La stratégie de Paul Une interpellation pour l’action missionnaire… aujourd’hui !
Quelle est notre conception de la mission et des missionnaires ? La mission a-t-elle encore un sens et une actualité ? Ou s’agit-il d’un concept dépassé pour des « attardés » ou des « illuminés » qu’on considère avec condescendance ? La recherche du sens et de la stratégie de la mission était déjà la préoccupation de Paul. À sa suite, faisons le point.
1. Entrer dans le plan du Seigneur
L’Évangile que Paul vit et proclame, il ne l’a « ni reçu, ni appris d’un homme, mais par une révélation de Jésus-Christ. » (Gal 1.12) C’est donc à la mission du Seigneur que tout le ministère de Paul se réfère. Celui sur qui notre foi repose et en qui se trouve notre espérance, Jésus, le missionnaire par excellence, a ainsi présenté sa mission : « Le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Luc 19.10) C’est pourquoi il est venu « pour servir et donner sa vie comme la rançon de beaucoup. » (Marc 10.45 ; Mat 20.28)
À la suite de cet accomplissement, le Seigneur nous invite :
- Jean 20.21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » Il veut les siens dans le prolongement de sa mission.
Et il ajoute :
- Luc 24.48 : « Vous êtes témoins de ces choses » : celles qu’il vient de mentionner et qui avaient été écrites que « le Christ souffrirait, et qu’il ressusciterait […] et que la repentance et le pardon des péchés seraient prêchés en son nom… » (v. 46 et 47)
- Actes 1.8 : « Vous serez mes témoins » : ceux qui le connaissent et qui font l’expérience de sa présence et de son œuvre.
- Marc 16.15 : « Allez par tout le monde, et prêchez la bonne nouvelle… »
- Matthieu 28.19 : « Allez, faites de toutes les nations des disciples… »
Paul a saisi la portée de ce quintuple message, « l’ordre suprême » comme on l’a souvent désigné. Avec Paul, nous désirons nous laisser interpeller.
2. La fidélité au message
Message de grâce et de salut pour un monde perdu, la prédication de l’Évangile – quelle qu’en soit la forme – se doit d’être ancrée dans l’Écriture. Elle a :
2.1 Un contenu:
l’appel à « la repentance envers Dieu et la foi en notre Seigneur Jésus-Christ. » (Act 20.21) C’est plus qu’une simple annonce, une insistance qui fait suite au premier message de Jésus dans son ministère public rapporté en Marc 1.15 : « Repentez-vous, et croyez à la bonne nouvelle. »
2.2 Un objectif:
la présentation d’un salut complet, tel qu’il est présenté par Jésus à Paul déjà lors de son appel (Act 26.18). Ce salut est la délivrance de :
- la punition du péché: « pour qu’ils reçoivent, par la foi en moi, le pardon des péchés »,
- la puissance du péché: « pour qu’ils passent […] de la puissance de Satan à Dieu » en faisant l’expérience de la liberté, de la victoire et d’une vie de plénitude en Christ. Ainsi, le converti peut faire l’expérience de :
– la liberté : « Si donc le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres » (Jean 8.36 ; Gal 5.1), et en conséquence, « affranchis du péché […] vous avez pour fruit la sainteté » (Rom 6.22),
– la victoire : « Nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés » (Rom 8.37 ; 1 Cor 15.57) : une victoire réalisée dans le combat auquel chacun est confronté, et qui prend un relief particulier dans les confrontations de puissances auxquelles se réfèrent diverses religions traditionnelles, en particulier l’animisme,
– la vie en abondance (voir Jean 10.10) parce que, dit Paul : « J’ai été crucifié avec Christ ; et si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi ; si je vis […], je vis dans la foi […] » (Gal 2.20). Alors « si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle création […] voici, toutes choses sont devenues nouvelles. » (2 Cor 5.17)
- la présence du péché: une attente qui se réalisera lors du plein « héritage avec les sanctifiés » au ciel.
2.3 Un fondement:
l’œuvre de Christ
3. La stratégie
3.1. Trois étapes
Alors qu’il entreprend ses voyages missionnaires, la stratégie de Paul comprend trois étapes vers la croissance et la maturité :
- Évangéliser
Évangéliser, c’est présenter la bonne nouvelle, c’est partager le message complet que nous avons considéré ci-dessus pour qu’il y ait des conversions à Christ et des vies transformées : des hommes et des femmes ayant passé par la nouvelle naissance. Pour suivre Paul, il s’agit d’épouser sa vision d’un monde perdu et de son besoin d’un Sauveur : « Je n’ai pas honte de l’Évangile : c’est la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit » (Rom 1.16) et de se laisser saisir par sa passion : « […] la nécessité m’en est imposée et malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile. » (1 Cor 9.16) Il s’agit donc de saisir chaque occasion : « Prêche la parole, insiste en toute occasion, favorable ou non » (2 Tim 4.2), ce qui incite à tirer avantage tant des moyens technologiques que des ouvertures, même inattendues, qui se présentent ou qu’on provoque.
