Dossier: Guerres et famines
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Un chrétien peut-il être soldat ?

Un chrétien peut-il être soldat au XXI e siècle ? Peut-il tuer s’il en reçoit l’ordre ? La guerre peut-elle être juste ? Des chrétiens sérieux, convaincus de l’inspiration de l’Écriture, répondent différemment à ces questions. Cet article propose humblement quelques pistes bibliques, qui respectent des convictions et des avis différents, avant une proposition de synthèse qui ne se veut ni dogmatique ni définitive.

Dans l’Ancien Testament

• Dieu se révèle à Abraham et fait alliance avec lui, lui promettant une terre, une descendance et une bénédiction universelle (Gen 12). En Genèse 15.7, 13-20, Dieu annonce qu’Israël sera longtemps un peuple d’émigrés qui sera maltraité pendant 400 ans. Ils ne pourront prendre possession de la terre promise avant « car c’est alors seulement que la déchéance morale des Amoréens aura atteint son comble » (15.15). Du coup, la guerre de conquête de Canaan (XVI e s. av. J.-C.) sera aussi un jugement militaire sur les Cananéens 1 . Dieu utilise la force armée pour donner à Israël un territoire, et pour juger en même temps un peuple méchant et immoral. Dieu juge parfois les nations par la guerre 2 .
• Les « 10 commandements » de la loi de Moïse prohibent de commettre un meurtre, c’est-à-dire d’ôter la vie d’un innocent, par envie, par méchanceté, ou par intérêt personnel. Le mot utilisé pour « tuer », notamment en temps de guerre, est un autre mot. La loi distingue donc le meurtre de l’action de tuer, soit dans l’exercice de la justice, soit dans le contexte d’une guerre.
• Plusieurs passages de la Torah régulent la manière de mener la guerre, notamment Deutéronome 20. Il fallait proposer à la ville assiégée de se rendre avant la bataille (Deut 20.10), protéger les arbres fruitiers (20.19), etc. La loi posait un cadre à la guerre, comme si celle-ci était un mal possible, qui permettait parfois d’empêcher d’autres maux, pires encore, mais en les encadrant. On imagine ce que serait l’Europe si le nazisme avait triomphé, et on peut comprendre que certaines guerres soient utiles, voire nécessaires, pour préserver l’intégrité morale ou humaine d’une civilisation. On note par ailleurs que les combattants pouvaient être relevés de leur appel en fonction de leurs situations personnelles  : mariage récent, plantation récente, etc.
• Lorsque Dieu emploie les Assyriens pour juger le royaume d’Israël, puis Nebucadnetsar, le dictateur de Babylone, pour juger le royaume de Juda, ils sont rendus responsables de leurs actes atroces (cf. Jér 51.20-24). Un Dieu souverain emploie des nations païennes, conduisant la brutalité « naturelle » des rois de l’époque, pour accomplir son plan de jugement. Mais ces hommes qui accomplissent son plan ne sont en aucun cas dédouanés de leurs responsabilités personnelles puisqu’ils agissent selon leur propre cœur.

