cruellement à notre porte. Il arrive que l’irruption d’un événement marquant notre vie personnelle nous « réveille » douloureusement. Je me rends bien compte que l’épreuve de la grave maladie de notre fille m’a éveillée à l’injustice de la difficulté de l’accès aux soins pour des parents moins privilégiés. Sans cette grande épreuve, je n’aurais probablement pas contribué à créer une ONG caritative dans un bidonville de Beyrouth.

Pourquoi nous est-il si difficile de savoir comment agir ?

Bien agir sans être manipulés ni abusés

Nous nous sentons parfois manipulés. Nos frontières personnelles sont envahies par ces appels multiples qui s’imposent dans nos vies et nous donnent mauvaise conscience. Devons-nous donner de l’argent au mendiant dans la rue ? L’argent sera-t-il mal employé, pour acheter alcool ou drogue ? L’argent donné à un enfant ira-t-il dans la poche d’un adulte qui le bat, ou, pire encore, dans l’escarcelle d’un réseau de trafic humain ? A chaque fois que nous donnons sans savoir ce qui est fait de notre argent, nous encourageons, nous nous faisons en quelque sorte complices de tels abus. Mais comment ne pas avoir pitié de cet enfant de la rue ? De ce mendiant en mauvaise santé ? La réponse se trouve, à mon avis, dans la sagesse collective. J’y reviendrai plus bas. Si nous savons agir avec discernement, nous saurons résister à de telles pratiques qui abusent de notre sentiment de culpabilité, et nous serons beaucoup plus efficaces dans notre action.
Dans les « États-Providence » tels que la France, nous participons à la solidarité publique par nos impôts. Nous en profitons également. Ce système prévu pour réduire les inégalités ne saurait être remis en question. Mais les chrétiens croient en une Providence plus puissante, celle de Dieu, qui est qualitative aussi bien que quantitative : être le prochain, ce n’est pas seulement donner par obligation, c’est prendre soin, prier, soutenir dans la durée, prendre des nouvelles, comme l’a fait le bon Samaritain.

Bien agir doit être bien réfléchi

L’enseignement de Jésus dans l’histoire du bon Samaritain est universel et tout à fait révolutionnaire. Jésus place son interlocuteur, un enseignant de la loi juive, dans la position de l’assisté plutôt que celle de l’aidant, qui, lui, est un quelconque non-juif de passage. Dans cette histoire, un étranger vient en aide au « nanti » rendu vulnérable par les aléas de la vie. Transposé à notre époque, cet exemple suggère que le migrant sans papier sera peut-être celui qui me sauvera un jour d’une grande détresse. Je réalise alors qu’il est pleinement mon prochain. L’objectif de cette parabole n’est pas de nous donner mauvaise conscience si nous n’amenons pas chez nous tous les blessés de la vie rencontrés sur notre chemin, mais plutôt de nous montrer que notre prochain n’est pas celui que nous aurions attendu ou choisi.
En pratique, l’aide au prochain est plus compliquée qu’il n’y paraît. Nous ne sommes plus au premier siècle et nous ne pouvons évidemment pas appliquer à la lettre les détails de cette histoire. L’enseignement reste le même, la mise en pratique va être différente. Nos sociétés modernes occidentales, dans un souci d’organisation et de sécurité, compliquent les actions spontanées. Ainsi, malgré un élan généreux naturel devant une situation de grande détresse, nous ne pouvons pas prendre la responsabilité d’héberger sur le champ un enfant de la rue, ni même d’emmener à l’hôpital dans notre propre voiture un blessé de la voie publique alors que les secours tardent. Les conséquences de nos actes spontanés pourraient en effet être désastreuses, à la fois pour celui que nous voulons aider et pour nous-même. Il nous faut être très prudents dans ce domaine et agir de façon réfléchie et collectivement, plutôt qu’impulsivement et seul. Le Samu social estime qu’un tiers environ des SDF, en France, souffrent d’une pathologie psychiatrique sévère. Il est donc probablement illusoire, forts de notre sentiment de compassion uniquement, de vouloir aider utilement et durablement une personne qui vit dans la rue. Une action concertée, professionnelle et pluridisciplinaire est nécessaire. Agir seul est souvent inefficace, parfois dangereux.

