Dossier: L'espérance du chrétien
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Et le ciel ?

L’auteur de cet article a aimablement autorisé le comité de rédaction à vous proposer en lecture ci-dessous un large extrait de son article, initialement publié dans La revue Réformée, no 206, 2000/1. Vous le retrouverez intégralement sur le site qui lui est dédié : http://larevuereformee.net.

Comment la Bible parle-t-elle du ciel ? Comme il en est pour les deux natures de Christ, ainsi en sera-t-il de l’histoire du ciel à venir : également humaine et divine, terrestre et céleste. Il y aura continuité (car rien de bon dans ce monde ne sera éliminé) et discontinuité (car tout sera transfiguré, et transmué en gloire). Tout ce qui existe dans le temps sera récapitulé dans l’éternité, d’une façon ou d’une autre. La fin de l’histoire et la nouvelle création sont l’aboutissement d’un processus dont le point de départ se situe à la création.

1. La difficulté du vocabulaire

Le vocabulaire biblique pour l’éternité n’implique pas de contraste frappant entre l’éternité et le temps. Les affirmations bibliques recourent à des notions naïves de succession du temps pour décrire l’éternité. Même le tétragramme divin « Je suis » ne fait pas abstraction du temps, puisqu’il évoque « celui qui sera ». Pour Dieu, mille ans passent comme un jour. Le langage naïf de la Bible établit, à la fois, une différence et une similitude avec notre temps. La notion d’éternité implique une succession temporelle d’une certaine sorte, dominée et surplombée par Dieu.

Dieu, en qui il n’y a ni changement ni variation, est à l’origine de toute succession temporelle. Il possède en lui-même l’éternité, et le temps éternel dépend de lui, tout comme le monde créé dépend de l’unité et de la diversité qui le caractérisent. De génération en génération, il est le Dieu éternel.

Tout comme la notion d’éternité implique, à la fois, une continuité et une discontinuité temporelles d’avec la création, la notion de « ciel » présente les mêmes caractères dans le domaine spatial.

Le ciel, la nouvelle création et l’enfer sont, au même titre que la terre, des créations de Dieu. Pour cette raison, comme toute création divine, ils dépendent de Dieu et ne participent pas de son éternité ontologique. Il n’y a que Dieu qui soit immortel et qui en ait les attributs.

2. Une réalité créée

Toutes les pensées humaines sur le ciel semblent comporter au moins un élément commun : le ciel est toujours considéré comme une apothéose au terme de la vie terrestre et, très souvent, comme le résultat d’une intervention divine par rapport à la vie terrestre.

La complémentarité astronomique et spirituelle

Dans certaines langues, une distinction est faite entre ces deux aspects qui sont toujours séparés. Le mot « firmament » dans l’A.T. désigne la voûte céleste, parfois présentée symboliquement comme un manteau (És 34.4) que Dieu pliera comme un vêtement que l’on change, ou comme un rouleau de parchemin (Apoc 6.14). S’il arrive que les étoiles soient personnifiées (Job 38.7), c’est toujours en marquant bien qu’elles sont comme des créations de Dieu ; en aucun cas, elles ne sont sacralisées.

Du point de vue religieux, le ciel est un monde surnaturel qui recouvre l’ensemble des réalités invisibles et la réalité créée tout entière. Utilisé au pluriel, le mot « cieux » évoque une réalité plurielle, non pas nécessairement au sens de plusieurs « ciels » distincts, mais dans celui de grandeur. Ce monde surnaturel est là où se trouvent les esprits invisibles et le trône de Dieu. Dieu trône « au-dessus des cieux » avec les anges et l’entourage décrit en Apocalypse 4. Dans l’Épître aux Hébreux, le ciel est aussi le lieu du sanctuaire où réside, dans le tabernacle spirituel, le vrai sacrificateur. Le ciel est l’endroit où se trouvent les martyrs parvenus à la perfection, où demeure Christ dans l’endroit qu’il a préparé pour les siens (Jean 14.1-2).