Dans le Nouveau Testament

Le N.T. présente des données quelque peu surprenantes. Israël est sous tutelle romaine, après avoir été sous la gouvernance des Grecs.
• Tous les centeniers 3 mentionnés dans le N.T. sont présentés de façon favorable — c’est-à-dire qu’ils ne sont jamais présentés comme étant des hommes mauvais ou méchants, mais comme des personnes qui, par contraste même avec le peuple d’Israël, ont un cœur, une spiritualité, et une recherche de Dieu. C’est d’autant plus surprenant à nos yeux qu’ils étaient les officiers d’une armée occupante !
Jésus relève la foi du centenier de Capernaüm (Mat 8.5-13). Celui qui a été chargé de surveiller la crucifixion a confessé la divinité de Jésus (Mat 27.54). Corneille (Act 10) et Sergius Paulus 4 (Act 13.7,12) sont devenus chrétiens.
• Aucune des longues listes de péchés que nous trouvons dans le N.T. ne mentionne le fait d’être soldat ; à aucun moment, les apôtres dans leurs lettres ne demandent aux soldats de démissionner de leurs fonctions.
• À l’époque du N.T., l’armée jouait à la fois un rôle militaire (de conquérant) et un rôle de police (de maintien de l’ordre). Quand Paul évoque le « magistrat […] qui porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal », il enjoint : « Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience » (Rom 13.4-5). Dieu demande donc à l’armée d’instaurer un ordre, certes imparfait, mais préférable au chaos de l’anarchie et du non-droit.
• En même temps, le N.T. insiste sur le fait qu’un disciple de Christ va se caractériser par une certaine douceur : il aime son ennemi, prie pour ceux qui le maltraitent et qui le persécutent.
L’attitude générale du chrétien doit le faire connaître comme un homme doux, généreux, bienveillant, qui ne répond pas « au quart de tour », loin d’un esprit haineux, revanchard et belliqueux (cf. Mt 5.1-12, 5.38-45, Rom 12.17-21, Mt 7.12, 1 Pi 2.11-25).
• Lorsque Jean-Baptiste voit des soldats venir à lui pour lui demander ce qu’ils doivent faire, il leur répond : « Ne commettez ni extorsion ni fraude envers personne, et contentez-vous de votre solde. » (Luc 3.14) Jean-Baptiste ne dit pas à ces soldats de démissionner ou de déposer les armes, mais il modère et limite leur activité pour que cette activité se fasse selon une certaine éthique. Ça veut dire qu’un soldat chrétien va devoir réfléchir aux ordres qu’il reçoit. Cela me semble être l’un des éléments importants à prendre en compte dans la réponse à la question initiale.

Un essai de synthèse

Comment concilier ces données qui semblent parfois un petit peu en contradiction les unes avec les autres ?
L’histoire nous apprend que les chrétiens les ont comprises différemment :
• La première position est le pacifisme. Elle a marqué le mouvement mennonite qui a maintenu pendant des siècles une position fermement pacifique où un chrétien ne prendrait les armes en aucune circonstance 5 .
Un pacifiste dira « Je préfère aller en prison que de porter une arme et de porter la main sur un être humain créé à l’image de Dieu. 6 »
C’est aussi la position la plus fréquente des chrétiens dans les pays musulmans où la guerre prend souvent une connotation religieuse ; ils ont décidé pour la plupart, étant donné que la violence entraîne un cycle infernal de violence, de ne pas prendre les armes. Les guerres de religion européennes ont conduit les anabaptistes aux mêmes conclusions.
• La deuxième position est inverse. Ces chrétiens disent que s’enrôler est un appel personnel légitime. Ils participent à l’armée de leur pays et, lorsque l’ordre de mener bataille est donné, ils font leur travail, c’est-à-dire qu’ils tuent les soldats d’un pays adverse sans aucun problème de conscience. Ils estiment que Dieu forge l’histoire de nations souverainement et providentiellement par le biais de l’État et de l’armée. Un droit s’établit ainsi, certes imparfait, même mauvais dans un certain sens, mais préférable au chaos qui vient d’un monde livré au règne du plus fort 7 . Je remarque que cette position s’exprime souvent dans le contexte de pays où les chrétiens ont confiance dans leur gouvernement qui est plus ou moins stable et démocratique.
• Une variante de la position précédente propose d’évaluer la moralité d’une guerre pour décider d’une participation 8. Une guerre défensive serait considérée comme juste, ou encore une guerre visant la libération d’un peuple de l’oppression d’un gouvernement injuste. Le problème de cette perspective est qu’elle aurait soutenu les militaires de Jérusalem, quand Dieu qualifiait d’injuste cette posture et qu’il demandait par son prophète Jérémie de se rendre aux Babyloniens !
En l’absence d’un prophète authentique, il est difficile d’établir ce que serait une guerre juste.
• Une troisième perspective, entre les deux, se limite au soutien logistique. Dans cette perspective le chrétien pourrait manifester son soutien à un État en guerre, mais uniquement dans des positions de non-combattant. Il pourrait s’impliquer en tant que médecin, chauffeur, infirmier ou logisticien, sans accepter une position où il prendrait une arme pour participer aux combats.
• Au II e siècle de notre ère, les pères de l’Église recommandaient aux gens qui se convertissaient de ne pas devenir des soldats, mais on laissait aux soldats qui devenaient chrétiens la possibilité de rester dans leur profession. Là encore, c’était une position de compromis. Souvent les réflexions éthiques ne sont pas toujours très tranchées car on navigue dans un monde déchu où le bien et le mal ne sont pas toujours si clairs.
Avec le temps, j’ai développé une perspective que je qualifierais de « consentante ». Elle « rend à César ce qui est à César » et « à Dieu ce qui est à Dieu ».
Dans mon appel, je vais militer pour le royaume de Dieu, c’est-à-dire proclamer l’Évangile, vivre la vie chrétienne du mieux possible, prier pour la liberté de culte, etc. ; en parallèle, je consens à participer au royaume de ce monde et je consens à un certain nombre d’activités, y compris combattante. Je suis prêt à un certain nombre d’engagements jusqu’aux limites de ma conscience ; Actes 5.29 nous dit que nous devons obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, et à un moment donné, si les ordres qui me sont donnés sont des ordres qui violent ma conscience (par exemple tuer des civils, ou se venger sur eux), je ne le ferai pas ; j’espère avoir le courage à ce moment-là de le refuser, quitte à en subir les conséquences qui pourraient aller jusqu’à une exécution ou un emprisonnement. Voilà comment je verrais les choses :
1. Laissons à Dieu le soin de diriger les présidents et les rois, sachant qu’il jugera et condamnera les dictateurs de ce monde.
2. Prions que Dieu accorde en tout lieu la liberté de prêcher et de croire. Dans notre pays, et dans tous les pays du monde, notamment les pays encore fermés à l’Évangile.
3. Consentons aux décisions prises par nos autorités pour les suivre jusqu’au combat, poursuivant un engagement mesuré et respectueux des populations.
4. Refusons tout acte militaire ou policier outrancier contraire à l’éthique chrétienne (torture, racisme, viol, etc.). Consentons que ce refus de soumission entraîne une condamnation pour insubordination.
5. Participons activement, en tant qu’Église, à tout acte de justice (protection des faibles, opprimés, étrangers, etc.).
6. Accueillons dans l’Église tout croyant, même avec des avis différents, même « ennemi occupant ».
7. Prêchons l’Évangile à tous, pour permettre au plus grand nombre d’accéder à l’éternité de paix que Dieu va instaurer.
Chaque lecteur est encouragé à se positionner personnellement. Restons aussi prudents vis-à-vis de ceux qui ont pris une décision différente de la nôtre, car il n’y a sans doute pas de réponse absolue possible à cette question.