- Enseigner
Si nous sommes responsables d’évangéliser (2 Tim 4.5), la mission que le Seigneur nous a confiée ne s’arrête pas là : le Seigneur nous demande de faire des disciples. Un disciple se met à l’écoute de son Maître, il le suit et il désire intégrer et mettre en pratique son enseignement. Ce processus inclut deux axes selon l’ordre du Seigneur (Mat 28.19-20) :
– le baptême : le baptême est une immersion qui illustre et affirme un échange de vie par notre identification avec Christ dans « sa mort, afin que, comme Christ est ressuscité […] de même nous marchions en nouveauté de vie. » (Rom 6.4)
– l’enseignement : l’enseignement doit veiller à garder tout ce que le Seigneur a commandé : tout le conseil de Dieu (Act 20.27), l’ensemble de sa Parole ! Or « si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples » dit encore le Seigneur; « vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres. » (Jean 8.31-32)
L’enseignement est prioritaire pour la croissance et la résistance : « Étant enracinés et fondés en lui (Christ) et affermis par la foi, d’après les instructions […] données » (Col 2.7). C’est pourquoi Paul prend le temps nécessaire pour enseigner et former les jeunes églises. Il passe du temps à Corinthe, un an et demi (Act 18.11), à Éphèse deux ans (19.9-10). Cet enseignement, on ne peut se contenter de l’écouter, il s’agit de le mettre en pratique (Jac 1.22).
- Rassembler
Dieu n’a pas voulu les siens solitaires. Il voulait un peuple pour lui, « un royaume de sacrificateurs » (Ex 19.6), des adorateurs (Jean 4.23-24). C’est le Seigneur lui-même qui a réalisé ce projet (Apoc 1.6) : l’Église. L’Église a été et reste au centre de son plan d’amour. L’intégration et la participation de chacun à la manifestation locale de cette Église n’est pas facultative (Héb 10.25 ; 1 Cor 14.26) ; elle est une occasion indispensable au renouvellement et à la croissance de tous (Éph 4.12-13).
Le caractère déterminant et permanent de l’Église est la présence et la plénitude de Christ (Éph 1.23). Ainsi, expérimenter et exprimer la réalité de l’Église, c’est vivre ensemble la présence de Christ (Mat 18.20). Cela implique une priorité pour l’implantation d’églises, ce qui – comme dans les Actes – peut commencer dans les maisons. On l’a dit : « La mission de l’Église, c’est les missions ; la mission des missions, c’est l’Église. »
3.2. La clé de la multiplication
Pour que la stratégie soit opérationnelle, un mouvement de reproduction doit être initié. Paul en donne la clé en 2 Timothée 2.2 (« la clé 222 ! ») ; il s’agit de former des formateurs et des leaders-serviteurs : « des hommes fidèles, qui soient capables de l’enseigner aussi à d’autres ». La chaîne commence par Paul (aujourd’hui ses écrits et l’ensemble de la Parole) ; elle se poursuit par Timothée (aujourd’hui : ceux qui ont des repères dans la Parole : 1 Timothée 3.15) et peuvent l’enseigner ; ensuite ceux qui ont un potentiel pour l’œuvre de Dieu et sont disponibles pour elle ; enfin les destinataires qui, ensuite, pourront eux-mêmes prendre le relais.
3.3. Le critère d’autonomie
L’autonomie n’est pas une fin en soi, mais elle est garante de croissance et de multiplication, elle témoigne de la maturité. Paul la voulait dans chaque endroit où il œuvrait.
Au milieu du 19ème siècle Henry Venn et Rufus Anderson en ont proposé les conditions sous forme de trois « self » (= auto-)
- « self-supporting » : un soutien autonome, qui permet l’indépendance des hommes et évite influences et pressions qui peuvent être la contrepartie d’une assistance externe ; mais qui exige par ailleurs une gestion rigoureuse, transparente et redevable. Une aide extérieure n’est alors pas une condition à l’action mais un renforcement éventuel.
- « self-governing » : une propre direction qui implique la responsabilité devant le Seigneur sous la direction du Saint-Esprit et une grande maturité spirituelle liée à une profonde humilité.
