Dossier: 500 ans de la Réforme et 50 ans de Promesses
Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Pierre Viret, Le pasteur de la Réforme francophone

 

Si nous connaissons bien Jean Calvin, qui a été le théologien de la Réforme francophone et Guillaume Farel qui en a été l’évangéliste, malheureusement, celui qui en a été le pasteur : Pierre Viret (1511-1571) a largement été oublié.

Pour saisir combien le ministère pastoral de Viret était estimé, laissons tout d’abord la parole au pasteur Jacques Bernard qui écrit à Calvin en février 1541, afin de le persuader de revenir à Genève, d’où il avait été banni quatre ans plus tôt : « Genève, régénérée par le travail de Viret, est devenue une nation nouvelle ».[1] Quant à Farel, après avoir vu le travail pastoral accompli par Viret à Genève pendant la même période, il écrit aux pasteurs de Zurich : « J’ai vu l’édifice admirable élevé là par le travail de Viret. Son labeur a été immense pour ramener le peuple dans la bonne voie ».[2] On prête les paroles suivantes à Calvin qui voulait à tout prix que Viret reste à ses côtés lors de son retour à Genève : « Si Viret m’est ôté, je suis plus mort que vif et cette Église est perdue ».[3] Voilà qui en dit long sur l’appréciation du ministère pastoral de Viret par ses pairs. Alors intéressons-nous à ce qui a fait de Viret le « pasteur » de la Réforme francophone.

1) Sa personnalité

Les biographes de Pierre Viret s’accordent tous sur un point : Il avait un esprit pacifique et doux qui s’exprimait dans les différents domaines de son ministère.

  • Dans son langage, comme en témoigne Théodore de Bèze, qui parle de « la science de Calvin, des tonnerres de Farel et du miel de Viret ».[4] Ailleurs, il disait aussi de lui : « Nul n’a plus de charme quand il parle ».[5]
  • Dans sa prédication qui, comme un long fleuve tranquille semblait enlacer ses auditeurs comme l’atteste Verheiden : « (Viret) avait une parole si douce qu’il tenait son auditoire constamment éveillé et attentif. Son style avait tant de force et une harmonie si caressante à l’oreille et à l’esprit, que les moins religieux parmi ses auditeurs, les plus impatients pour d’autres, l’écoutaient sans peine et avec complaisance. On eût dit, à les voir comme suspendus à ses lèvres, qu’ils auraient voulu le discours plus long ».[6]
  • Dans son rapport avec les autres. Pour maintenir la paix il est prêt à subir quelques injustices, comme ce fut le cas quand son collègue Caroli, nouvellement arrivé, fut nommé premier pasteur de Lausanne à sa place.[7] Puis dans ses démêlés avec l’autorité politique bernoise. Alors que Calvin avait déjà perdu espoir et qu’il l’encourageait à quitter la ville, que Théodore de Bèze avait déjà suivi le conseil du Réformateur de Genève, Viret lui, espérait encore qu’une solution pacifique soit trouvée. Résultat : ce pasteur si doux fut banni de la ville dont il avait été le Réformateur et le pasteur pendant près de 22 ans.
  • Dans ses rapports avec les hérétiques. Lors de l’affaire Servet, alors que Calvin avait écrit à son ami Viret, il se tait. De passage à Valence, Viret délivre et embrasse un père jésuite tombé entre les mains d’un officier huguenot qui s’apprêtait à le mettre à mort. Enfin, il semble que ce soit grâce à son intervention écrite auprès des pasteurs assemblés à Montpellier que les protestants rendirent paisiblement les temples aux catholiques à la suite de l’Édit royal du 17 janvier 1562. Dominique-Antonio Troilo, qui s’est penché sur le rapport entre Viret et les anabaptistes, arrive à la conclusion suivante, qui démontre bien sa douceur et sa modération : « … jamais aucun hérétique ne fut condamné et exécuté là où il (Viret) fut pasteur. … Viret se tient d’ailleurs presque systématiquement à l’écart de tout conflit avec les dissidents, optant pour le silence, ou prêchant la modération et la paix ».[8]