Dans cette double perspective (astronomique et spirituelle), il faut distinguer les références qui, comme 2 Pi 3.10,12 et Apoc 20.11, annoncent la dissolution du ciel et la requête que l’on trouve dans la prière du Seigneur : « Que ta volonté soit faite dans les cieux comme sur la terre. » Les premières évoquent la disparition des cieux cosmiques, qui se produira au moment de la nouvelle création, tandis que la demande du « Notre Père » est eschatologique et exprime le souhait que le règne de Dieu soit établi sur la terre comme il l’est maintenant, spirituellement, dans le ciel. Jésus évoque une situation où la présence de Dieu se manifestera sur la terre. Le règne de Dieu est établi par Dieu seul, par sa volonté et pas de façon naturelle. Jésus prend ainsi dans sa perspective l’acte de dissolution de ce qui est naturel en vue des nouveaux cieux et de la nouvelle terre où la justice habitera.

En résumé, le ciel est, à la fois, le domaine transcendant créé où Dieu habite et le lieu d’ultime bénédiction pour l’homme. Nous allons essayer de préciser cela.

Le ciel comme endroit

Le ciel n’est jamais présenté dans l’Écriture autrement que comme un lieu. Mat 28.20 affirme que la puissance est donnée à Jésus « dans les cieux et sur la terre ». Cela renvoie à l’acte divin de création en Gen 1.1.

Nous pouvons comprendre ainsi que la seigneurie de Jésus est la raison d’être de la création. Tout a été créé par lui et pour lui. Et à l’Ascension, Jésus retrouve concrètement ce qui lui revient de droit. Il est important de voir que la réalité n’est pas double, soit la création, soit la rédemption. Jésus-Christ crée une réalité, « les cieux et la terre », qui a deux aspects sans que cela porte atteinte à son unité. C’est pourquoi, le ciel est un lieu de la création — « Dieu avec l’homme dans sa gloire » — tout autant que la terre.

Très souvent, une allusion directe est faite montrant que le ciel est un lieu et non un état. Par exemple, les « images » bibliques de la ville, la promesse de Jésus en Jean 14 où il annonce qu’il prépare une « demeure », l’Ascension de Jésus décrite, en Éphésiens 4, comme le passage d’un endroit à un autre, l’accueil du brigand au paradis, etc. Pourtant, le poids de tout cela n’est pas celui d’une preuve.

Le ciel est le lieu final où se trouve maintenant Jésus, l’omega en personne, et cela de façon corporelle. Faut-il considérer cet endroit de façon simpliste ? Jésus a-t-il entrepris un voyage interplanétaire ? Si le trône de Dieu est bien au centre de la création, la Bible ne nous donne aucune information sur ce sujet, qui dépasse notre compréhension. Il ne s’agit pas d’une réalité qui puisse être cernée en termes de géographie cosmique. Si nous cherchions à localiser le ciel de façon spatiale, en termes de notre cosmos, nous serions en quête de l’inconnu. C’est ignorer la distance qui existe entre les cieux et la terre. Cette limitation est difficile à accepter par l’homme moderne qui pense, en principe, qu’il doit pouvoir tout savoir.

Les notions spatiales dans la Bible — « au-dessus de », « le pain qui descend du ciel », Jésus qui « monte » à l’Ascension — ne sont pas des notions géographiques. Le fait que Dieu agisse d’au « dessus » (Jean 3.31) indique une certaine direction — Dieu n’agit pas de l’intérieur, mais de l’extérieur de la terre — mais pas un endroit spatial discernable par l’homme. Ces expressions évoquent plutôt la puissance, la majesté et la miséricorde de Dieu, qui nous visite dans des conditions qui ne sont pas celles de notre monde. L’accent est placé sur la venue de Dieu et sur le caractère concret de ses actes plutôt que sur une localisation spatiale. Lors de l’Ascension, il n’est pas nécessaire d’imaginer que Jésus est allé plus loin que derrière le nuage le plus proche pour ne plus être visible.