- « self-propagating » : une multiplication spontanée, l’église devient la pépinière indispensable à la reproduction. On dit que la santé d’un arbre est manifeste quand non seulement il produit des fruits mais se reproduit ! (1 Thes 1.8). Vision, enthousiasme, zèle, persévérance, abnégation sont quelques-uns des ingrédients nécessaires pour que cette croissance, spirituelle d’abord, numérique ensuite, se produise.
On a pu y ajouter un quatrième « self » :
- « self-identifying »: une propre identité en Christ, qui cherche et trouve ses repères dans la Parole, examinant les Écritures (Act 17.11) pour l’appliquer dans un contexte spécifique et hors des influences culturelles et diverses étrangères, que celles-ci soient traditions, liturgies (officielles ou « de fait »), formes ou autres. Il s’agit de mettre en valeur ce qui fait l’essentiel du message et de « la culture » bibliques.
3.4. Une évolution
Cette stratégie se manifeste dans une progression de l’œuvre et de l’église naissante dont on a pu distinguer quatre phases qui définissent le rôle et la tâche du missionnaire :
- phase 1 : rôle de pionnier, centré sur la prédication,
- phase 2 : rôle de formateur, qui vise la croissance spirituelle de disciples,
- phase 3 : rôle de partenaire, qui contribue à la formation de la relève (formateurs et leaders-serviteurs),
- phase 4 : rôle de participant, qui reste simplement disponible sur appel, ce qui contribue à permettre l’indépendance de décision et de responsabilité, prises au plus proche de l’action (principe de « subsidiarité »).
3.5. L’action sociale
Paul n’était pas indifférent aux situations que traversaient ses interlocuteurs et il agissait. Des miracles sont accomplis (Act 28.5,8-9 ; 20.10) ; il organise la bienfaisance (1 Cor 16.1-3 ; 2 Cor 8 et 9) ; étonnamment, celle-ci n’est pas en faveur des nouvelles églises mais de l’église mère.
Aujourd’hui, des actions humanitaires dans les domaines pédagogique, médical, des micro-entreprises, etc., non seulement sont un témoignage à l’Évangile (Jac 2.18b ; Éph 2.10) mais peuvent devenir une occasion d’ouverture pour l’Évangile. Elles ne changent cependant en rien – d’aucuns estimeront que c’est excessif ! – la priorité de la mission : l’Évangile du salut. Celui-ci constitue certainement le plus grand facteur de développement par des vies transformées au service de Dieu et de leurs prochains, dans l’amour (Mat 22.37,39).
4 Le service
4.1 Être accompagné et accompagner
Au début du ministère de Saul, c’est Barnabas qui le présente aux apôtres (Act 9.27), il le cherche pour apporter du renfort dans l’œuvre et l’église à Antioche (11.25) et il l’accompagne tout au long de son premier voyage missionnaire (Act 13 et 14). Il lui apporte l’appui et l’expérience dont il a besoin. Il est un référent. Fort de cette expérience, Paul va s’associer Silas (15.40), Timothée (16.3), Luc (16.10) et d’autres qu’il va encourager et former pour qu’ils entrent dans la stratégie 222.
4.2 Faire équipe
Le Seigneur déjà envoyait ses disciples deux à deux (Luc 10.1). S’associer d’autres pour les accompagner et les former, c’est d’abord « faire équipe » ensemble avec le Seigneur ; dans la prière d’abord et à l’écoute de sa Parole. C’est également reconnaître les complémentarités des uns et des autres, les apprécier et les mettre en valeur. Faire équipe, c’est aussi un réel exercice dans les rapports mutuels. Paul en décrit quelques conditions, entre autres, la bonté, l’humilité, la douceur, le support et le pardon mutuels, ainsi que l’amour (Col 3.13-15).
4.3 Préparer la relève, le relais>
En formant une nouvelle génération, Paul préparait ceux qui seraient appelés à prendre le relais, à assurer la pérennité de l’œuvre. Cette démarche est prioritaire et elle débute avec l’œuvre.
4.4 Contextualisation
Paul pouvait dire : « Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver » (1 Cor 9.22). Les trois étapes – évangéliser, enseigner, rassembler – ainsi que la clé 222 ont une portée universelle. Le message cependant est apporté dans une langue et une forme de communication qui puissent être comprises dans la culture locale et dont le fond aborde les questions existentielles des gens.
4.5 La concentration urbaine
Déjà le Seigneur, puis les disciples, et Paul en particulier, ont une stratégie géographique et concentrent leur action sur les villes (Luc 4.43 ; Act 8.40 ; 16.11-12…). Ils cherchent à produire un impact sur les lieux de concentration humaine (lieux publics) et à atteindre des personnes clés.