Toutefois, il ne faut pas penser que la douceur de Viret trouve son origine dans un manque de courage, car lorsque la vérité et la pureté de l’Église étaient en jeu, Viret savait tenir ferme et faire preuve d’opiniâtreté, comme l’atteste sa détermination à obtenir le droit d’exercer une discipline ecclésiastique biblique au sein de son église locale. C’est ainsi qu’il préféra le bannissement de son pays à la compromission avec le laxisme moral des autorités bernoises.

2) Ses dons pastoraux

Si Calvin est celui qui systématisa la théologie de la Réforme, il est juste de dire que Viret est celui qui la popularisa. Il prêche dans un langage simple et imagé. Il écrit dans un style qui accroche les gens, répond à leurs questions et leur donne les arguments apologétiques simples, nécessaires à la défense de leur foi. Car dans ses écrits, souvent rédigés sous forme de dialogues, il met dans la bouche de ses différents personnages les courants de pensées de l’époque. De cette manière il parvient à passionner ses lecteurs qui, petit à petit, suivent le développement de l’argumentation biblique et découvrent toute la force et la vérité de l’Évangile face aux pensées humaines. Jean Barnaud, un fin connaisseur de Viret, résume les choses ainsi : « Nous ne saurions oublier que Viret est, par excellence, l’écrivain populaire de la Réforme française : les exemplaires déchirés, dépareillés, usés, des nombreux ouvrages qu’il a réussi à publier se retrouvent dans maintes bibliothèques publiques et privées de France, de Suisse et de l’étranger – il y en a jusque dans le secret du Saint Office de l’inquisition de Séville – ; ils disent ainsi la popularité dont ils ont joui et l’influence lointaine qu’ils ont exercée ».[9]

Le souci de Viret pour le peuple de Dieu l’amène, dès le début de son ministère, à se préoccuper de la formation des pasteurs pour les églises francophones. C’est ainsi qu’on le trouve parmi les membres fondateurs et les premiers professeurs de l’Académie de Lausanne, créée en 1537 (seulement un an après l’acceptation de la Réforme par cette ville). Cette Académie eut une importance capitale dans les premiers temps de la Réforme francophone, jusqu’à la création de celle de Genève, fondée en 1559 « sur les ruines » de celle de Lausanne, à la suite du bannissement de Viret.

D’autres preuves attestent des dons pastoraux de Viret et de la grande estime dont il jouissait au sein du peuple de Dieu en francophonie. Lorsqu’il se réfugia à Genève après son bannissement, il fut immédiatement accueilli comme pasteur et on lui accorda la bourgeoisie de cette ville à la fin de l’année 1559, en même temps que Calvin qui en avait pourtant été le pasteur pendant plus de 15 ans. Puis lorsqu’il partit pour le sud de la France à cause de sa santé déficiente, il joua un rôle de tout premier ordre dans l’organisation de l’église réformée dans le Béarn, royaume de Jeanne d’Albret. Son influence et le respect qu’on lui portait sont démontrés dans le fait qu’il fut nommé Modérateur de quatre Synodes successifs, alors que le règlement spécifiait qu’il était impossible à une personne d’occuper cette place deux années de suite.

Viret est donc un homme qui voua toute sa vie au service de l’Église de Jésus-Christ et en particuliers des églises locales francophones. C’est pourquoi il importe que nous nous arrêtions maintenant sur la conception qu’il avait de l’église. Car au-delà de sa personnalité et de ses dons pastoraux, ce qui conduisit Viret à être le pasteur de la Réforme, c’est sa conception de l’église locale et du ministère pastoral.