L’histoire du ciel

C’est à partir du ciel que Dieu règne sur sa création et ce règne durera après que la terre a perdu sa forme actuelle. Autrement dit, le ciel a une histoire qui est entrelacée avec celle de la terre. Cette histoire présente trois aspects :

a. Une histoire qui progresse

Tout, dans le monde et dans l’histoire de la révélation biblique, conduit vers le ciel et vers l’accès à un état de repos. Le sabbat, le septième jour qui devient le premier avec Jésus, est le signe temporel et spatial du repos céleste avec Dieu (Héb 4).

Dans ce développement, l’expression « les cieux et la terre » indique la totalité du point de vue terrestre, dont l’unité sera complète lorsque, par la volonté divine (qui procède du ciel, l’endroit où Dieu est « pour » le monde), la terre sera enrobée par le ciel et transformée. À ce moment-là, « la demeure de Dieu sera avec les hommes » et ce changement de localisation impliquera un changement du temps actuel. Les temps seront accomplis.

Dans l’histoire que Dieu conduit à sa fin, le premier acte de sa volonté (son choix d’être avec l’homme) est le dernier accompli dans le temps. Entre les deux, se trouve l’évolution du processus historique. Dès le début, la création pouvait soit faire un mouvement ascendant vers le ciel, soit rétrograder en opérant la rupture de l’alliance qui unit Dieu et l’homme, le ciel et la terre. (C’est pour cette raison que les cieux et la terre sont appelés à être témoins de l’alliance, Deut 30.19;31.28.) De plus, le ciel est « fixé » sur la terre, à un moment donné, chaque fois que Dieu manifeste sa présence auprès de son peuple. Ce sont là des types de la présence de Dieu avec l’homme, réalisée dans le corps de Christ qui unit le ciel et la terre : il est toujours auprès du Père dans sa divinité, tout en étant avec nous dans sa divinité et son humanité comme Emmanuel (Jean 1.18). La communion avec Dieu se réalise en Christ — « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde » — et en son corps l’Église, le temple de l’Esprit, en attendant que cette réalité, discernée par la foi, devienne visible.

b. La « séparation »

La création implique une séparation des cieux et de la terre. Dieu franchit cette séparation pour être présent auprès de l’homme et, chaque fois qu’il le fait, c’est le jour du Seigneur. Quand l’homme veut le faire et devenir comme Dieu pour maîtriser la connaissance du bien et du mal (la connaissance qu’a Dieu dans le ciel, à cause de ses anges dont la chute céleste constitue une première séparation, surnaturelle), la séparation devient une opposition antithétique. Dans la séparation qu’est le péché, l’homme découvre, selon l’Ecclésiaste, la futilité du temps et l’inévitabilité de la mort. L’existence de l’homme devient l’inverse du ciel. Sartre n’avait pas tout à fait tort avec son « L’enfer c’est les autres ».

C’est pourquoi, le passage de la création à la nouvelle création ne peut être effectué que par Dieu qui, lors de l’abandon sur la croix, assume lui-même la séparation de la mort, de la malédiction, de l’enfer, afin d’ouvrir à l’homme la perspective du ciel. Après avoir accompli cette réconciliation des cieux et de la terre, Christ a marché sur la terre pendant les quarante jours qui ont suivi la résurrection. Cette période nous offre une image magnifique de la nouvelle création. Le ciel descend sur la terre et prend possession de ses éléments naturels. L’Esprit domine la chair et surpasse le physique en Christ, qui appartient à la nouvelle création. Dès ce moment, la fin, l’unité des cieux et de la terre et la nouvelle création sont déjà une réalité. Désormais, le croyant, uni au nouvel Adam, est assis avec lui dans les lieux célestes et son existence tend vers l’avenir. Le Christ ressuscité est comme un aimant : il attire tout vers lui et, de toutes les fibres de notre être nouveau, nous aspirons à son retour.

c. La « secousse »

L’existence d’une séparation implique, pour que la situation finale arrive, la conjonction de deux mouvements : l’accomplissement de l’histoire et la « secousse ». La résurrection de Christ, selon le Nouveau Testament, fait partie de la résurrection générale qui a déjà commencé. Elle secoue avec violence la mort physique.

