Dossier: Guerres et famines
Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page

La conquête de Canaan : un génocide ?

« Je ne peux pas croire au Dieu de la Bible parce qu’il a ordonné un génocide. »
Le récit de la conquête de Canaan en choque plus d’un, au point d’être un obstacle à la foi. Même parmi les chrétiens, beaucoup sont frappés par la dimension tragique de ces récits.

En effet, la lecture du commandement divin dans le Pentateuque et de la narration de la conquête dans le livre de Josué donne l’impression d’une extermination des nations cananéennes.
• Deutéronome 7.1-2 : « Lorsque l’Éternel, ton Dieu, t’aura fait entrer dans le pays […] qu’il chassera devant toi beaucoup de nations […] tu les dévoueras par interdit […] et tu ne leur feras point grâce. »
• Josué 10.40 : « Josué battit tout le pays, la montagne, le midi, la vallée et les coteaux, et il en battit tous les rois ; il ne laissa échapper personne, et il dévoua par interdit tout ce qui respirait, comme l’avait ordonné l’Éternel, le Dieu d’Israël. »
Les expressions utilisées pour décrire la manière dont les Israélites devraient traiter les Cananéens sont dures à entendre : exterminer (Ex 23.23), chasser (Ex 23.28-31), livrer (Deut 7.2), détruire (Deut 12.30)… Elles sont encore plus poignantes lorsqu’il est précisé qu’ils les détruisirent entièrement « hommes et femmes, enfants et vieillards, jusqu’aux bœufs, aux brebis et aux ânes », ne laissant aucun rescapé (Jos 6.21 ; 11.11,14 ; cf. également Deut 2.34 et 3.6).
Ces expressions conduisent nos consciences modernes à rapidement accuser deux acteurs des événements décrits : le Dieu « d’amour » qui aurait commandé le massacre sanglant des Cananéens, et les Israélites qui auraient exterminé les Cananéens. L’accusation est-elle justifiée ?
Peut-on parler de génocide ?
Avant de répondre à ces questions, il convient de prendre le temps d’analyser l’ensemble des informations bibliques afin de disposer d’une photographie complète de la situation. Nous relevons ici cinq points à prendre en considération. Ils concernent d’une part la relation entre Dieu et les Cananéens, et d’autre part l’intervention israélite sous le commandement de Josué.

A. La relation entre Dieu et les Cananéen

Que s’est-il passé entre Dieu et les Cananéens ? Y-a-t-il une spécificité cananéenne ?
En Exode 33.12 à 34.9, Moïse demande à voir la face de Dieu. Ce dernier se révèle à lui en proclamant son nom : « L’Éternel, l’Éternel, Dieu, miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité, […] qui pardonne l’iniquité, la rébellion et le péché, mais qui ne tient point le coupable pour innocent… » Dieu choisit donc de se révéler sous ses caractères qui marquent sa relation avec l’homme.
Notons deux principaux traits : sa grande patience, motivée par sa miséricorde, et sa justice.

1. Dieu a été patient envers les Cananéens

Cette patience a duré au moins 400 ans 1 . Lorsque Dieu promit à Abraham de lui donner le pays de Canaan, il lui précisa que le délai de réalisation de la promesse serait très long parce que « l’iniquité des Amoréens 2 n’est pas encore à son comble » (Gen 15.16). Pendant cette période de patience, nous pouvons penser que les Cananéens ne sont pas restés sans avertissements, car Dieu prévient toujours avant de juger (cf. le cas de Ninive avec Jonas). Les déclarations de Rahab, habitante de Jéricho, vont dans ce sens : « Nous avons appris comment, à votre sortie d’Égypte, l’Éternel a mis à sec devant vous les eaux de la mer Rouge […] C’est l’Éternel, votre Dieu, qui est Dieu en haut dans les cieux et en bas sur la terre » (Jos 2.10 11).

