Elles ont épousé des réformateurs
Elles s’appellent Catherine de Bore, Idelette de Bure, Anna Reinhard, etc. L’Histoire n’aura pas retenu leurs noms, et pourtant, elles ont partagé le quotidien, voire les dangers et les privations de leurs réformateurs de maris. Mais que sait-on de leur vie de couple, de leur famille, ou de leur rôle dans les avancées théologiques du XVIe siècle ?
1.Elles osent épouser un homme d’église
À l’époque, les ecclésiastiques ont souvent des maîtresses et les mœurs au sein de l’église officielle laissent à désirer. Alors que ces pratiques sont tolérées, le mariage effectif des hommes d’église leur fait risquer l’excommunication.
Les mariages des réformateurs sont ainsi peu conventionnels. Guillaume Farel épousera Marie Torel en premières noces alors qu’il est âgé de 69 ans ; veuve et mère de trois enfants, Anna Reinhard aurait épousé Ulrich Zwingli en secret, mais leurs noces officielles datent de trois mois avant la naissance de leur fille ; l’union de Catherine Denosse et Théodore de Bèze, contractée secrètement, sera par la suite célébrée publiquement ; quant à Idelette de Bure, veuve d’un anabaptiste1 ayant ensuite épousé Jean Calvin, les Genevois la traitent de femme de mauvaises mœurs ; et Catherine de Bore, pour sa part, s’enfuit de son couvent avec quelques coreligionnaires après avoir lu un traité de Martin Luther contre le célibat des prêtres : celui-ci parvient à toutes les placer en famille ou chez un mari, sauf elle, et il finira donc par l’épouser deux ans plus tard.
2.Elles soutiennent leur mari au quotidien<
Curieusement, l’union qui aura le plus marqué les mémoires sera celle de Martin Luther. Peut-être parce que ce réformateur aura tant vanté les mérites du mariage dans ses écrits. Peut-être aussi parce que sa femme force l’admiration par sa capacité, après seize années passées au couvent, à assumer une vie aussi mouvementée. En effet, ils élèveront quatre orphelins, une dizaine de neveux et nièces, sans compter les six enfants qu’elle portera. À cela s’ajoutent les nombreux visiteurs de son époux dans le vieux monastère qui leur sert de foyer. Elle se chargera notamment d’un énorme jardin et fabriquera sa propre bière pour subvenir aux besoins de tout ce monde. Elle soignera également son mari, car il est « sujet aux maux de tête, à la goutte, aux rhumatismes, et très souvent saisi d’angoisse. »
De son côté, la femme de Jean Calvin a également à cœur le ministère : « Lorsque son ouvrage de maîtresse de maison était terminé, elle était loin d’être oisive : elle aidait son mari dans ses devoirs pastoraux et s’occupait principalement de visiter les malades et d’encourager ceux qui avaient besoin. » Après le décès de son épouse, Jean Calvin écrira : « J’ai perdu l’excellente compagne de ma vie, qui, si le malheur était venu, aurait été ma compagne volontaire, non seulement dans l’exil et dans la misère, mais même dans la mort. Tant qu’elle a vécu, elle a été l’aide fidèle de mon ministère. Jamais je n’ai senti en elle le moindre empêchement. »
Mais l’énergie physique n’était pas le seul critère d’appréciation de ces maris. Ulrich Zwingli soumettait régulièrement sa traduction de la Bible aux critiques de son épouse, une femme très belle mais aussi très éduquée. Et la femme de Pierre Viret, décédée après un long combat contre la tuberculose, fera l’objet de cette exclamation de la part de son mari : « Le Seigneur m’a enlevé la moitié de moi-même. Il m’a privé d’une fidèle compagne, d’une bonne maîtresse de maison, d’une épouse qui s’adaptait admirablement à mon caractère, à mes travaux, à mon ministère tout entier. Il me semble être un étranger chez moi. »
3.Elles permettent à leurs époux de concrétiser leur théologie
Dénoncer le célibat des prêtres et ensuite démontrer sa conviction en se mariant, voilà qui n’est pas forcément insupportable. Déclarer que Dieu prend soin des besoins financiers de ses enfants ne nécessite pas non plus toujours un grand engagement de la part des réformateurs, car ce sont souvent leurs épouses qui font en sorte de joindre les deux bouts. Et être prêts à mourir pour leur foi ? Ils savent qu’ils se retrouveront dans la présence de leur Sauveur. Mais déclarer que Dieu est souverain et ensuite voir un proche décéder, voilà qui secoue ces hommes de foi et les oblige à se départir d’une certaine « distance théologique ». Et cela ne leur serait pas arrivé s’ils ne s’étaient pas mariés…
Ainsi de Martin Luther, qui écrira lors du décès de sa fillette de huit mois : « Il est étonnant combien mon cœur en est malade, presque comme celui d’une femme, tant j’ai de chagrin à son sujet. Je n’aurais jamais cru, auparavant, que les cœurs paternels s’adoucissaient autant pour leurs enfants. » Et encore lors du départ de sa fille Madeleine, âgée de quatorze ans : « Moi-même et ma femme devrions rendre grâce à Dieu de cet heureux passage… et cependant c’est un véritable état de mort… Béni soit notre Seigneur Jésus-Christ qui l’a appelée, élue et glorifiée !»
De son côté, âgé d’à peine deux semaines, l’unique enfant de Jean Calvin meurt. Celui-ci écrira quelques jours plus tard : « Certainement Dieu nous a infligé une blessure grave et amère par la mort de notre fils. Mais il est notre Père : il sait ce qui convient à ses enfants. » Les détracteurs de la Réforme verront plus tard une malédiction divine dans son absence de descendance. Jean Calvin leur répliquera : « En toute la Chrétienté j’ai des enfants à dix milliers ! »
4.Une influence sur les générations suivantes
Sans s’étendre sur le bien que peut apporter une femme vertueuse, courageuse et intelligente, économe et hospitalière, au ministère de son mari, il est certain que l’apport spirituel, moral et organisationnel de ces femmes ne pouvait que contribuer au courage et aux forces physiques de leurs époux, constamment soumis à diverses pressions et aux menaces de mort.
Mais au-delà de leur époque, ces épouses ont permis à leurs maris d’exercer l’hospitalité et, de façon générale, de mettre en œuvre les principes énoncés en 1 Timothée 3. Oui, pour la première fois depuis des siècles, des hommes d’église avaient une famille à – bien – diriger…
- Les anabaptistes : Appelés ainsi car ils ne reconnaissent que le baptême des croyants et non celui des bébés. Leurs mariages n’étant pas célébrés à l’église, ils ne sont pas officiellement reconnus. Le film L’Affaire Sattler retrace les persécutions endurées de la part de certains réformateurs. Margaretha Sattler, ex-nonne et femme de l’auteur vraisemblable de la Confession de Schleitheim officialisant cette doctrine (1527), refusera d’abjurer bien que son mari soit condamné à être brûlé au bûcher, après qu’on lui ait coupé la langue et arraché sept morceaux de chair avec des pinces brûlantes. Trois jours plus tard, elle sera mise à mort par noyade.