Bien agir doit être bien motivé, dans le respect de nos priorités

Lorsque nous trouvons difficile d’aider notre prochain, interrogeons-nous sur nos motivations : ai-je une conviction profonde et motivée par la Parole de Dieu que je peux faire mieux, ou plutôt un sentiment momentané de culpabilité, peut-être alimenté par les médias ?
Je me souviens d’un incident qui m’a marquée dans mon enfance : mes parents, ma sœur et moi étions invités chez un oncle et une tante. Nous ne les avions pas vus depuis très longtemps, car ils habitaient loin de chez nous. Au moment de préparer son repas, ma tante ouvre le frigo et constate, éberluée, que le rosbif prévu a disparu ! L’oncle avoue alors qu’il l’a donné à un mendiant rencontré la veille. Mon oncle était croyant et a jugé que le mendiant avait plus besoin de manger de la viande que sa propre famille. Objectivement, il avait raison. Mais il n’avait pas mesuré l’embarras qu’il a causé à son épouse incapable d’assurer un repas à ses invités ! Son intention était bonne, le moyen de venir en aide n’était sûrement pas le meilleur.
L’exemple semble extrême, mais réfléchissons : dans mon désir de bien faire, mes priorités sont-elles respectées ? Est-ce que j’assume mes responsabilités envers mes proches : mon conjoint, mes enfants (même en cas de séparation ou de divorce) ? Mes parents âgés ont-ils besoin de mon aide pratique ou tout simplement d’une communication affectueuse ? Est-ce que je réponds de façon émotionnelle et impulsive à un reportage médiatique ou ai-je bien réfléchi et prié au sujet de mon engagement pour une œuvre que je sais digne de confiance ?

Bien agir avec justice et intégrité

Si nous n’avons aucun moyen de contrôle sur nos dons à des œuvres, il est légitime de nous demander s’il n’est pas mal employé, voire détourné. Les pauvres des pays du Sud sont au bénéfice d’aide publique par la communauté internationale. Celle-ci est malheureusement insuffisante, d’autant qu’il est estimé que plus de la moitié de cette aide est employée au fonctionnement des institutions chargées de la mettre en œuvre ou à des annulations de dette purement comptables. Les ONG privées, et parmi elles les ONG chrétiennes, prennent le relai de cette aide publique. Elles jouent un rôle essentiel dans le combat contre la pauvreté. On attend d’elles qu’elles agissent avec intégrité et rigueur, et on doit s’en assurer avant de s’engager, autant qu’il est possible.
J’ai résidé avec ma famille pendant 14 ans au Liban. J’y ai fondé, avec une amie, l’ONG Tahaddi (« le défi »). Cette œuvre a beaucoup grandi, dans un contexte de grande insécurité régionale. La guerre en Syrie a amené au Liban plus d’un million de réfugiés. Tahaddi fait face chaque jour avec les habitants d’un bidonville de la banlieue de Beyrouth aux défis de l’extrême pauvreté : l’accès aux soins primaires, à l’éducation, à la dignité sociale. Les trois valeurs fondamentales de Tahaddi sont : Compassion, Justice, et Intégrité. Ces valeurs fondées sur les enseignements de Jésus doivent être traduites en actes quotidiennement.
Depuis des siècles, les communautés religieuses s’occupent des pauvres au Liban. Dans de nombreux villages on trouve des dispensaires et des orphelinats. Ces communautés tentent de remédier à la carence de l’État, lui-même très démuni, en raison de la corruption et d’une structure clanique de la société. La majorité des hôpitaux sont privés et chers. Une grande partie de la population n’a pas d’assurance médicale, et se trouve donc privée d’accès aux soins. Ce système d’assistance par les communautés religieuses est précieux, mais il présente des faiblesses : le service rendu est presque toujours à l’intérieur d’une communauté religieuse et ethnique, il entretient une allégeance à un pouvoir local. Ainsi, les plus défavorisés, les sans-papiers et les réfugiés, ceux qui ne votent pas et ne sont reconnus par aucune communauté, en sont très difficilement bénéficiaires. Dans certains cas, des œuvres religieuses mettent une grande pression sur les patients pour qu’ils se convertissent. C’est une sorte d’abus de pouvoir, incompatible avec le libre choix de conscience. Notons bien que dans l’histoire du bon Samaritain, il n’est pas question d’enseignement religieux, mais seulement de compassion au-delà des frontières humaines.

La place de l’Église

Agir chacun avec son don

Nous l’avons souligné, il est préférable de ne pas agir seul, mais de façon réfléchie et concertée. C’est là que l’Église, la communauté de croyants, a toute sa place. Répondre au commandement de Dieu d’aider les pauvres n’est pas une simple option. Comme dans l’Église primitive, un comité social (les « diacres » dans les Actes, mais aussi les associations culturelles de nos églises) organisera les actions soutenues par l’assemblée des croyants. Tous sont concernés, et les dons de l’Esprit peuvent et doivent s’exprimer. Certains sauront se renseigner sur des ONG et missions dignes de confiance, ou pourront même faire partie de leur assemblée générale ou bureau. D’autres sauront présenter la question à l’assemblée, d’autres auront des ressources financières et donneront avec générosité. Quelqu’un pourra être appelé à partir en mission à l’étranger ou à servir une œuvre solidaire près de chez lui. Celui qui a un don d’hospitalité sera heureux d’inviter une famille démunie de sa connaissance à dîner. Tous, nous n’avons pas les mêmes dons, mais tous, nous avons le devoir de ne pas rester indifférents à la grande question de la pauvreté dans le monde. L’important est de le faire, comme le dit Jésus, de tout notre cœur, comme pour lui-même. Même sans beaucoup de moyens financiers, nous pouvons agir : notre sourire, notre écoute, notre amour peuvent redonner dignité et courage à ceux qui en manquent.