C’est Dieu qui jugeait les Cananéens

Le motif du jugement était clair : « toutes les abominations qu’ils font pour leurs dieux » (Deut 20.18). Rappelons que les sacrifices d’enfants et l’immoralité sexuelle étaient très présents dans le culte cananéen 3 . Les Israélites devaient donc démolir leurs autels, briser leurs statues, abattre leurs idoles et brûler leurs images taillées (Deut 7.5). Le commandement divin d’extermination n’était donc pas formulé sur une base raciale, mais sur la base du comportement immoral des Cananéens. D’ailleurs, les Israélites couraient le même risque de jugement s’ils commettaient les mêmes abominations, selon Deut 7.4 : « … tes fils, qui serviraient d’autres dieux, et la colère de l’Éternel s’embraserait contre vous : il te détruirait promptement. » Comme pour Sodome et Gomorrhe, Dieu ne pouvait plus supporter les iniquités pratiquées par les Cananéens.
Le juge était Dieu lui-même. Le texte biblique montre que les batailles sont menées par l’épée de l’Éternel lui-même : « Comme Josué était près de Jéricho […] voici un homme se tenait debout devant lui, son épée nue dans la main […] Je suis le chef de l’armée de l’Éternel, j’arrive maintenant » (Jos 5.13 14).
En revanche, le moyen de jugement visible sur le champ de bataille était l’épée des Israélites. Ils ne devaient laisser aucun survivant sur le champ de bataille, parce que les Cananéens étaient « frappés d’anathème » ou « dévoués par l’interdit ». Ces expressions traduisent le terme herem qui désigne une chose entièrement consacrée à l’Éternel (Lév 27.28). S’il s’agit d’une personne, celle-ci doit être mise à mort. Autrement dit, la vie des Cananéens revenait au Créateur. Josué a donc conduit les Israélites dans l’obéissance au commandement divin — ce que le texte biblique tient à souligner : « Josué exécuta les ordres de l’Éternel à Moïse, […] il ne négligea rien de tout ce que l’Éternel avait ordonné à Moïse. » (Jos 11.15) Il ne s’agit donc pas d’une conquête accomplie par haine contre les Cananéens.
Notre conscience peut être choquée par la violence des événements. Mais, sans rentrer dans les détails, on constate à travers l’histoire biblique que la violence humaine est présente lors de l’exécution de jugements divins. Le Fils de Dieu lui-même n’y a pas échappé. En effet, lorsque la colère de Dieu s’est déversée sur lui à notre place, toute la cruauté de la crucifixion des Romains s’est manifestée. Devons-nous en déduire pour autant que Dieu est violent ?
En conclusion, nous pouvons dire que Dieu n’a pas agi de manière spécifique avec les Cananéens : il n’y a pas d’exception cananéenne, mais une jurisprudence cananéenne. Comme Dieu a été patient avec eux, il est patient envers tous les hommes ; comme il les a détruits en jugement, il fera de même pour tous les impies (cf. 2 Pi 3.7-9).
L’accusera-t-on alors de génocide ? Cela n’a pas de sens… L’exercice de la justice reste la prérogative de Dieu.

B. L’intervention israélite sous le commandement de Josué

Les Israélites ont-ils profité de l’occasion pour commettre des actes coupables envers les Cananéens ?
Nous avons remarqué ci-avant que le texte biblique souligne l’obéissance de Josué aux commandements divins. Il a respecté scrupuleusement le cadre prescrit par Dieu lui-même ; et ce cadre, c’est la guerre.

3. Les Israélites ont conquis le pays selon les règles de la guerre

Dieu avait clairement précisé les règles de guerre que le peuple devait suivre. Il devait demander la paix avant d’attaquer une ville. « Quand tu approcheras d’une ville pour lui faire la guerre, tu l’inviteras à la paix. » (Deut 20.10, Darby) Si la ville était hostile, la guerre était justifiée. S’il s’agissait d’une ville en dehors de Canaan, seuls les hommes adultes devaient être tués. S’il s’agissait d’une ville située dans le pays, elle devait être entièrement détruite en application de l’anathème.
Il ne devait donc pas y avoir de prisonniers de guerre, ni de butins dans ces villes, comme évoqué précédemment.
Moïse a observé ce commandement pour la conquête des territoires à l’est du Jourdain en prenant soin de demander la paix (Deut. 2.26-30).
Nous n’avons pas de précisions concernant une demande de paix lors de la première campagne militaire menée par Josué (Jéricho, Aï et Béthel).
Mais les six jours de tour de la ville de Jéricho ne peuvent-ils pas être considérés comme autant d’offres implicites de paix ? Concernant les deux autres campagnes militaires, la déclaration de guerre provenait des Cananéens eux-mêmes. Les Israélites se sont retrouvés en guerre, soit à cause de leur alliance avec les Gabaonites, soit pour répondre à une agression directe. Le texte précise que « l’Éternel permit que ces peuples s’obstinent à faire la guerre contre Israël, afin qu’Israël […] les détruise » (Jos 11.20). De plus, « Israël ne brûla aucune des villes qui étaient demeurées tranquilles sur leurs collines, excepté Hatsor » (Jos 11.13, Darby).
Dans ce contexte, il est intéressant de noter le cas des Gabaonites. Ces derniers ont réussi à négocier la paix par ruse. Ils ont été asservis aux Israélites conformément au commandement divin.