3) Sa conception de l’église locale et du ministère pastoral

Bien qu’il fût pasteur dans une ville où la Réforme s’était imposée de manière plus politique que spirituelle, Viret affirmait qu’on entrait dans l’église exclusivement par la foi en Jésus-Christ : « Il faut pour devenir brebis, que nous oyons (entendions) la voix du bon Pasteur, qui est la voix de l’Évangile, par le moyen de laquelle cette conversion et transformation de loup en brebis se fait. Car le moyen par lequel nous pouvons avoir accès à Jésus-Christ, et entrée en son Église et en sa bergerie, et conséquemment au royaume des cieux, est par la foi … comme Jésus-Christ est l’huis (la porte), par lequel il nous faut entrer au royaume des cieux, ainsi la foi est comme la ferrure, et la clé par le moyen de laquelle cet huis nous est ouvert, et sans laquelle il nous demeure toujours clos ».[10]

Mais puisque Dieu seul connaît le cœur, la responsabilité qui incombe au pasteur ne consiste pas à juger le cœur des membres de son église,[11] mais à prêcher l’Évangile car c’est par lui que vient la connaissance de Jésus-Christ, et à veiller à maintenir une église confessante bien disciplinée. Voilà pourquoi Viret ne pouvait tolérer au sein du peuple de Dieu une multitude de personnes qui n’avaient que faire de la Confession de foi et qui refusaient de conformer leur vie aux exigences bibliques. Ainsi pour Viret, le vrai membre d’église était celui qui, après avoir confessé publiquement sa foi, soumettait sa vie aux exigences de la Parole de Dieu avec joie et amour pour son Dieu en considérant chaque événement quotidien comme un moyen de progresser dans sa marche chrétienne.

[1] Cité in Philippe Godet, Pierre Viret, Payot, Lausanne, 1892, p.65-66

[2] ibid. p.65-66

[3] ibid. p.66

[4] Cité in ibid. p.81

[5] Cité in Henri Vuilleumier, Notre Pierre Viret, Payot, Lausanne, 1911, p.142

[6] Verheiden, Praestantium aliquot theologorum effigies, cité in Jacques Cart, Pierre Viret le Réformateur vaudois, Librairie Ls Meyer, Lausanne, 1864, p.129.

[7] Cf. à cet égard la lettre de Viret à Calvin in Henri Jacquemot, Viret le réformateur de Lausanne, Strasbourg, Imp. Silbermann, 1836, p.39

[8] Dominique-Antonio Troilo, Pierre Viret et l’anabaptisme, Association Pierre Viret, Lausanne, 2007, p.168

[9]  Discours de Jean Barnaud in Le Jubilé de Pierre Viret, Lausanne-Orbe, Pache, 1911, p.61.

[10] Pierre Viret, Des clefs de l’Église et de l’administration de la parole de Dieu …, Genève, Jean Rivery, 1564, p.8.

[11] « Cependant nous devons noter, sur ce qui a été dit des chiens, et des pourceaux, que l’Église n’a pas commandement de tenir pour tels, tous ceux qui le sont à la vérité ; ainsi seulement ceux-là lesquels elle connaît être vrais chiens, et vrais pourceaux, en tant qu’ils se déclarent tels, par leurs forfaits, et méchante vie. Car ce n’est point à elle de juger des choses inconnues et cachées, qui sont réservées au jugement de Dieu. Car comment pourrait-elle prononcer sentence, contre ceux desquels la méchanceté est encore cachée, sous apparence et couverture de religion, par eux feinte et simulée ? » Pierre Viret, Du vray ministère de la vraye Église de Jésus-Christ, et des vrays sacrements d’icelle, Genève, Jean Rivery, 1560, pp.34-35.

Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page
Dossier : 500 ans de la Réforme et 50 ans de Promesses
 

Favre Olivier
Olivier Favre-Bulle exerce un ministère pastoral depuis de nombreuses années au sein d’églises réformées baptistes tout d’abord à Lausanne, puis à Payerne et actuellement à Mulhouse. Il est l’auteur du livre « Le bon fondement » aux Éditions Repères.