Dossier: Le défi de l'Islam
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Le Dieu de l’islam est-il celui des chrétiens et des Juifs ?

Cet article reprend un chapitre du livre publié par Jamil Chabouh et Karim Arezki, L’islam, un regard chrétien, Croire et Lire, 2014.

Le premier fondement de la foi musulmane porte sur Dieu : il faut croire en lui avant toute autre chose. Tout comme la Bible, le Coran ne s’attarde pas sur la démonstration de l’existence de Dieu, il reprend d’elle la majorité des noms et attributs qu’elle lui attribue.

Le nom d’Allah

La théologie musulmane parle de « quatre-vingt-dix-neuf » ou de « cent moins un » noms de Dieu. Ces noms ne se trouvent pas tous dans le Coran mais la Tradition en indique un grand nombre dans deux listes différentes rapportées par al-Bukhari et Muslim1. On trouve parmi eux : l’Unique, l’Éternel, le Souverain, le Parfait, le Juste, le Pur, le Premier, le Dernier, etc.2

Le nom de Dieu qui revient le plus souvent dans le Coran est Allah. Ce nom a suscité parfois des réactions bien étranges. Considérant que ce nom est musulman, des autorités religieuses indonésiennes interdisent parfois aux chrétiens de l’utiliser dans leurs prières 3 alors que certains chrétiens évangéliques soutiennent que le nom d’Allah n’est pas biblique et ne devrait donc pas être utilisé pour désigner Dieu.

Selon les linguistes arabes, Allah vient d’une « contraction de l’article défini al et du mot ilah qui est le mot arabe pour “dieu”. Autrement dit, le nom Allah signifie « le Dieu”, l’unique Dieu. » 4 D’autres spécialistes proposent de comprendre le nom d’Allah comme un nom propre. Nous rencontrons un peu le même phénomène avec Élohim, le nom hébreu utilisé pour Dieu dans l’Ancien Testament. Il est utilisé pour nommer le Dieu révélé, mais aussi pour désigner n’importe quel « dieu », comme le fait du reste notre mot en français ou encore « god » en anglais. Sur le plan purement linguistique « allah » ne nous donne pas plus de renseignement sur le Dieu auquel il fait référence. Dans la bouche des chrétiens et Juifs de langue arabe avant l’arrivée de l’islam, « Allah » était utilisé pour désigner le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Il n’est donc pas venu avec la religion musulmane mais a été employé par les monothéistes arabes bien avant.

En somme le nom « allah » ne permet pas d’établir à lui tout seul une différence objective entre la conception de Dieu dans l’islam et dans le christianisme.

Il est bien plus important d’examiner la vision de Dieu dans ces deux religions pour pouvoir établir les convergences et les divergences.

L’unicité divine

Le thème de l’unicité divine traverse tout le Coran et la tradition musulmane. Il est tellement important que pour Mohamed, tous les péchés peuvent être pardonnés par Allah, excepté celui de l’association* (al-Ichtirak) (Q 4.48, 116). La première partie de la confession de foi (chahada) qui doit être prononcée pour devenir musulman lui est consacrée : « Je confesse qu’il n’y a pas d’autre divinité que Dieu. »

À l’époque de Mohamed, les Arabes, polythéistes, adoraient trois déesses (Lat, Uzza et Manat : Q 53.19-20), considérées comme « filles d’Allah » : al-Lat, veut dire « la Déesse », est adorée à Ta‘if (près de La Mecque), al-‘Uzza, qui veut dire « la Toute-Puissante », est célébrée à Nakhla (près de Riyad) par les Qorayshites, et le culte de Manat, qui est une divinité du « destin et de la mort », est rendu à Yathrib qui deviendra la Ville du Prophète (Médine).

Le prophète de la nouvelle religion s’érige contre cette mentalité polythéiste, prêchant l’unicité divine : Dieu est Un. Cette doctrine (tawhid) deviendra la plus importante dans l’enseignement de Mohamed. On peut noter ici l’influence de la secte des hanifa 5  (qui veut dire : séparatistes) sur Mohamed qui l’a fréquentée avant de devenir prophète. Cette secte était constituée d’ermites ascétiques qui professaient un monothéisme pur. Ils enseignaient aussi que les Arabes sont descendants d’Abraham par Ismaël. Ces deux points seront repris par Mohamed.

La Bible et l’islam professent clairement un Dieu unique. Toutefois, alors que la Bible témoigne d’un Dieu UN et de trois personnes divines (Père, Fils et Saint-Esprit), l’islam ne fait aucune place à la diversité au sein de la divinité.

Le Coran présente Dieu comme n’ayant pas d’enfant (Q 17.111) ni de femme (Q 6.101).

C’est un Dieu Unique (Q 37.4 ; 41.6) : il est Unique dans sa divinité (wahid) et Un dans sa nature divine (ahad).

La sourate 112 résume à elle seule cette doctrine (tawhid) :

Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.

  1. Dis : Il est Allah Un (ahad).
  2. Allah, l’indivisible (samad)
  3. Il n’a pas engendré, n’a pas été engendré.
  4. Et personne n’est égal à lui.

Chaque verset évoque, positivement ou négativement, l’unicité de Dieu.