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  1. L’archéologie a démontré la cruauté des Cananéens qui, entre autres sévices, brûlaient vifs des enfants jusqu’à 5 ans pour satisfaire leurs divinités.
  2. Voir, dans ce même numéro, l’article sur la guerre de conquête de Canaan. Les livres historiques (Juges, 1 & 2 Rois par ex.) rapportent de nombreux exemples de guerres punitives et de guerres libératrices…
  3. Un centenier (ou centurion) était un officier de l’armée romaine commandant une centaine de soldats.
  4. Il était proconsul et comme tel il pouvait ordonner l’exécution des criminels ou déployer des troupes en guerre.
  5. En francophonie, Egbert Egberts défend cette approche dans son livre, On n’apprendra plus la guerre, Vers un pacifisme chrétien, aux éditions Oasis.
  6. Certains pays offrent le statut d’objecteur de conscience.
  7. Les exactions terribles commises et attestées dans certains pays (mutilations des femmes, enrôlement d’enfants soldats, etc.) après le départ de l’armée conquérante d’un pays démocratique ayant établi un certain ordre social serait une justification de cette approche.
  8. Augustin, puis Thomas d’Aquin, ont été les premiers théologiens à se pencher sur
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Varak Florent
Florent Varak est pasteur, auteur de nombreux livres. Il est aussi conférencier, et professeur d’homilétique à l’Institut biblique de Genève. Il est le directeur international du développement des Églises au sein de la mission Encompass liée aux églises Charis France. Il est marié avec Lori et ont trois enfants adultes ainsi que quatre petits-enfants.