Agir en choisissant les œuvres

Une église bien préparée à traiter le problème de la pauvreté choisira soigneusement les œuvres qui seront ses « outils appropriés » auprès des plus démunis. L’église locale restera en liaison avec ces œuvres, lisant attentivement les lettres de nouvelles et priant pour les actions entreprises. Ce pourra être un orphelinat, une soupe populaire, un foyer d’accueil pour migrants, un ministère d’aumônerie de prison. Des spécialistes y travaillent, nous avons la responsabilité de les soutenir, nous sommes dans la même équipe, celle des ouvriers de Dieu ! Ainsi, nous aiderons beaucoup plus sûrement un enfant de la rue à être recueilli dans un foyer, ou un SDF à bénéficier d’un repas gratuit équilibré. L’église choisira de même soigneusement les missions qui porteront son propre ministère à l’étranger.

Agir de différentes manières

Cette collaboration comportera un investissement financier, mais aussi en temps, par la prière et le suivi des projets. Nous ne pouvons pas être de tous les combats, même en tant qu’église. Cela implique de soutenir un nombre limité de projets, mais avec une attention soutenue. Pour les raisons évoquées plus haut, l’action sociale ne peut pas en bonne conscience être associée à une évangélisation « agressive ». Un témoignage respectueux de notre foi est toutefois souvent bien reçu. Pour concilier l’aide au prochain et le commandement de faire des disciples, une église peut choisir de soutenir une œuvre qui fait de l’évangélisation directe, telle que la traduction ou la distribution de la Bible, ou l’implantation de nouvelles églises, et une autre œuvre, à caractère plus social, telle que l’aide aux plus démunis. Un chrétien individuel peut aussi soutenir directement une œuvre qu’il a choisie soigneusement, sans toutefois négliger son engagement envers son église locale.

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L’Éternel nous fait l’honneur de nous utiliser comme partenaire pour son action dans le monde, soyons à son écoute ! La puissance du Saint-Esprit est à notre disposition, puissance qui a énergisé les chrétiens du premier siècle et de nombreux héros de la foi depuis eux.
Avec l’aide du Saint-Esprit, apprenons à voir nos frères humains les plus vulnérables comme Jésus les voit, lui qui s’est pleinement identifié à eux dès les circonstances de sa naissance. Appliquons-nous, dans nos églises locales, à choisir soigneusement les moyens appropriés pour manifester généreusement notre solidarité avec les plus petits de ses frères.

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Résumé d’un livre à paraître en juillet 2020

« Tahaddi, sacré défi ! »

Septembre 1991 : après 15 ans de guerre, le cessez-le-feu tient depuis quelques mois à Beyrouth. Un traité libano-syrien a été signé le 22 mai à Damas, légitimant la tutelle syrienne sur le Liban. Agnès Sanders débarque de Paris, pour assister au mariage de ses amis libanais dans leur pays meurtri. Une grand aventure commence, celle de Tahaddi, où vont se croiser des destin improbables : Avec Agnès, Myriam, jeune institutrice suisse revenue à ses racines moyennes-orientales ; Bouddika, arrivée du Sri-Lanka en quête d’un avenir au Liban et rapidement prise au piège de l’esclavage moderne ; Samir, jeune médecin libanais qui rêve de ressembler à Che-Guevara ; Salma qui se marie avec son cousin palestinien pour échapper à un père meurtrier ; Yasmine, une enfant têtue dans le Kurdistan syrien ; Waafa, belle gitane mariée à douze an et Joëlle, fille de la bourgeoisie beyrouthine, victime de la guerre et de l’héroïne.

Un fil conducteur tisse un imbroglio d’histoire qui, avec le recul du temps, forment une tapisserie toutes en ombres et lumière, où prédominent espérance, foi et amour.

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Dossier : Pauvreté et richesse
 

Sanders Agnès
Photo de l’auteur Agnès Sanders est française, mariée et mère de trois enfants adultes. Elle a travaillé comme médecin généraliste et médecin du travail dans l’Est parisien, puis a vécu à Beyrouth, au Liban, de 1996 à 2009. Agnès a cofondé avec Catherine Mourtada l'ONG humanitaire Tahaddi (défi en arabe), à Beyrouth (www.TahaddiLebanon.org). Agnès est l'auteur du livre La vie n'est qu'un souffle (Éditions Empreinte-Temps présent, 2010), racontant l'histoire d'une longue bataille livrée pour la vie de leur fille, et du livre Tahaddi, sacré défi, à paraître en 2020.