Avec l’exode rural et les mouvements de population auxquels nous assistons aujourd’hui – dont les réfugiés – une concentration de l’effort sur les villes (souvent devenues des mégalopoles) paraît un impératif pour que l’Évangile progresse.
4.6 Les faiseurs de tentes
Paul ne s’attendait qu’au Seigneur pour répondre à ses propres besoins, ainsi qu’à ceux de son équipe. À côté de son ministère il exerce un métier manuel – faiseur de tentes – par lequel même, il entre en contact avec d’autres (Act 18.1-3 ; 20.34-35). Exercer un métier peut permettre de pénétrer dans certains pays fermés à l’Évangile. C’est aussi un moyen d’apporter l’Évangile sans frais (1 Cor 9.18), une contribution décisive à l’autonomie.
5 Le serviteur
5.1. La préparation
Avant de les « envoyer prêcher », le Seigneur appelle ses disciples « pour les avoir avec lui » (Marc 3.14-15). Le Seigneur veut ses envoyés d’abord dans son intimité, à son écoute, dans le dialogue et dans la découverte de « l’excellence de sa connaissance » (Phil. 3.8,10)
- la connaissance du Seigneur :
Ce ne sont pas des critères intellectuels qui sont prioritaires (même s’ils font partie des talents reçus) mais des critères spirituels d’abord. C’est l’intimité avec le Seigneur qui qualifie pour le service. On peut relever, entre autres, deux conditions :
– la conscience d’une relation vivante avec le Seigneur par le témoignage du Saint-Esprit (1 Jean 3.24),
– l’absence d’amertume (Héb 12.15) ; car celle-ci produit du trouble.
- la formation continue :
Elle est un impératif dans le service de Dieu et nécessite un exercice de piété, c’est-à-dire d’attachement au Seigneur (1 Tim 4.8), qui implique de le faire intervenir en toute circonstance ainsi que de persévérer dans l’écoute de la Parole et une vie de prière personnelle.
5.2. Consécration radicale
« Il faut qu’il croisse, et que je diminue » (Jean 3.30), reconnaissait Jean, le précurseur du Seigneur. Paul y fait écho en exhortant « que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. » (2 Cor 5.15) Vingt siècles plus tard, l’exigence n’a pas changé. Témoin en grec se dit « marturos », ce qui rappelle à quoi être prêt.
5.3. Maturité et humilité
Pour un service pratique (Act 6.3), on attendait un bon témoignage ainsi qu’une plénitude de l’Esprit et de sagesse. La maturité reste exigeante aujourd’hui encore. Elle se manifeste sur les plans spirituel, émotionnel, familial, social et professionnel. Et la vraie maturité se manifeste dans l’humilité ; Paul se considérait ainsi : « Je suis le moindre » (1 Cor 15.9).
5.4. Flexibilité, mobilité
Les situations évoluent. La flexibilité, la mobilité, telle que Paul et ses équipes la vivaient, permettent de s’adapter et de renouveler un apport dans divers lieux de service.
5.5. Identification
Aujourd’hui encore c’est un témoignage de proximité qui convainc – être avec – et pourtant un témoignage qui marque notre différence – notre espérance et nos repères – et pose des questions à l’entourage (1 Pi 3.15). Il s’agit d’y joindre une attitude d’écoute et d’empathie manifestant l’amour de Christ.
5.4. Audace et risques
Paul le rappelle, l’esprit qui nous anime « n’est pas un esprit de timidité, […] mais un esprit de force » (2 Tim 1.7), un esprit d’audace même qui l’a porté au travers de son ministère et veut nous animer encore. Paul a fait l’expérience des risques que cela comporte et en énumère quelques-uns : persécutions, dangers (2 Cor 11.23). Il en est ainsi aujourd’hui encore. Abandonné même, Paul pouvait dire : « Le Seigneur qui m’a assisté et qui m’a fortifié […] le Seigneur me délivrera. » (2 Tim 4.17,18)
Face à un tel défi, d’aucuns diront : « Qui est suffisant pour ces choses ? » (2 Cor 2.16), mais « notre capacité […] vient de Dieu » (3.5). Paul en a été rassuré : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse » (12.9). Ainsi « …attachons-nous à la grâce. Par elle, servons Dieu d’une manière qui lui soit agréable. » (Héb 12.28)
Bibliographie
– Flemming Kenneth : Stratégie missionnaire, Editions Centres Bibliques, Lausanne, 2005
– Ben Naja : Mission – le dernier chapitre ? Editions Emmaüs, St-Légier, 2007
– Nunn Andrew : A Missionary Manifesto, Manizales Columbia, 2001