4. La conquête est décrite en termes de victoires remportées

En effet, le narrateur s’attarde à rapporter la prise de villes et l’anéantissement de rois (cf. le résumé de Josué 12), plutôt que la destruction des habitants.
La conquête a donc consisté à détruire les points stratégiques que constituaient les villes 4 . Ces dernières étaient les centres religieux, commerciaux, administratifs. La prise de ces villes garantissait la domination d’Israël sur le territoire. En effet, à la fin des campagnes militaires, il restait encore une grande partie à prendre en possession (« le pays qui te reste à soumettre est très grand », Jos 13.1). Chaque tribu avait la responsabilité de prendre possession des contrées qui lui étaient attribuées en partage alors que les ennemis étaient désormais affaiblis. La situation des géants Anakim est symptomatique à ce sujet : Josué les extermina avec leurs villes (Jos. 11.21), mais à Hébron, Caleb a dû déposséder les Anakim qui y étaient toujours (Jos. 14.12 ; 15.14).
Cette dernière citation semble montrer une contradiction : il détruisit entièrement, mais il en reste ! On voit donc que le style utilisé par le narrateur est hyperbolique. Lorsqu’il parle de destruction complète, il veut souligner la victoire totale obtenue par Josué. Il ne s’agit donc pas d’une formule pour décrire une éradication complète des Cananéens. D’ailleurs, ses conclusions après la description de la conquête et du partage font uniquement référence à la fin de la guerre : « Le pays se reposa de la guerre » (Jos 11.23 ; 21.44, Darby).

5. Les Israélites ont laissé vivre des Cananéens dans le pays

La cartographie du pays après la conquête est bien éloignée de celle d’un territoire peuplé uniquement d’Israélites. Cette situation est bien conforme aux annonces divines. En effet, Dieu avait expressément annoncé que la conquête serait progressive : « L’Éternel, ton Dieu, chassera peu à peu ces nations loin de ta face. » (Deut. 7.22) L’hypothèse de la présence de Cananéens en permanence dans le pays était sous-entendue par Dieu lui-même, puisqu’il avait commandé aux Israélites de ne pas s’allier à eux par mariage (Deut 7.3).
On voit aussi que dans certains cas, des échappés ont été laissés en vie : « Quand Josué et les fils d’Israël eurent achevé de leur infliger une très grande défaite, jusqu’à les détruire, il arriva que les fuyards d’entre eux échappèrent et entrèrent dans les villes fortifiées ; et tout le peuple retourna en paix au camp. » (Jos 10.20-21, Darby). On peut remarquer que dans certains cas, ils ne tuèrent que les hommes (Jos. 11.14).
En conclusion, nous pouvons dire que les Israélites n’ont pas conquis le pays dans une logique de destruction systématique des Cananéens. Leurs actes s’inscrivaient dans le cadre d’une guerre, leurs ennemis cherchant à leur faire subir le même sort.
Accuserons-nous de génocide une armée qui lance une contre-offensive ?

En synthèse

Les cinq points évoqués nous indiquent déjà qu’une lecture plus attentive du texte biblique diminue le sentiment de génocide. Le but du commandement divin était double : d’une part, juger les Cananéens qui ne se sont pas détournés de leurs abominations ; et d’autre part, préserver les Israélites de l’idolâtrie cananéenne, afin de les protéger in fine du jugement divin. On discerne alors à travers ce commandement que Dieu est à la fois juste et bon : juste, car il ne laisse pas le coupable impuni ; bon, car il veut avant tout éviter de devoir le punir.
Comment donc ne pas faire confiance à un tel Dieu ? Comment ne pas décider de se détourner de ses mauvaises voies et croire en lui ? Un exemple de jugement divin comme celui des Cananéens a aussi un rôle pédagogique ; il devrait nous inciter à nous rapprocher du Dieu « miséricordieux, lent à la colère, et grand en bonté ».

Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page
  1. Ce décompte démarre à la déclaration de Dieu à Abraham (Gen 15.16). Il ne tient pas compte de toute la période qui la précède.
  2. Les Amoréens : terme générique pour désigner les habitants de Canaan.
  3. Ces pratiques sont aussi attestées par des découvertes archéologiques.
  4. En réalité, seules trois villes ont été entièrement détruites et brûlées par le feu (Jéricho, Aï et Hatsor).
Dossier : Guerres et famines
 

Coquerel Eli
Éli Coquerel, marié et père de cinq filles, est enseignant d’économie-gestion en lycée. Il s’implique en tant qu’ancien dans une église de maison de l’agglomération toulousaine. Il coordonne également FormaBible, une formation biblique proposée en ligne.