La foi attend une intervention par laquelle la nouvelle humanité, organisée en Christ, descendra du ciel, prendra possession de la terre métamorphosée en une nouvelle création. La nouvelle Jérusalem descendra parmi les hommes et Dieu établira sa demeure au milieu d’eux pour toujours : « les choses anciennes sont passées ». La puissance de Dieu effectuera cette transformation qui ne sera pas graduelle, comme la transition du deuxième au troisième millénaire, mais qui aura la violence d’une crise.

Le monde ancien sera dissous et passera avec fracas (1 Pi 3.8s ; Apoc 21.1). Il existe donc une continuité et une discontinuité entre notre cosmos et le ciel, tout comme il y a union et distinction entre les natures divine et humaine dans la personne unique de Christ. Il s’agit d’une nouvelle création. La paix et l’ordre sur la terre sont un avant-goût du paradis. La vie éternelle commence dès maintenant pour les croyants qui, après leur mort, entrent dans la présence de Christ. Le Saint-Esprit, en ressuscitant Christ, est l’Esprit de puissance et de vie qui annonce quelle est l’espérance pour nous, qui suivons son mouvement à distance, selon les lois de la temporalité présente.

Pourtant, le ciel n’existe pas sans discontinuité, mutation et crise. La réalité présente sera dissoute et transformée par l’Esprit en une réalité nouvelle. Ce changement n’est ni naturel, ni le résultat d’une évolution, mais l’œuvre cataclysmique de l’Esprit. Il appelle une certaine violence : celle de la mort, de la disparition de la réalité présente et de la résurrection. Le ciel est arraché brutalement, par l’Esprit, à la création actuelle.

Quelques conclusions

• Le ciel est l’état parfait de la création, la perfection de toutes les réalités créées : la nature et les hommes. Tout, l’histoire et les différents éléments constitutifs de la nature existent dans la perspective du ciel : le ciel « définitif », la création en tant que nouvelle création. La vie, la paix, l’ordre, la justice et la joie y régneront (voir Apoc 21.1-4).

• Le ciel est fixe et permanent. Dieu qui, seul, possède l’immortalité est à l’origine de cet état permanent du ciel. Pourtant cette permanence, qui provient de l’immortalité de Dieu et qui dépendra toujours de sa grâce, n’est pas un état statique. La vie au ciel, en effet, sera animée à toujours par l’Esprit et par la grâce de Christ. Ainsi, le ciel sera un lieu d’activité et de repos (voir Rom 8.20-21).

• Le ciel est un lieu de repos, parce que nous serons délivrés du désordre dû au péché et aux luttes contre l’injustice. Sur terre, l’activité consiste, avant tout, à lutter contre le péché, contre la malédiction qui pèse sur la création et affecte le travail et les relations humaines. Le chrétien, selon le titre de l’ouvrage célèbre de J. Bunyan, mène « une guerre sainte » contre l’ennemi, au-dehors et au-dedans de lui-même, dans le monde et dans l’Église. Que ferons-nous au ciel ? Dans la nouvelle création, nous connaîtrons un mode de vie transfiguré et déploierons une activité au service de Dieu. Dieu sera et demeurera présent. C’est pourquoi notre service sera caractérisé en permanence par la créativité dans tous les domaines. Les prophètes de l’A.T. parlent du glorieux avenir de la terre (ex. : És 11-12) ;

• Enfin, le ciel est une récompense imméritée. Tous ceux qui entrent dans la nouvelle création y arrivent par la grâce de Christ, qui suscite en eux le désir d’obéir à l’Évangile. La récompense du ciel est Jésus-Christ lui-même. Le voir, mieux comprendre, avec une intelligence libérée du péché, la grandeur de son œuvre, pouvoir le servir de toute sa volonté, telle sera la liberté parfaite. Pouvoir l’aimer sans partage, quelle vraie récompense !

Notre nature de créature sera rendue conforme à Dieu. Nous verrons Dieu dans la béatitude, non pas de loin, mais face à face dans une harmonie enfin retrouvée.

 

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Wells Paul
Paul Wells est doyen et professeur de théologie systématique à la faculté de théologie Jean Calvin (Aix-en-Provence, France).