Samad est ici traduit par « indivisible ». Il faut alors comprendre qu’en Dieu il n’est point de « creux ». Il est « sans mélange d’aucune sorte, sans aucune possibilité de divisions en parties ».6

Le troisième verset proclamant que « Dieu n’a pas engendré, n’a pas été engendré » peut porter soit sur la nature divine soit sur les personnes divines :

Nature divine : Si on considère que ce verset se réfère aux termes ahad du verset 1 et samad du verset 2, c’est la nature divine qui est en cause. Dans ce cas-là, on se retrouverait en face d’une déclaration semblable à celle de la Bible en Deutéronome 6.4 : « Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est UN. » D’ailleurs le terme ahad (UN) de la sourate est quasiment identique à celui (hébreu) du Deutéronome. Jésus a cité ce texte du Deutéronome (Marc 12.28-31) 7. Les premiers ciblés étaient les polythéistes mecquois qui adoraient plusieurs divinités mais par la suite ils ont été utilisés contre les Juifs et les chrétiens à cause de leur refus de reconnaître la valeur scripturaire des révélations que Mohamed a reçues. La déception de Mohamed face à ce refus est telle qu’il délivre la fameuse sourate at-Tawba (sourate du Repentir), assez violente, dans laquelle il accuse les chrétiens et les Juifs de l’associationnisme : « Les Juifs disent : « Uzayr (Esdras) est fils d’Allah » et les chrétiens disent : « Le Christ est fils d’Allah ». Telle est leur parole provenant de leurs bouches. Ils imitent le dire des mécréants avant eux. Qu’Allah les anéantisse ! Comment s’écartent-ils (de la vérité) ? » (Q 9.30).

Nature et personne divines : À partir de là, l’affirmation que Allah est un (ahad) ne porte pas uniquement sur la nature divine mais aussi sur les personnes divines, ainsi la doctrine de la Trinité se retrouve mise en cause. De nombreux autres textes coraniques professent de toute manière que Dieu n’a pas de lien « familial » avec les humains (Q 19.88-92 ; etc.).

Si la sourate 1 ouvre la prière musulmane, la 112 est souvent utilisée comme la sourate complémentaire pour deux raisons : (1) parce que c’est la plus courte, et lorsque vous répétez ces textes quatre ou parfois sept fois dans la même prière cela peut jouer sur le plan psychologique ; (2) pour le message central qu’elle véhicule.

A-t-on affaire au même Dieu dans la Bible et le Coran ? Kenneth Cragg8 propose de distinguer entre le sujet et le prédicat dans la comparaison entre le Dieu de la Bible et l’Allah du Coran : nous avons bien affaire au même Dieu-Sujet mais pas au même « contenu », puisque le Dieu du Coran n’est pas « Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ ».

Henri Blocher propose de faire comme l’apôtre Paul face aux dieux des Athéniens (Actes 17) : préciser que le Dieu de la Bible se fait connaître uniquement en Jésus-Christ. Ainsi, « nous pouvons dire ‘Allah, nous pouvons dire “il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah”, si nous marquons assez qu’il n’est connu que par Jésus, son Apôtre, son Verbe, son expression personnelle et éternelle au sein de l’être divin, qui s’est fait homme pour nous les hommes et notre salut, qui a fait l’expiation des péchés par son sang, une fois pour toutes. La vie éternelle, c’est ceci : connaître Dieu, et le connaître Lui ! »9 Une fois que ces précisions sont apportées, les chrétiens s’exprimant en arabe dans leur prière peuvent appeler librement Dieu Allah sans motif de conscience. Cela rend justice aussi bien à l’histoire qu’à la théologie.

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  1. Pour aller plus loin, voir Daniel GIMARET, Les noms divins en Islam, Coll. « Patrimoines », Paris, Cerf, 1988, p. 85-94.
  2. Pour aller plus loin, voir Daniel GIMARET, Les noms divins en Islam, Coll. « Patrimoines », Paris, Cerf, 1988, p. 85-94.
  3. . Voir la presse du début du mois de janvier 2010.
  4. Moucarry CHAWKAT, La foi à l’épreuve, l’islam et le christianisme vus par un arabe chrétien, Québec, la Clairière, 2000, p. 74.
  5. Georges PEYRONNET, L’islam et la civilisation islamique, VIIe – XIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1992, p. 20.
  6. Louis GARDET, L’islam, Religion et communauté, Paris, Desclée De Brouwer, 1970, p. 56.
  7. Ibid. p.57 : Le concile de Latran définit la nature divine comme « suprême Réalité incompréhensible et ineffable… et qui seule est principe de toute chose, sans qui, rien d’autre ne pourrait être ; et cette Réalité n’engendre pas et n’est pas engendrée ».
  8. Kenneth CRAGG, The Call of the Minaret (New-York : Oxford University Press, 1964 Galaxy ed.), p. 35.
  9. Henri BLOCHER, « L’Évangile et l’islam : relever le défi théologique », Fac Réflexion, n° 28, septembre 1994, p.17.
Dossier : Le défi de l'Islam
 

Arezki Karim
Né dans une famille musulmane et converti à la foi chrétienne en Algérie, venu en France fin des années 90 pour y suivre ses études. Réorienté vers des études de Théologie à l’Institut Biblique de Nogent, puis à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine. Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, exerce un ministère pastoral à l’Église du Tabernacle (Paris, 18e). Il assure également la présidence de l’Association des Chrétiens Nord-Africains depuis sa création en 2005. Il est aussi maître d’enseignement en Islamologie et Religions comparées à l'école HET-PRO(Haute Ecole de Théologie)